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Artemile : « C’est difficile d’être satisfait à 100 % de son travail » – Interview

Artemile : « C’est difficile d’être satisfait à 100 % de son travail » – Interview

En seulement quelques années, Artemile s’est imposé, malgré lui, comme un acteur important du rap francophone. Avec des peintures inspirées des courants romantiques et impressionnistes, le jeune artiste strasbourgeois est parvenu à mêler deux univers aux points communs fantomatiques. À la croisée des mondes, Artemile trouve sa place et son bonheur.

Crédit : Artemile

Curtis Macé : Peux-tu te présenter pour celles et ceux qui ne te connaissent pas ? 

Artemile : Je viens de Strasbourg et travaille depuis 2020 sous le pseudonyme d’Artemile. Peindre, c’est avant tout ma passion, plutôt qu’un métier. Mon art consiste à retranscrire sur la toile les différentes influences qui m’entourent. Elles peuvent aussi bien venir du monde de la musique, de la peinture, de la photographie, de la mode mais aussi des scènes de vie du quotidien.

C.M : Quelles études fais-tu actuellement ?

A : Je suis encore à la fac d’arts, en troisième année à Strasbourg. 

C.M : Comment est venu cet attrait pour la peinture ?

A : Depuis petit, je crée. Je n’ai pas un souvenir précis dans lequel j’ai eu un déclic pour commencer la peinture. C’est quelque chose qui a toujours fait partie de moi. J’aime autant la peinture, que la photographie, que le digital (dessin sur tablette graphique) ou l’animation. J’apprécie toucher à tout. Lorsque j’ai emménagé seul dans mon appartement, il y a trois ans, je me suis lancé dans la peinture. C’est avec le tableau de Népal que j’ai débuté. Depuis, je ne me suis plus arrêté. 

Crédit : Artemile

C.M : C’est donc une pratique qui s’est imposée naturellement sur le tard ? 

A : Exactement. Le tableau de Népal a été mon premier grand format. Par le passé, j’avais déjà fait de la peinture sur le rap, mais ce n’était que des petites toiles. Je pense notamment au tableau de PNL en référence à la cover de Deux frères. C’était aussi la première fois que j’utilisais la technique de la peinture à l’huile. Je pense n’être qu’au début de mon art. Je ne me vois pas comme un artiste accompli. Tous les jours, j’apprends et j’expérimente des choses.

Crédit : Artemile

C.M : Tu me parlais de la photographie et du digital, les as-tu mis de côté afin de privilégier la peinture ? 

A : Tout ce que j’ai appris auparavant me sert encore aujourd’hui. Je réalise tous mes croquis directement sur l’iPad. Cela me permet de mélanger les styles et de faire la colorimétrie de mes peintures. Concernant la photographie, je conserve cet aspect dans mon art lorsque je fais un post sur les réseaux sociaux. J’apparais à côté de mes toiles avec un montage pour enlever ma tête. Je ne me délaisse pas de ces deux aspects. 

C.M : Qu’est-ce qui te plaît dans la peinture ? 

A : C’est le fait de pouvoir m’exprimer librement avec de nombreuses matières. Je m’éclate à rendre réalité mes idées avec la conception d’une œuvre que je peux toucher. Avec la peinture, je peux aller au bout de ma vision. C’est quelque chose de concret, mais aussi de fatigant (rires). 

C.M : En moyenne, combien de temps mets-tu pour concevoir un tableau ? 

A : Ça varie à chaque fois, selon les détails. Pour celui de Zamdane, les reflets de l’eau m’ont pris des semaines. C’est-à-dire que je le mets de côté et je reviens dessus plusieurs fois. Au contraire, je peux en faire certains en 48h. Je me consacre à cette activité durant deux jours. C’est un vrai combat contre la toile. Je suis à 100 % dedans. Quand j’ai cette pulsion de créativité, je peux enchaîner les nuits blanches (rires). 

Crédit : Artemile

C.M : À quel moment sais-tu qu’une toile est terminée ? 

A : Je n’ai pas de formule exacte. Parfois, il m’est arrivé de croire qu’un tableau était terminé, mais je suis finalement revenu dessus plusieurs fois. À force de les regarder, je trouve des choses à modifier ou à rajouter. Des fois, j’essaye même de me canaliser. C’est difficile d’être satisfait à 100 % de son travail. C’est bien d’être perfectionniste, car ça pousse à aller plus loin constamment. Par exemple, quand je fais des expositions, il m’arrive de voir mes toiles et de penser à rajouter des détails. 

Crédit : Artemile

C.M : Tu fais des peintures à l’huile, à l’acrylique, à la gouache et à la bombe aérosol. Pourquoi cette polyvalence ? Que t’apporte-t-elle ? 

A : Cela me plaît d’utiliser une multitude de médiums. La grande majorité de mes toiles ont une base à l’huile. Si je veux avoir un rendu particulier, j’utilise une technique spécifique. Par exemple, pour la toile sur Khali, j’ai choisi du plâtre afin d’avoir une texture précise des vagues. Si je veux des ombres particulières, je vais prendre une bombe aérosol. Je peux utiliser des pastels gras ou encore du vernis pour apporter de la brillance. J’exploite tout ce qui m’entoure, mais la peinture à l’huile reste mon médium de prédilection. Selon moi, elle a de meilleurs pigments que l’acrylique. Je travaille énormément la texture. La peinture à l’huile durcit dans le temps. Si j’utilisais une autre technique, la texture serait moins résistante. 

Pour revenir à ta question, je m’éclate à être polyvalent. C’est stimulant d’expérimenter, surtout que je le fais par passion et non pour l’argent. Concernant la toile sur Prince Waly, j’ai donné des coups de marteau pour rendre l’effet du crash plus réaliste. Je me permets de faire des choses qu’un artiste vivant de son art ne ferait peut-être pas. 

Crédit : Artemile

C.M : Quels retours as-tu eus des personnes provenant du monde de la peinture ? 

A : Globalement, j’ai eu que des bons retours. Des galeristes ont validé mon travail. Selon eux, il apporte un vent de fraîcheur et un renouveau. Pour ma peinture de Gazo, j’ai utilisé du sucre afin d’obtenir un effet proche du sable. J’avais peur que les gens me trouvent bizarre. Finalement, ils ont adoré l’anecdote. 

C.M : De quel courant-artistique te sens-tu le plus proche ? 

A : Je dirai l’impressionnisme. Les artistes de ce courant travaillent par touches de couleur. Il y a une vraie théorie par rapport à ça. Ils réfléchissent tout leur tableau en fonction de cet aspect. C’est ce que je fais dans mon art. Quand tu regardes de près mes œuvres, il y a différentes couleurs juxtaposées donc tu ne comprends pas trop. Lorsque tu t’éloignes, ton œil va faire le mélange tout seul pour avoir un résultat vif. Je me sens aussi proche du courant romantique. J’ai comme exemple, William Turner. Je m’identifie dans sa manière de retranscrire le mouvement et la vie à travers la peinture

C.M : Hormis William Turner, quelles sont tes inspirations ? 

A : Pour les plus connus, je dirais Claude Monet et Vincent Van Gogh. Je m’inspire aussi beaucoup d’artistes contemporains dans les petites galeries et de photographes sur Instagram

C.M : Quel a été ton déclic pour te lancer sur de la peinture en lien avec le rap ? 

A : Je me suis lancé avec le tableau sur la cover de Deux frères de PNL. J’écoutais régulièrement l’album à ce moment-là. Je voulais décorer mon appartement avec quelque chose qui me plaisait. Par la suite, j’ai montré le résultat à un pote. Il a publié une photo du tableau sur les réseaux sociaux. Grâce à cette démarche, j’ai eu quelques retours positifs. Pour moi, c’était impossible que les gens puissent aimer mon art. La peinture représentait quelque chose de très personnel, seuls mes amis proches étaient au courant de mon art. C’est à partir de ce moment que j’ai créé le compte Artemile. 

C.M : Justement, quel est ton rapport au rap ? 

A : J’en suis un fervent auditeur. Je voulais absolument faire ma première exposition en lien avec le rap afin de mélanger deux cultures aux antipodes. Les expositions d’art restent élitistes avec un public âgé. Je voulais créer ce contraste entre les deux mondes. Dans mes tableaux, il est possible de trouver des références au rap, mais aussi à l’histoire de la peinture classique. Je suis content du résultat, car il y a eu un public hétérogène. 

Crédit : Artemile

C.M : Peins-tu seulement des artistes dont tu apprécies la musique ou bien des artistes qui rendent bien sur la toile ?

A : Les artistes que je peins ne sont pas forcément mes préférés, mais ce sont ceux qui me permettent de rajouter ma touche personnelle. Avoir mon interprétation et la retranscrire en peinture, c’est un sentiment unique. Je peins des artistes avec des visions bien trempées et des identités prononcées comme SCH, Prince Waly, Booba ou encore Zamdane. 

C.M : Le rap sera-t-il toujours dominant dans tes productions à l’avenir ? 

A : Non, justement, j’ai envie de m’en éloigner. Je veux aller plus loin pour être plus personnel dans ma peinture. Je veux mettre en images des scènes de vie avec mes amis ou ma famille. Ma dernière exposition à Strasbourg était dans cette lignée. Elle s’intitulait “Pour la culture”. Mon objectif était donc de représenter toutes les cultures qui m’entourent en tant que jeune adulte. Il y avait des toiles sur le rap, sur le cinéma et sur le sport. J’ai également collaboré avec la marque Ambivalence sur la conception de vêtements liés à mon art. On a poussé le truc à fond avec des vidéos réalisées par un vrai réalisateur (@Youcef_kr). 

C.M : Pour revenir sur ta collaboration avec la marque Ambivalence, est-ce une expérience que tu as appréciée ? Si oui, es-tu enclin à répéter ce type de featurings ? 

A : Oui, j’ai adoré. Ce n’était pas une collaboration à but lucrative, mais plus pour marquer le coup à l’occasion de mon exposition à Strasbourg. Je voulais proposer une exclusivité aux visiteurs afin de changer ce privilège qu’ont les parisiens en général. On avait produit 80 exemplaires et ils sont tous partis dans le week-end. Voir son art sur un vêtement, c’est vraiment gratifiant. Ce type de collaborations permet d’enlever les barrières entre les différents supports. 

Crédit : Artemile

C.M : Dans ta collection, quelle est la toile dont tu es le plus fier ? 

A : Je dirai Flouka”, celle sur Zamdane. Le titre est le même que le morceau dans lequel il explique son arrivée en France. La toile allie le fond et la forme. On y retrouve Zamdane sur sa barque, en référence à son histoire, et un autre petit navire, contenant des silhouettes volontairement anonymisées. Le tableau aborde le sujet des migrants qui traversent la Méditerranée et du traitement qu’ils subissent. Je ne voulais pas qu’il soit trop brutal. Il y a un contraste entre le coucher de soleil et le sujet qu’il aborde. 

Crédit : Artemile

C.M : La plus symbolique pour toi ? 

A : La toile avec mes amis qui se nomme “Les choses simples part 1”. Elle est introspective. Elle représente un moment de partage dans le sud de la France, un soir d’été. 

Crédit : Artemile

C.M : Celle qui t’a pris le plus de temps ? 

A : Il y en a deux : celles sur Zamdane et Kekra. 

Crédit : Artemile

C.M : Pourquoi avoir fait le choix de garder ton identité secrète ?  

A : Quand j’ai commencé à poster mes toiles sur les réseaux, j’étais dégouté que les gens ne se rendent pas compte de leur taille. Je me suis donc pris en photo à côté, sans pour autant montrer mon visage. Le but était de mettre en avant mon art et non ma tête. Pour rigoler, je l’ai effacé des photos. Les gens ont rapidement validé et ça a permis à mon art d’être plus facilement reconnaissable. Le fait de voir à plusieurs reprises un mec sans tête, ça marque les esprits. Durant mes expositions, je rencontre le public et je n’ai aucun problème avec mon anonymat. 

C.M : Ton art est suivi par un grand nombre sur les réseaux. Comment expliques-tu cette notoriété grandissante ? 

A : Honnêtement, je suis surpris qu’autant de personnes s’intéressent à l’art. Dans mon esprit, c’était réservé à une niche. Aujourd’hui, je me rends compte que beaucoup attendaient d’avoir une proposition qui leur parle. Je ne suis pas très actif sur les réseaux. Ce n’est pas mon truc mais c’est gratifiant de recevoir des commentaires positifs. Je préfère être concentré sur mon art avant tout. 

C.M : Tu as pu réaliser des covers pour le projet CITES D’OR du média La Pépite ou encore travailler avec Dosseh sur Trop tôt pour mourir. Que retiens-tu de ces expériences ?

A : Pour Dosseh, c’était fou de travailler pour un rappeur directement. Je ne regrette pas du tout cette expérience. Concernant la cover pour La Pépite, j’en garde un très bon souvenir. Ils m’ont laissé une grande liberté à ma créativité. On avait la même vision, donc c’était comme si je faisais une toile personnelle. En ayant ces expériences, je me suis rendu compte que je préférais 1 000 fois réaliser des tableaux pour moi que pour les autres. Si un/une grand(e) artiste m’envoie un message, je fonce bien entendu, mais ce n’est pas ce que j’aime le plus. Cela freine ma créativité car il y a des deadlines à respecter.

Crédit : Artemile

C.M : Tu as également participé à la fresque dédiée à la mémoire de Népal dans le 10e arrondissement de Paris. Quel souvenir en gardes-tu ? 

A : C’était incroyable. Népal était un artiste que j’écoutais beaucoup. Ça m’a touché de pouvoir participer au projet. Je suis passé d’un statut de simple auditeur à un artiste qui a pu lui rendre hommage. 

Crédit Photo : SZR Infos

C.M : Pour conclure cette discussion, quels sont tes prochains gros objectifs ? 

A : Je veux toucher encore plus de monde via ma peinture et me prouver que je peux faire partie intégrante du milieu artistique. C’est important pour moi d’être reconnu et de sortir de cette étiquette de peintre pour les covers de rap. Je veux montrer que c’est plus profond que cela, sans me dénaturer pour plaire. Pour 2024, je suis en train de préparer des projets stimulants. Si tout se fait, ça risque d’être grand. 

Crédit : Artemile

Vous l’aurez compris, Artemile n’est qu’aux prémices de sa carrière artistique. Dans le futur, il souhaite atteindre de nombreux objectifs, dont celui de briser les barrières invisibles entre l’art, le rap, les jeunes et les plus âgés. Ses ambitions sont à la hauteur de son talent.

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