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21 savage, de la rue au sommet des charts [DOSSIER]

21 savage, de la rue au sommet des charts [DOSSIER]

Fort d’un buzz relatif, 21 Savage a conclu une belle année avec « I am > I was », son deuxième album solo. Focus sur un artiste qui ne doit rien à personne.

A l’occasion de la sortie de son album I was » target= »_blank »>I am > I was, focus sur 21 Savage.

Rien ne prédestinait 21 Savage à la carrière qu’il entreprend aujourd’hui. Ayant grandi à Atlanta, à l’instar d’illustres confrères comme Future ou encore Gucci Mane, le jeune rappeur s’est tenu éloigné du rap pendant longtemps, lui préférant les sombres charmes de la rue.

Un homme formé par la violence et le crime

Shayaa Bin Abraham-Joseph est né dans la misère et a grandi dans le sang. Avec sa mère, ses quatre frères et ses six sœurs, ils enchaînent les appartements délabrés dans lesquels ils dorment les uns sur les autres. A la précarité se mêlent également la violence et la criminalité : prégnants à Atlanta, ces poisons insidieux sont allés jusqu’à infecter sa famille. Dès l’âge de huit ans, son oncle Dae Dae lui présente son .38, lui explique son utilisation et ses dangers. Loin d’être méfiant ou apeuré, Shayaa éprouve une fascination morbide pour cet engin de mort alors bien trop grand pour ses mains d’enfants. Pour le combler, il se voit offrir des faux pistolets à tous ses anniversaires. Il simule des fusillades avec ses nombreux frères en attendant de pouvoir réellement s’armer.

Alors âgé de treize ans, il est régulièrement pris à partie par des gamins de son âge. Pour se venger, il vole un pistolet de chez lui, le coince sous sa ceinture, enfile son cartable et se dirige d’un pas décidé vers l’école, prêt à en découdre. Intercepté par le personnel de l’établissement, cette folie lui coûtera une exclusion et un placement en détention juvénile. A Panthersville, centre très difficile, il se forge sous les coups. Les rituels y sont très violents : lorsqu’un nouvel adolescent intégrait la maison d’arrêt, les autres plaçaient une friandise sur son lit. S’il la mangeait, le nouveau se voyait catalogué comme un souffre-douleur.

Une fois sorti de cet enfer juvénile, il tombe dans le trafic de drogue qui lui tendait les bras. En effet, ce commerce illicite, au-delà d’être très courant à Atlanta, est une véritable affaire de famille : sur le titre Ocean Drive, il confesse qu’un de ses oncles lui avait appris à cuisiner du crack alors que sur Still Serving, on note que le tonton continue de vendre de la drogue à 49 ans. Les rudiments sont très vite assimilés et 21 Savage devient une petite frappe locale : en 2014, la police l’arrête alors qu’il est passager d’une voiture qui transporte 22.6 grammes d’herbe, 89 pilules d’hydrocodone (un dérivé de la codéine), deux armes de poing, et près de 2000 dollars en cash.

Quand le destin sème la mort autour de Shayaa

Ses activités illégales auraient pu lui coûter la prison, mais aussi la vie. Le jour de son 21ème anniversaire, Shayaa et son meilleur ami Johnny avaient un rendez-vous pour une transaction. Les deux hommes n’ont pas vu le piège se refermer autour d’eux et l’échange se transforme en braquage : Johnny est tué d’une balle dans la tête et Shayaa prend six balles alors qu’il vide son chargeur sur ses assaillants. Il survit miraculeusement à cette pluie de plomb. Après avoir trompé la mort, il ferme méticuleusement les paupières de son défunt ami, traîne sa carcasse ensanglantée hors de la voiture et s’allume une cigarette en attendant les secours. L’âme de Shaaya semble s’être complètement évaporée. Pour que son corps s’en souvienne, il se tatouera son nom sur le torse.

Le corps de Shayfaa est un véritable mémorial. Son tatouage le plus connu et probablement le plus intime est la dague qu’il arbore entre ses deux yeux. Son origine est funeste : après une réunion avec ses frères, ils s’étaient mis d’accord pour faire le même tatouage que Tony Montana dans Scarface, une lame entre le pouce et l’index. Seul l’un d’entre eux, le jeune Quantivayus, surnommé Tayman, s’est opposé à l’emplacement. Il s’est emparé d’un pistolet et l’a pointé au milieu de son front : le tatouage, il le voulait à cet endroit. Après que ce frère soit mort dans un deal de drogue foireux, 21 Savage a exaucé son souhait. Un autre de ses très proches amis, Larry, est mort sous les balles avec sa mère, Tamika. Leurs noms ont rejoint celui de Johnny sur le corps de Shayfaa.

Poussé par l’ennui, Shaaya devient 21 Savage

Aucune de toutes ces épreuves ne l’a écarté du chemin du crime. L’homme vivait bien de ses activités illicites. Toutefois, de son propre aveu, Shaaya s’ennuyait à mourir et a donc décidé de dépenser l’argent qu’il avait de côté dans des sessions studio parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire. Devenu 21 Savage au micro, il connaissait déjà Metro Boomin avant la musique et l’a donc contacté. Le producteur lui a envoyé des beats et est né Drip, le morceau fondateur d’une connexion qui fera date. En effet, en juillet 2016, les deux s’unissent pour un projet nommé Savage Mode qui a bousculé le rap mondial. Sur des instrumentales ténébreuses, 21 Savage fend l’obscurité avec sa machette : il crache ses menaces et son egotrip sans jamais s’emporter. Mieux, son rap lent, monocorde et parfois même chuchoté décuple l’aura terrifiante du rappeur. Aujourd’hui, l’influence de ce projet se ressent particulièrement dans la drill britannique, notamment celle qui émane des quartiers londoniens.

Fort de son succès d’estime, il s’attire les regards des plus grosses têtes d’affiche du rap. Sa collaboration en fin d’année avec Drake sur le morceau clipé Sneakin’ propulse le rappeur bien au-delà du public de niche trap qu’il avait traumatisé quelques mois plus tôt. En juillet 2017, il choisit de capitaliser sur sa notoriété nouvelle avec son premier album solo, Issa Album. Alors que l’EP précédent était un concentré pur de trap noire, ce disque a permis à 21 Savage de varier ses registres et de montrer qu’il pouvait exceller sur des beats sombres (Whole Lot), des titres bien plus lumineux (FaceTime, Thug Life) voire même de signer des tubes (Bank Account).

Le succès commercial autour de cet album a rendu le monstrueux 21 Savage bankable. Il figure ainsi cette année sur de nombreux gros albums qui ont trôné sur les cimes des charts. Ainsi, on a pu l’entendre aux côtés de Cardi B sur Bartier Cardi ; il a également signé avec Post Malone un tube international nommé Rockstar ; il a donné une leçon de trap à Travis Scott sur NC-17, il accompagne les débuts en solo de Quavo sur PASS OUT et il participe au retour en grâce de Meek Mill avec son couplet sur Pay You Back.

I am > I was, la consécration de 21 Savage

A la fin de l’année, 21 Savage, fort d’un buzz phénoménal, a délivré son deuxième album très attendu et maintes fois repoussé i am > i was le 21 décembre dernier : même le calendrier fait des clins d’œil à la star d’Atlanta. Assurément, le rappeur a signé une des meilleures sorties de l’année.

Ce qui marque sur cet album, c’est avant tout la présence de nombreux featurings, non crédités sur la tracklist afin d’en garder la surprise. Habituellement, le rappeur préfère être seul ou très peu entouré pour ses projets solos, bien qu’il délivre régulièrement des couplets pour d’autres artistes. Cette fois, 21 Savage a mis le paquet sur les invités. J. Cole, Yung Miami, Offset, Post Malone, Gunna, Lil Baby, Project Pat, ScHoolboy Q, Childish Gambino, Travis Scott ou encore son cousin Young Nudy sont au casting du disque. Si certains d’entre eux, sont évidents, le premier grand tour de force de 21 Savage sur cet album est d’avoir plongé J. Cole et Childish Gambino, deux artistes éloignés de la trap, dans son univers musical.

Puis, en se plongeant dans les affres de i am > i was, on constate que le disque est très estampillé Three 6 Mafia, groupe culte originaire de Memphis, créé par DJ Paul, Juicy J et Lord Infamous. Actif depuis le début des années 90, le collectif a développé un rap que l’on appelle horrorcore, inspiré des films d’horreur les plus atroces : sur des productions funestes composées par DJ Paul ou encore Juicy J, les rappeurs déroulent des textes barbares et sanglants. Le groupe est capital dans l’histoire de la musique puisqu‘il est un précurseur de la trap, avec UGK, mais également un des premiers acteurs du rap à introduire la codéine dans leur musique.

Un artiste qui revisite son personnage

21 Savage a construit sa popularité sur un univers monstrueux mais froid et monolithique. Toutefois, sur i am > i was, il a su faire évoluer son univers musical sans jamais le trahir. Il s’est inspiré de la musique de la Three 6 Mafia pour plusieurs morceaux : avec break da law, nommé comme un titre iconique du groupe daté de 1995, le rappeur déploie ses ailes de gangster ultime sur une production métallique qui se meut en cloches sinistres semblables à celles d’une bande-son de film d’horreur ; sur good day, il sample Damn I’m Crazed, un morceau de DJ Paul et Lord Infamous, et signe une ode aux meurtres avec Project Pat, un légendaire rappeur de Memphis et frère de Juicy J ; enfin, sur a&t, en référence à Azz & Tittiez du Hypnotize Camp Posse – une collaboration entre le groupe de Memphis et les artistes de son label -, 21 Savage s’inspire du côté festif et glauque de la Three 6 Mafia pour un titre extrêmement entraînant, assisté par le refrain volontairement criarde de Yung Miami.

En outre, 21 Savage a retravaillé en profondeur sa direction artistique. Souvenez-vous : sur Issa Album, le rappeur d’Atlanta mêlait à son style musical apocalyptique et corrosif des morceaux d’amour mielleux alors que sa romance avec Amber Rose en était à ses balbutiements. Si ces derniers étaient réussis, ils tranchaient avec le personnage inhumain développé par 21 Savage. Sur i am > i was, 21 Savage a évincé ces titres pour signer un disque beaucoup plus cohérent. Evidemment, l’album est varié dans les registres : outre les titres outrageusement sombres et violents, il déplore le revers de la médaille de sa célébrité nouvelle sur son entourage à travers le mélancolique all my friends ; il renonce à l’amour, source de désillusions, et part à la recherche de loyauté sur ball w/o you ; enfin, sur letter 2 my momma, il dédie l’album à sa mère dans une ode touchante et pleine de pudeur à la fois.

Pas de doute sur le postulat du rappeur : il est bien meilleur aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été.

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