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Roland-Garros : où sont nos quartiers ?

Roland-Garros : où sont nos quartiers ?

À l’heure où Roland-Garros touche à sa fin, une question reste en suspens après chaque édition du plus grand tournoi de terre battue au monde : pourquoi les quartiers populaires semblent quasiment absents des courts de tennis français, et en tribune à Roland-Garros ? Force est de constater que le tennis reste moins répandu au sein des banlieues françaises, qui fourmillent pourtant de sportifs et sportives de haut niveau.

Quand il y avait Roland-Garros, on jouait au tennis sans filet juste en se renvoyant la balle. Dans un quartier t’as toujours quelqu’un qui a une raquette qui traîne…

Dans les quartiers, le sport est une occupation majeure qui rythme le quotidien des habitants, notamment la jeunesse. Là où des pratiques collectives comme le football et le basket-ball ont naturellement trouvé leur voie et leurs champions en banlieue, certains sports individuels tentent tout de même de se développer, tandis que d’autres comme le tennis peinent à se faire une place. 

“J’viens des bidonvilles de Kin’ appelle-moi Slumdog Millionaire, comme tous ceux qui viennent d’Afrique pour rouler en gamos qui grandissent sur une terre battue, mais pas celle de Roland-Garros”, rappait déjà Youssoupha en 2009 dans son titre “l’effet papillon”. 

Le prix du sport, le premier frein à l’accessibilité

Historiquement, le tennis a toujours été perçu comme un sport d’élite. En raison de ses origines aristocratiques britanniques, de ses tournois prestigieux, des country clubs ultra-selects et des ressources financières nécessaires pour pouvoir y jouer, une certaine image reste collée à la semelle du sport. 

Pour moi les banlieusards n’ont jamais été représentés dans le tennis, si ce n’est les personnalités racisées comme Serena Williams, je n’ai jamais eu de modèle dans ce sport.

Serena Williams, icône de représentation pour les jeunes de quartiers du monde entier.

Le coût global, l’accès aux installations et les opportunités de formation constituent encore un frein important à la pratique du tennis. Les courts de tennis sont souvent situés dans des clubs privés qui peuvent être coûteux à rejoindre et à utiliser régulièrement. Les leçons de tennis et l’achat d’équipement de qualité représentent également un investissement financier conséquent pour les familles avec des licences en club dont les tarifs débutent en moyenne à partir de 300 euros pour les jeunes. 

S’ajoutent à cela l’option des leçons particulières avec un instructeur peuvent coûter entre 30 et 100 euros de l’heure. En général, le prix des raquettes de tennis varie entre 20 et 30 euros pour les modèles d’entrée de gamme destinés aux débutants ou aux joueurs récréatifs. Quant aux raquettes de meilleure qualité utilisées par des joueurs professionnels, les prix peuvent atteindre plusieurs centaines d’euros.

Pourtant à chaque initiation, comme ici à Bobigny en 2022, ce n’est pas l’enthousiasme qui manque.

Les moyens du bord comme solution 

Mais puisque la banlieue ne manque pas de débrouillardise, certains n’ont pas attendu que le tennis vienne à eux pour aller vers lui. « J’ai grandi dans une cité et en bas, tout le monde jouait au foot. Quand il y avait Roland-Garros, on jouait au tennis sans filet juste en se renvoyant la balle. Généralement dans un quartier t’as toujours quelqu’un qui a une raquette qui traîne, une balle de basket, une pompe. C’est jamais la même personne mais en recollant les morceaux tu peux jouer à tout ce que tu veux », confie Enzo, jeune passionné de tennis et originaire du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne). 

Avec la Wii, c’était mon seul moyen avec l’école d’être proche de ce sport.

« Mon premier souvenir du tennis remonte à devoir jouer sans filet en bas de chez moi. Ensuite, la ville a commencé à construire des city stades, et notamment un terrain de tennis, qui au début n’était pas ouverts au public. Forcément, tu mets ça au milieu de nulle part, avec des jeunes qui ne demandent qu’à jouer, tu trouves toujours une manière de pratiquer », raconte Enzo.  

Pour Nour, la Wii a été le premier contact avec le tennis, souvent le seul aussi.

L’absence du tennis au cœur des quartiers populaires n’est pas passée inaperçue aux yeux de Nour, habitante de Sevran (Seine-Saint-Denis), qui s’est rapidement heurtée à une barrière. « Le tennis n’est pas la pratique la plus mise en avant dans le contexte dans lequel j’ai grandi. Le football, le handball, la natation ou encore la danse devancent le tennis. Par le biais des consoles, notamment avec la Wii, c’était mon seul moyen avec l’école d’être proche de ce sport. J’avais l’occasion d’y jouer lorsqu’on allait en vacances dans des complexes hôteliers, mais c’était seulement une semaine dans l’année. Ça m’a forcée à faire mes recherches sur ce sport et ça a confirmé que j’en pratiquerais jamais en dehors de ces cadres », explique avec amertume la sevranaise.

Entre représentation et privilèges : quelle image a Roland-Garros dans les quartiers populaires ? 

Alors que l’édition 2023 de Roland-Garros continue d’entretenir la vitrine d’un milieu plutôt fermé, l’écart se creuse pour les jeunes de banlieue et ne facilite pas les relations avec ce sport. « Je ne me suis jamais sentie proche du tennis puisque le football primait : un sport plus accessible et plus populaire que le tennis. Roland-Garros intervient souvent en fin de saison, on se retrouve à regarder par défaut. L’intérêt porté ne crée finalement pas de proximité avec ce sport » avoue Nour. 

Ce tournoi est la parfaite image de ce qu’est le tennis en France. L’atmosphère est très aisée et parisienne. Ce n’est vraiment pas assez ouvert

Ajoutez à ce contexte, la piètre performance des tennisman français, qui après seulement deux tours ont toutes et tous été éliminées du tournoi. Forcément, quand dans tous les autres sports la France cartonne et notamment grâce au vivier des quartiers populaires, la réflexion sur le manque d’ouverture du tennis fait son chemin chaque année, notamment sur les réseaux sociaux.

Sur twitter, les commentaires sur les mauvaises performances françaises sont souvent associées au manque d’ouverture du sport aux populations des quartiers.

Mais malgré ce qui semble être une frontière entre deux mondes, certains passionnés comme Laisa, étudiante de 20 ans et résidente de Domont en banlieue parisienne (Val d’Oise), passent le cap et se rendent régulièrement à Roland-Garros. « Ce tournoi est la parfaite image de ce qu’est le tennis en France. L’atmosphère fait très aisée et parisienne. Ce n’est vraiment pas assez ouvert, il y a encore un mur entre sport de haut niveau et sport tout public, même chez les spectateurs. Pour moi les banlieusards n’ont jamais été représentés dans le tennis, si ce n’est les personnalités racisées comme Serena Williams, je n’ai jamais eu de modèle dans ce sport que je pratique pourtant depuis mon plus jeune âge. » 

Néanmoins les initiatives se multiplient avec la complicité de l’institution de la porte d’Auteuil pour faire venir la jeunesses des quartiers dans le tournoi du grand chelem. L’association Golden Blocks qui oeuvre pour un sport plus inclusif envoie régulièrement des jeunes, notamment issus de Seine-Saint-Denis, assister au tournoi. Une initiative qui fait écho au tournoi d’initiation au tennis le 11 mai 2022 sur la dalle Chemin Vert à Bobigny (Seine-Saint-Denis), menée notamment avec l’association Nouvel Elan 93.

Le tennis aux portes des banlieues, un travail de longue haleine 

Depuis des décennies, des structures ont été mises en place pour rendre le sport plus populaire et donner des opportunités aux jeunes issus de ces milieux. Des programmes fouillés et des organisations sportives se sont engagés à fournir des installations, des équipements et des leçons à moindre coût, voire gratuitement, pour encourager la participation des jeunes des quartiers. C’est le cas de plusieurs associations qui visent à promouvoir la pratique du tennis là où elle n’existe pas, là où on ne l’a connaît pas. 

Pour l’instant, il est clair que ce sport ne parle pas à l’entièreté des jeunes de banlieues. C’est beau sur le papier, venir rénover des installations et distribuer des raquettes gratuites. Mais ce qu’il compte, c’est de rester

L’historique “Fête le mur”, fondée par Yannick Noah (le seul joueur français à avoir remporté un tournoi du Grand Chelem de l’ère Open) en 1996, qui se charge d’initier à la pratique du tennis pour combattre toute forme d’exclusion dans ce sport en intervenant dans une centaine de quartiers populaires. Aujourd’hui l’association affiche un rayonnement dans 130 quartiers et 70 villes dans l’hexagone.

Yannick Noah, avec Fête le mur, tente depuis plus de 20 ans d’ouvrir le sport, où il a été le seul Français à remporter un grand chelem dans l’ère Open.

Plus récemment, L’Etendard (basée dans les Hauts-de-Seine) soutient l’insertion par l’accès au sport à travers la création et la rénovation de terrains. C’est lors de l’été de 2020, que l’association a pu lancer ses démarches éducatives grâce à la rénovation d’un terrain à Clichy-La-Garenne (Hauts-de-Seine) à l’effigie du champion Novak Djokovic.

En vidéo, la mise en place et décoration du court à l’effigie de Novak Djokovic.

En collaboration avec la mythique marque Lacoste et la Fédération Française de Tennis, l’association a pu créer son académie avec un programme solide qui englobe des courts de tennis et diverses activités clefs pour ses jeunes adhérents. « Pour l’instant, il est clair que ce sport ne parle pas à l’entièreté des jeunes de banlieues. C’est beau sur le papier, venir rénover des installations et distribuer des raquettes gratuites. Mais ce qu’il compte, c’est de rester ! S’ ils ne connaissent pas ce sport et ne s’identifient pas à ses champions, ce n’est pas gagné. Il faut faire de la sensibilisation et se déplacer dans les établissements, il faut exister au sein des forums municipaux et travailler avec les acteurs locaux », explique Baptiste Gervais, co-fondateur de l’association.

« Cette année, on compte une vingtaine d’adhérents au sein de notre programme et entre 10 et 15 jeunes inscrits lors de nos stages de vacances. Grâce à nos partenaires, on essaye d’offrir une pratique abordable aux familles. Nos licences annuelles coûtent entre 150 euros et 200 euros, on s’adapte évidemment aux familles en prenant en compte toutes les aides possibles. » 

J’espère que ça se démocratisera comme tous les sports. J’ai bien peur que ça reste un sport plutôt cher si d’un point de vue local les municipalités ne font pas l’effort

Est-ce qu’on l’on pourra un jour voir des banlieusards fouler les prestigieux courts de Roland-Garros ? Ce n’est pas impossible, mais il faudra peut-être encore attendre avant d’avoir notre champion analyse Enzo. « J’espère que ça se démocratisera comme tous les sports. J’ai bien peur que ça reste un sport plutôt cher si d’un point de vue local les municipalités ne font pas l’effort d’aider les familles plus pauvres à y jouer. Je ne pense pas qu’on ait nécessairement besoin d’un banlieusard champion pour se sentir représenté, mais simplement d’un crack générationnel qui donnera envie à tout le monde. Tout comme Mbappé ne parle pas qu’aux jeunes de banlieue, et CR7 ne parle pas qu’aux portugais. »

En attendant le ou la prochaine Mbappé du tennis, les institutions devront investir encore plus pour ouvrir leur sport aux quartiers.

Il reste encore du travail à faire pour éliminer les obstacles économiques et offrir des opportunités égales à tous les amateurs de tennis, indépendamment de leur origine sociale ou économique. Plus globalement, les acteurs institutionnels semblent bouger les lignes pour inclure de nouveaux publics et pratiquants face à la menace du vieillissement du public. Initier et fédérer autour du tennis dans les banlieues français grâce à des clubs durables et des ambitions sincères pourrait apporter un nouveau souffle au sein de la pratique.

Pour Nour, l’enthousiasme reste de mise, tout reste encore à faire notamment chez les familles : « C’est aussi aux parents et aux acteurs sociaux de se dire que le tennis peut apporter beaucoup de valeurs chez nous et à leurs enfants, au même titre que les autres sports et de ne pas faire une fixette en se répétant ‘ce n’est que pour les autres’. Nos banlieues ont beaucoup d’avenir et regorgent énormément de talents et j’ai énormément d’espoir sur la future génération qui accompagnera leurs enfants au-delà des barrières que la société nous a imposés. »

Chahinaz Berrandou

Photographie à la une Thomas Fliche pour Golden Blocks

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