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Ce que l’on vous a toujours caché sur le côté obscur de Mohamed Ali

Ce que l’on vous a toujours caché sur le côté obscur de Mohamed Ali

Dire de Mohamed Ali qu’il est le plus grand sportif du 20ème siècle n’a rien d’exagéré.

Roi de la boxe anglaise à l’époque où le noble art était le sport le plus populaire de la planète, le Greatest fut le premier poids lourd à être couronné trois fois champion du monde, et ce, alors qu’il n’existait qu’une seule et unique ceinture.

Ayant défendu son titre à 19 reprises, il a défié et vaincu absolument tous ses rivaux (Sonny Liston, George Foreman, Joe Frazier…) lors d’affrontements dantesques où les pronostics le donnaient bien souvent largement perdant (le Rumble in the Jungle en 1974, le Thrilla à Manilla en 1975…).

S’il n’est évidemment pas le seul à avoir excellé dans sa discipline, ce qui le distingue de tous les Pelé, Jordan, Bolt, Woods, Brady & Co., c’est de ne s’être jamais cantonné à son seul sujet.

Mohamed Ali, c’était plus que de la boxe. Mohamed Ali, c’était plus que du sport. Mohamed Ali, c’était une personnalité et des engagements qui ont fait trembler le monde.

Immensément populaire tout autour du globe hier comme aujourd’hui, l’admiration légitime qu’il suscite ne doit cependant pas être confondue avec de l’idolâtrie. Ali n’était ni un prophète, ni un sauveur, mais un homme avec ses (immenses) qualités et ses (gros) défauts.

Qu’importe le storytelling en vigueur depuis trente ans qui tend à occulter ses zones d’ombre, revenons sans complaisance sur certains passages de la biographie de celui qui « refusait d’être celui que l’on voulait qu’il soit ».

Mohamed Ali était-il vraiment musulman ?

La question peut paraître saugrenue de prime abord, tant Mohamed Ali a œuvré sa vie entière pour promouvoir l’Islam.

En réalité, il existe ici deux Mohamed Ali : celui qui s’est converti au sunnisme à 33 ans, et celui qui auparavant a milité plus de dix ans au sein de la très controversée Nation of Islam (de février 1962, date à laquelle il a rendu son engagement public, à 1975, date de son départ).

Dirigé de 1934 à 1975 par le tout aussi controversé Elijah Muhammad, la N.O.I. n’appliquait absolument pas les préceptes coraniques au pied de la lettre, mais s’autorisait au contraire à les amender très librement.

Ainsi, le fondateur de la Nation of Islam, Wali Fard Muhammad (disparu mystérieusement en 1934 à 41 ans), était à la fois désigné comme le « mahdi » (le dernier des prophètes envoyé par Allah, annonciateur de la fin des temps), mais aussi comme « Dieu en chair et en os sur terre » – pas une incarnation, pas une manifestation de Dieu, mais bel et bien Dieu lui-même (?!).

Considérés comme hérétique aux yeux des musulmans orthodoxes, les Black Muslims comme ils se surnommaient se confondaient aux yeux des autorités avec une secte tant que le culte de la personnalité y était prononcé.

Et encore, on vous passe les délires sur les soucoupes volantes pour expliquer certains passages de la Bible et du Coran ou la création de la Terre et des Cieux… D’ailleurs, si vous cherchez Elijah Muhammad, il ne repose pas au Paradis, mais en rotation autour de notre planète.

Mohamed Ali était-il raciste ?

La question peut de nouveau surprendre, à ceci près que là encore les faits sont troublants.

Les Black Muslims prônaient en effet un ségrégationnisme pur et dur au motif que Noirs et Blancs ne pouvaient pas cohabiter sur un même territoire.

Assimilée au plus premier des degrés à « la race des diables », la race blanche serait, selon leurs sources, née des expérimentations menées par le sorcier Yakub 6 600 ans plus tôt et œuvrerait depuis pour asservir l’homme noir originel.

Au sommet de sa gloire, Mohamed Ali embrassait sans ambage ces thèses, clamant notamment « n’avoir aucun ami blanc », que « tous les hommes blancs américains étaient des diables », ou « qu’un homme noir devrait être tué s’il fricote avec une femme banche. »

Alliant la parole aux actes, tout comme Malcolm X, Ali est allé jusqu’à se rendre à un meeting du Ku Klux Klan pour prononcer le discours suivant : « Les Noirs devraient se marier entre eux. Les merlebleus avec les merlebleus, les pigeons avec les pigeons, les aigles avec les aigles. Dieu ne se trompe jamais. »

Le genre de déclarations qui fait franchement tâche sur le CV d’un champion des droits civiques…

À sa décharge, après avoir pris ses distances avec les Blacks Muslims, Ali reconnaîtra avoir été victime de l’influence néfaste d’Elijah Muhammad et confiera même après sa mort qu’il « aurait souhaité quitter la Nation plus tôt s’il n’avait pas craint de se faire descendre comme Malcolm ».

[Les trois assassins de Malcolm X étaient tous membres de la N.O.I.]

Mohamed Ali, l’homme à femmes

Au sein d’une Nation of Islam qui prônait « la pratique d’une moralité élevée » en matière de relations hommes/femmes (séparation rigoureuse des sexes lors de ses manifestations, interdiction des mariages interraciaux, monogamie stricte, injonction faite aux « sœurs » de porter « des robes qui touchent le sol » par souci de discrétion…), Mohamed Ali vivait sur ce point sa vie comme il l’entendait

Marié à quatre reprises (et absolument pas avec des femmes membres la N.O.I. comme préconisé), père de neuf enfants, il multipliait les liaisons extraconjugales.

En 2017, dans sa biographie Ali: A life, le journaliste américain Jonathan Eig consacre des passages entiers au « phénoménal appétit sexuel » du Greatest.

« Noires, blanches, jeunes, mûres, actrices, femmes de ménage… il ne faisait aucune discrimination. Tout son entourage était au courant. C’était un sujet de plaisanterie récurrent chez ses amis. »

Sa deuxième femme Khalilah, mère de quatre de ses enfants, reconnaissait d’ailleurs volontiers « son côté sombre et diabolique », elle à qui il arrivait d’arranger des chambres d’hôtels pour les maîtresses de monsieur (!).

Humiliation suprême, quand son mari s’en est allé combattre Joe Frazier aux Philippines en 1975, le président Ferdinand Marcos a cru bon de le complimenter en public sur la beauté de son épouse… alors qu’Ali était ce jour-là accompagné de l’une de ses conquêtes – sa future troisième femme, Veronica Porche, 19 ans.

Ali estimait néanmoins tout à fait normal ses infidélités, comme il s’en était expliqué dans le New York Times.

« J’ai trois ou quatre copines que je loge, et alors ? Si elles étaient blanches, je comprendrais que cela pose problème, mais elles ne le sont pas. Qu’on me critique sur le Vietnam, qu’on me critique sur ma religion ou tout un tas d’autres trucs, mais pas là-dessus. »

Notez qu’au sein de la Nation of Islam, il n’était pas le seul Tartuffe de la chambre à coucher, « l’honorable » Elijah Muhammad s’étant fait griller pour avoir eu sept enfants hors mariage.

Mohamed Ali frappait parfois en dessous de la ceinture

Roi du trashtalk, à chacun de ses combats, celui qui volait comme le papillon et piquait comme l’abeille s’engageait dans une guerre des mots sans merci, tant par souci d’assurer un maximum de publicité à l’évènement que par volonté de déstabiliser psychologiquement ses adversaires.

Pas adepte pour un sou du fair-play (il moquait énormément le physique), bien qu’Ali fut plus clair de peau et souvent mieux né que ses adversaires (il était un enfant de la classe moyenne, pas du ghetto), il n’hésitait jamais à dégainer la carte de la race en traitant à tire-larigot ces derniers « d’Oncle Tom » ou de « champions des Blancs ».

C’est ce pauvre Floyd Patterson qui avait eu la mauvaise idée de confier que « la Nation of Islam déshonorait les Noirs » et qui s’est fait mettre KO en deux temps, trois mouvements. C’est le malheureux Ernie Terrell qui en conférence de presse avait eu l’outrecuidance de l’appeler Cassius Clay et qui s’est pris une correction douze rounds durant face à un Ali qui à chaque bordée de coups de poing le défiait de répéter son nom. C’est George Foreman qu’il détestait ouvertement pour avoir accepté de porter le drapeau américain lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de 1968 à Mexico.

C’est aussi et peut-être surtout Joe Frazier qu’il a harcelé jusqu’à plus soif« C’est cet autre genre de Noir. Je ne suis pas comme lui. Un jour, il se sera peut-être comme moi. Là, il travaille pour l’ennemi. C’est pour ça qu’il est un Oncle Tom. »

Non content de le comparer à longueur d’interviews à un gorille (l’insulte préférée des racistes), Ali a poussé l’affront jusqu’à agiter un singe en plastique devant lui. Smokin’ Joe, qui des années plus tôt lui avait pourtant prêté de l’argent quand il était au plus bas, ne lui a jamais pardonné.

Son engagement plutôt trouble contre la guerre du Vietnam

Très probablement son plus haut fait de gloire en dehors des rings, quand, l’après-midi du 28 avril 1967 sur la base militaire 61 de Houston, il demeure immobile à l’appel de son nom.

Signifiant là son refus de rejoindre les troupes américaines envoyées combattre l’offensive communiste dans le sud Vietnam, Mohamed Ali justifie sa décision au nom de ses convictions religieuses.

Immédiatement privé de sa licence de boxe et dépossédé de ses titres mondiaux, il est ensuite condamné par les tribunaux à 10 000 dollars d’amende et cinq ans de prison ferme.

Un bras de fer judiciaire s’engage alors avec le gouvernement US.

Inflexible, Ali oppose une fin de non-recevoir à tous les compromis qui lui sont proposés (ne pas porter les armes, participer à des combats exhibition pour divertir les troupes…). Et tant pis si, à 25 ans, il met en péril ses meilleures années sur le plan sportif.

Célébré comme un héros de la liberté et de la contre-culture par l’Amérique protestataire, il incarne ainsi aux yeux du monde un David qui ne transige en aucun cas avec ses principes devant Goliath.

Trois ans et demi plus tard, la Cour suprême statue en sa faveur en cassant la décision de justice initiale pour des raisons de formes.

Canonisée depuis, la séquence mérite toutefois d’être nuancée.

Tout sauf un hippie ou un pacifiste, Ali avait en effet fièrement déclaré dans une interview reprise aux quatre coins du pays « qu’en tant que musulman, il ne participait qu’aux seules guerres voulues par Allah » et qu’il n’avait « personnellement aucun problème avec les Vietnamiens ».

[La punchline « Aucun Viêt-Cong ne m’a jamais traité de nègre » est en revanche une invention.]

Partisan de la loi divine contre la loi de la cité dans un pays où l’islam était ultra minoritaire, Ali faisait donc non seulement acte de sédition, mais il balayait d’un revers de main les 46 soldats américains qui perdaient chaque jour la vie en Asie (16 899 tués en 1968).

Très loin de créer l’unanimité, sa position était vivement critiquée par de nombreux afro-américains envoyés au front, l’accusant d’égoïsme et de lâcheté.

Comble de l’ironie pour un représentant de l’individualisme et de la libre pensée, la grande majorité des témoignages concordent aujourd’hui pour affirmer qu’Ali n’a absolument pas agi par droiture morale, mais par soumission à Elijah Muhammad qui interdisait à tous membres la N.O.I. de prendre part à cette « white man’s war ».

[Muhammad avait lui-même fait de la prison lors de la Seconde guerre mondiale pour avoir refusé de servir.]

Sa fin de carrière en pointillés

Lorsqu’en 1975 Mohamed Ali défait contre toute-attente George Foreman, le plus gros puncheur de sa génération, c’est au prix fort.

Auparavant habitué à danser autour de ses adversaires en s’appuyant sur son agilité et sa vitesse d’exécution, il avait ici opté pour une stratégie diamétralement inverse : encaisser les coups de Foreman blotti dans les cordes, attendre qu’il s’épuise, puis lui porter l’estocade.

Convaincu d’avoir trouvé la marginale, à partir de ce combat, Ali embrasse ce nouveau style, ce qui lui vaut de multiplier les coups reçus au visage. Pour ne rien arranger, à l’entraînement, il encourage ses sparring partners à le frapper à la tête autant qu’ils le peuvent afin de « gagner en résistance ».

Très vite, les conséquences se font ressentir sur sa santé

« Ses réflexes étaient moins vifs de 25 à 30%. Il ne s’en apercevait pas, il pensait que son cerveau était vierge de la moindre lésion alors qu’il commençait à bégayer, à se montrer hésitant… » observe son soignant Ferdie Pachecho.

Deux ans plus tard, en 1977, Pachecho lui conseille d’ailleurs fortement de raccrocher les gants avant qu’il ne soit trop tard. Ali fait la sourde oreille. Plutôt que d’avoir à cautionner le drame à venir, Pachecho démissionne.

Cette condition physique déclinante n’empêche pas Ali à trente ans bien sonnés d’enchaîner quatorze combats en sept ans.

Si ses performances se font de moins en moins convaincantes, son statut de légende vivante lui permet de bénéficier d’une mansuétude de plus en plus accrue de la part des juges – face à Jimmy Young et Ken Norton en 1976, la majorité des experts estiment qu’il aurait dû s’incliner aux points.

Par la suite, cette indulgence ne suffit cependant plus. Ali perd trois de ses quatre derniers combats, dont l’avant-dernier, à 38 ans, face à son ancien sparring partner Larry Holmes qui lui colle une telle raclée que son entraîneur Angelo Dundee a dû jeter la serviette à la fin du dixième round.

Souvent mise sous le tapis, cette fin de parcours fait tâche, d’autant plus que si Ali avait su arrêter à temps, peut-être aurait-il été épargné par la maladie de Parkinson.

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