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Les Secrets de la Création de « Grand Paris » de Médine

Les Secrets de la Création de « Grand Paris » de Médine

Rentrez dans les coulisses du raz-de-marée « Grand Paris »…

Dans le cadre de La Sélection du mois d’avril consacrée à Médine, Booska-P vous fait vivre le huitième volet des Secrets de la Création, un concept qui retrace la vie du morceau le plus important de la carrière d’un artiste. Rappeur ou autre, chaque acteur de la scène musicale connaît un titre dans sa carrière qui lui fait passer un cap. Cela peut être celui qui lui fait découvrir sa vocation, celui qui lance son ascension, celui qui marque une nouvelle direction artistique ou bien encore celui qui le fait exploser aux yeux du grand public. C’est Grand Paris qu’a choisi Médine, pour son impact et sa symbolique hip-hop. Paru d’abord sur l’album Prose Elite le 24 février, le morceau qui rassemble les performances de 8 rappeurs a été publié sous la forme d’un clip trois jours plus tard pour ne plus jamais quitter la culture du rap français et celle du freestyle.

L’histoire d’un grand pari

Grand Paris c’est un espèce de freestyle

Avant d’être un banger imparable, le titre Grand Paris est avant tout une histoire de partage et d’alignement des planètes. Pour Médine, c’est dans un pur esprit hip-hop que les valeurs de ce son s’inscrivent : « C’est un peu comme ça que j’aborde les valeurs de cette musique : des gars qui partagent leur histoire, leurs vécus, leurs émotions, leur énergie. S’il ne devait rester qu’un seul morceau, j’aimerais que ce soit un truc de partage. Grand Paris c’est un espèce de freestyle, un truc classique qui se faisait dans le rap à une certaine époque. « 

A la fin de l’été 2016, Médine est en résidence à La Rochelle avec Salsa (gérant du label Din Records, ndlr) pour terminer son album Prose Elite. L’idée de réunir plusieurs rappeurs pour un morceau type freestyle avait déjà germé dans l’esprit de Médine, et il ne manquait que la prod’. Le beatmaker Proof, à l’origine de pas mal d’instrus du Havrais, est déjà sur le coup : « Je connais les ingrédients que Médine aime : les sonorités un peu synthétiques. Comme tous les bangers, je vois toujours la petite tête de Médine qui débarque en disant ‘elle est pour moi celle-là’ explique le producteur. Il envoie alors la prod’ à Médine, qui profite de l’espace de la maison qu’il occupe à La Rochelle pour écouter le son au volume max : « On l’a fait sonner à toute patate dans la maison, et ça a fait l’unanimité. Il y avait quelque chose de très entrainant dans les notes, j’ai dû l’écouter pendant 45 minutes sans m’arrêter, j’étais vraiment marqué par l’instru. J’ai commencé à gratter dessus, j’étais déjà en train de faire un casting ‘tiens je vois bien untel, untel et untel. Et puis on pourrait faire une version longue, une version ultra longue !’ On était déjà dans des concepts marketing alors même que la prod’ venait juste d’arriver  » se souvient le rappeur.

Elle casse vraiment des gueules cette instru’

Il avait déjà la thématique du « Grand Paris » en tête, un nom qui désigne la capitale comme une grande métropole mondiale englobant la petite et la grande couronne. Médine a toujours une idée précise de ce à quoi ressembleront ses projets : « Je fonctionne beaucoup à l’envers de mes confrères. Je trouve déjà les thématiques, le tracklisting je l’ai déjà plus ou moins avant même les instrus et les textes. Je sais de quel sujet j’ai envie de parler, autour de quels mots j’ai envie de fédérer. Grand Paris c’est un mot qui résonne. Médiatiquement parlant j’entends, et depuis longtemps on entend ce terme à l’école. Je me disais c’est quoi le Grand Paris ? J’ai fait mes propres recherches et je me suis dit ça sonnerait bien pour un titre « . Quand au fameux pont « La banlieue influence Paname, Paname influence le monde…« , Médine s’est inspiré d’un reportage sur les sneakers, expliquant comment Brooklyn a influencé New York, et New York le monde de la mode. En associant cette réalité au rap, très influent dans les jargons, dans l’argot, dans l’esthétique en général, Médine s’est réapproprié ce concept.

C’est avec ce thème en tête que Proof a conçu une instru très offensive, et la topline qui va avec, c’est-à-dire la mélodie du refrain et le fameux « C’est nous le Grand Paris !  » : « Je lui ai proposé la topline qui allait avec parce qu’une mélodie m’est tout de suite venue en tête. J’essaye de ramener cette fraîcheur, de ramener la prod, le refrain et puis des toplines de flow. Des trucs assez précis. Ca facilite le taf de Médine, il est concentré sur ses textes » explique le beatmaker,  » La difficulté, c’est que quand tu conçois quelque chose c’est un peu comme tes enfants, t’es incapable de dire quel est le meilleur de tes gosses ! C’est là que je m’appuie sur les mecs comme Salsa ou comme Médine qui sont là pour me rassurer et me dire ‘on est dans la bonne direction’. Le soir même, Médine a eu la prod et la topline « . Et l’Arabian Panther n’est pas le seul à péter un plomb sur cette instru qui deviendra l’hymne parisien que l’on connaît : « Je me souviens des réactions, les gens de l’extérieur disaient ‘Elle casse vraiment des gueules cette instru !’ « 

Différentes générations de rappeurs

Comment je vais finaliser un morceau avec 7 rappeurs différents dessus ?

Pour avoir le meilleur titre possible, Médine souhaite mélanger les générations de rappeurs. Il contacte les artistes auxquels il pense en faisant son propre casting. La plupart acceptent sans hésiter, certains refusent l’invitation, pour des raisons de planning ou d’envie, et s’en mordent probablement les doigts aujourd’hui : « J‘espère qu’ils le regrettent secrètement au fond d’eux. Parce que ça a donné un bon morceau, le résultat a eu un écho médiatique vraiment pas mal ! J’espère en faire un deuxième et qu’ils soient dessus.  » C’est donc Médine, Lartiste, Lino, Sofiane, Ninho, Alivor, Seth Gueko et Youssoupha qui se préparent à kicker. L’artiste du Havre les laisse écrire leurs couplets sans les contraindre de forcer le trait sur la thématique « Grand Paris » : « Parfois quand t’expliques trop un thème, le gars essaye d’être trop précis dans sa démarche et c’est pas vraiment lui. J’ai balancé le couplet, ça a balisé le terrain mais de façon très large« .

C’est en septembre au studio Bomayé Musik que l’enregistrement s’est organisé. Médine revient alors tout juste de Marseille où il vient de boucler un morceau avec Keny Arkana, qui n’est pas paru sur l’album :  » C’était un peu un échec pour moi de pas avoir réussi à boucler un morceau satisfaisant pour nous et pour elle. Quand on est arrivé chez Boomayé, je me suis dit ça va être technique, si j’arrive pas à boucler un morceau avec une seule rappeuse, comment je vais finaliser un morceau avec 7 rappeurs différents dessus ? « .

Contre toute attente, les planètes s’alignent et tous les artistes contactés répondent présent dans les 48h :  » Il y a une espèce de contre-baraka bizarre, tout le monde a réussi à venir. Tout s’est passé en studio, tout le monde est venu poser son couplet, certains avaient déjà un peu gratté avant, d’autres ont pris la nuit pour écrire. Je me souviens qu’on avait besoin d’un ingénieur du son pour le lendemain parce que les ingés de chez Boomayé étaient pas disponibles. Donc on a du faire appel à un autre ingé du Havre qui a fait le voyage exprès. Il était à 8h à Paris pour pouvoir faire le recording de Seth Gueko « .

En studio, c’était le hall !

Réunir tous ces rappeurs pour un même son était un pari osé, surtout avec ce mélange des générations. C’est ce qu’explique Julien Thollard, chef de projet chez Din Records :  » En vrai, c’était tellement inespéré d’avoir tout le monde. Même Ninho, qui était pas forcément prévu au début, on lui a dit de passer le jour même et il est venu. On a essayé d’équilibrer entre les nouveaux, les anciens, pas mettre Médine et Lino dès le début par exemple. » C’est toute la structure du titre qu’il fallait penser, même si sur le moment, en studio, l’ordre d’apparition n’était pas respecté. Médine raconte :  » En studio, faut vraiment se plier aux exigences des gars. Si le gars te dit je veux poser à ce moment-là, tu le fais poser à ce moment là. Après c’est toi qui fais ta tambouille derrière et qui replace les gens, qui essaie de donner une cohérence à tout ça, mais en studio faut que le gars soit vraiment à l’aise, donc du coup chacun posait là ou il voulait, c’était souvent sur le même passage de l’instru. Et là en plus il y avait du monde dans le studio, c’était le hall ! « 

Forcément, 8 rappeurs pour un même morceau nécessitait des coupes. Lino, Seth Gueko (pour ne pas les citer) et Médine lui-même ont ainsi du « passer au hachoir » comme il le raconte :  » Lino nous a cassé les c******, il avait fait un couplet beaucoup trop long, c’est pas le seul. Il y a des phases plus fortes que d’autres, ça arrache le coeur pour un artiste d’enlever un bout mais il faut se plier au jeu. Il y a des formats, surtout quand t’invites 7 rappeurs. Le morceau ne peut pas se permettre de faire 11 minutes sinon on décroche.  » Avec des tas de versions différentes, le deuxième travail opéré par Proof a été d’ajuster l’instru selon l’ordre de passage des rappeurs : « Mon travail après c’était de mettre un ordre, mélanger les générations. On s’est dit qu’il fallait qu’il y ait des surprises, comme en cuisine quand tu mélanges acidité et croquant, les critères de sélection des bons plats « .

J’ai l’impression que c’est le clip qui a déclenché le truc

Pour l’équipe de Médine, Grand Paris n’aurait pas eu le même impact sans son clip. En 2011, le rappeur sortait un titre un peu similaire dans l’esprit, Téléphone Arabe, mais qui n’avait pas été clippé.

Le public découvre Grand Paris le 24 février à la sortie de l’album Prose Elite, et le visuel trois jours plus tard. Soucieux de montrer l’authenticité et l’artisanat derrière ce morceau, Médine pose une condition au tournage, avoir une scène où tous les rappeurs sont réunis : « C’est bien de réunir des mecs sur un seul morceau mais tu peux te dire que ça a été enregistré par studios interposés, qu’il y a eu des montages, que tout le monde ne s’est pas réuni à l’heure où aujourd’hui il y a beaucoup de difficultés à réunir un casting pareil. Et bien le clip immortalise le fait qu’on a tous été ensemble à un moment donné. Ca fait une belle photographie du rap français  » déclare l’artiste de Din Records.

Réalisé par Mallory Meignant, le clip présente des images des rappeurs à des endroits stratégiques de Paname ou dans leur quartier, et tous réunis dans un studio.  » Peu importe que ça soit dans un airbnb, dans un studio, à la Cigale, chez Booska-P, il me fallait une scène où tous les rappeurs étaient là et c’était ma seule condition  » plaisante Médine. Quant à l’idée apportée par Salsa et une jeune créatrice des maillots de foot type thaïlandais portés par les artistes, le but était d’homogénéiser l’ensemble. Avec le 99 comme numéro neutre, le but était de symboliser le Grand Paris par un département abstrait.

C’est un peu notre Niggas in Paris

Evidemment, le résultat est explosif sur scène. Morceau phare des shows de Médine, le titre est un incontournable dont le rappeur se sert pour électriser la salle. « Je commence le morceau, je le pull up, je dis le public n’est pas prêt pour ce morceau-là. C’est une espèce de carotte : si vous voulez ce morceau-là, il va falloir vraiment se réveiller et jouer le jeu « . Alivor, constamment à ses côtés pendant les lives, lui permet toujours de faire au moins deux couplets et un refrain. La suite, c’est le public qui s’en charge :  » Ca s’arrête quand eux sont essoufflés et souvent ça va jusqu’à la fin. C’est un peu notre Niggas in Paris « . Quand certains des rappeurs sont disponibles, Médine les invite à faire leurs couplets :  » Je fais des espèces de minis Grand Paris. J’ai pas encore réussi à réunir tout le monde mais ma plus grande performance c’était à la Cigale : Fianso, Ninho, Alivor, Youssoupha, Lino, manquait que Seth Gueko et Lartiste « .

Pour l’équipe Din Records, le challenge est non seulement réussi, mais s’inscrit en plus dans la longueur : « L’objectif c’était vraiment de montrer le côté unité. Il y avait eu Paname Boss mais ça faisait un moment qu’il n’y avait pas eu des événements collectifs. Pour nous Grand Paris c’est l’événement de l’année dernière pour Médine et pour toute notre équipe. Ca a permis de toucher une nouvelle audience et de mettre en lumière la mise à jour musicale de Médine » explique Julien Thollard. Car avec Prose Elite, l’interprète de Bataclan a opéré un virage musical et s’est renouvelé en s’essayant à la trap, tout en gardant la richesse lyricale que tout le monde lui reconnaît.

Après les premiers extraits destinés à teaser l’album comme Global, Enfant du destin ou le titre éponyme Prose Elite, Médine est arrivé avec un banger imparable signant la plus récente mise à jour de son rap : «  Ca faisait quelque temps qu’il avait fait une mise à jour, qu’il se mettait à faire de la trap, qu’il utilisait même de l’autotune, qu’il était plus fort dans les refrains. Ca a pas mal aidé pour le renouvellement de l’image et de la direction artistique de Médine et 15 millions de vues, c’était jamais arrivé. Parfois certaines collab’ ne donnent rien, là les gens étaient unanimes «  analyse Julien.

Pour Proof, le beatmaker, le résultat final était plus que réussi, dans un esprit de compétition sain : « Ils ont tous joué le jeu, ils ont fait le job et chacun à sa manière, avec un peu l’esprit de compétition mais sans enjeux, que de la performance, comme au All Star Game « . Pour lui, le morceau s’est imposé comme une référence : « J’ai eu la sensation que le morceau était arrivé aux oreilles de tout le monde. Quand tu dis ‘j’ai produit Grand Paris’, ça répond ‘Ah okay !!’, ça facilite. C’est un peu comme si t’avais un magasin sur les Champs Elysées « . Selon le chef de projet de Din Records, le titre a même influencé au-delà de la musique :

« Aujourd’hui Nike fait des concours Grand Paris, c’est pas anodin. C’est un événement économique et politique pour la ville de Paris, mais quand Nike le fait, on sait très bien que c’est parce qu’ils ont vu le morceau. Aujourd’hui on voit Moha La Squale avec Nike, nous on était déjà dans ça avec les maillots. J’avais essayé de démarcher des marques urbaines pour Grand Paris mais on était dans des timing ultra serrés. J’pense qu’ils se disaient peut être pas que ça allait avoir ce résultat là et tout. Si on le refaisait aujourd’hui on pourrait très bien faire une collab’ avec une grosse marque et faire un truc encore plus chaud !« 

Finalement, le morceau Grand Paris a ouvert Médine à un autre public, parfois même jusqu’à devenir la principale référence pour les jeunes : « C’est plus Grand Paris que le label Din Records ou bien le nom de Médine. Le jeune public dans la rue disait « Ouais Grand Paris ! » sans vraiment savoir qu’il y a une carrière longue de presque 15 ans derrière, et moi ça je le prends très bien parce que c’est aussi le jeu de mélanger les générations et c’est marrant ! » plaisante le rappeur.

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