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The Chronic contre 2001 : quel est le meilleur album de Dr. Dre ?

The Chronic contre 2001 : quel est le meilleur album de Dr. Dre ?

Dans l’histoire du rap, peu nombreux sont ceux dont la discographie compte deux vrais classiques (Drake avec Take Care et Nothing Was The Same, Jay Z avec Reasonable Doubt et Blueprint, Outkast avec ATLiens et Speakerboxxx/The Love Below, Kenrick Lamar avec Good Kid, M.A.A.D City et To Pimp A Butterly…).

Et parmi eux, encore moins nombreux sont ceux dont les classiques ont redéfini à eux seuls les canons du genre.

D’ailleurs, à bien y réfléchir, Dr. Dre semble être le seul à pouvoir s’en vanter : que ce soit avec The Chronic en 1992 ou avec 2001 en 1999, l’impact a en effet été tel que l’on peut sans exagération parler dans les deux cas d’un avant et d’un après.

Chéris aussi bien par l’ancienne école que par les nouvelles générations, ces deux albums ont ceci de particulier d’être à la fois très similaires et très différents l’un de l’autre.

Le terrain est donc tout trouvé pour se lancer dans un énième débat sans réponse qu’affectionnent tant public, artistes et journalistes.

[Car oui, non seulement la réponse apportée en fin d’article est mille fois subjective, mais elle est également susceptible de changer d’un jour à l’autre selon l’humeur de l’auteur.]

La pochette

Idée aussi saugrenue que de juger un livre à sa couverture, comparer les pochettes de The Chronic et de 2001 n’en permet pas moins de se mettre dans l’ambiance.

Là où The Chronic reprend un peu à l’arrache le visuel de marque de feuilles à rouler Zig-Zag en collant la tête de Dre affublé d’une casquette et de boucles d’oreille que le Michael Jordan de la même époque n’aurait pas reniées, 2001 se la joue plus classe avec un fond noir sur noir et une tentative de logo vert forêt/fluo.

Avantage cependant au premier, qui, outre le fait d’avoir permis d’écouler des brouettes de merchandising, a été parodié à toutes les sauces depuis trente ans.

Les ventes

Point de comparaison très discutable toujours, si l’on s’en tient aux chiffres officiels (ceux de la Recording Industry Association of America), il n’y a pas photo.

Classé troisième des charts en première semaine, The Chronic a été certifié trois fois platine sur le sol US. Aidé notamment par le fait que le rap est devenu entretemps une véritable force commerciale, 2001 a lui démarré second, avant de dépasser la barre des six millions exemplaires un an plus tard.

Bon, en vrai, ces scores sont aujourd’hui largement sujet à caution, la R.I.A.A. ne les ayant pas mis à jour depuis plus de vingt ans. Et entre les diverses rééditions, l’international et le streaming, il ne serait pas délirant de multiplier ces deniers au moins par deux.

Avantage in fine à 2001, même si en vrai balec’ des ventes.

Les featurings

Bon, là ça commence à se corser.

Quasi-album commun avec Snoop (il intervient sur dix des quinze pistes), The Chronic convie en sus une tripotée de rappeurs et crooneurs du cru (les chiens fous Kurupt et Daz, Lady of Rage, RBX, Jewell, Nate Dogg…).

Tous anonymes au moment de l’enregistrement, si ceux que l’on surnommera très vite les ‘Death Row inmates’ réussiront ensuite chacun à se faire un nom, ce qui marque peut-être le plus, c’est la parfaite osmose qu’ils dégagent.

La plupart remettent d’ailleurs le couvert sur 2001, tandis que, hausse du budget oblige, quelques plus gros poissons viennent se joindre à la fête – Devin the Dude, Mary J. Blidge, Xzibit et bien sûr Eminem.

Avantage 2001 serait-on tenté de conclure, à ceci près que le maître des lieux a un peu abusé sur les invit’ en conviant des rookies à très faible valeur ajoutée (Ms. Roq, Six-Two, l’escroc Hittman…) qui font plus retomber le soufflé qu’autre chose.

Du coup, avantage (d’une courte tête) The Chronic qui fait quand même moins compilation.

Les couplets de Dr. Dre

On en oublierait parfois presque qu’il arrive au bon docteur Young de rapper sur ses propres albums.

Réputé pour ne pas avoir le flow le plus fluide qui soit, sur The Chronic, il se fait parfois franchement pataud, et ce d’autant plus si en comparaison Snoop rappe à ses côtés.

Moins boom bap sur 2001, il bénéficie en plus du concours de certaines des meilleures plumes de la décennie, que ce soir Jay Z qui lui a écrit une biographie expresse (Still D.R.E.), Eminem qui lui a montré comment rapper comme lui (Forgot About Dre) ou encore Royce Da 5’9 qui a rendu hommage à son frère décédé (The Message).

Désolé D.O.C. donc, mais l’avantage revient ici clairement à 2001.

Les singles

LE battle de carapaces rouges, avec Nuthin’ but a ‘G’ Thang/Fuck wit Dre Day/Let Me Ride pour The Chronic versus Still D.R.E./Forgot About Dre/The Next Episode pour 2001.

Candidats au titre de meilleur morceau rap de tous les temps, les leads G Thang et Still D.R.E. sont tout bonnement impossibles à départager.

En revanche Fuck wit Dre Day et Let Me Ride sont un ton légèrement en dessous de Forgot About Dre et The Next Episode.

D’une part, parce qu’à trop s’empêtrer dans des histoires de beefs Fuck wit Dre Day manque de pertinence, et de l’autre, parce que Let Me Ride n’a pas rencontré un succès fou dans les charts.

À l’opposé, Forgot About Dre demeure à ce jour l’une des meilleures performances ever d’Eminem, tandis que The Next Episode s’est imposé comme un hymne dans toute soirée qui se respecte.

Avantage 2001.

Les clips

Critère secondaire certes, mais critère qui a son importance tant le G-funk est indissociable de l’imagerie qu’il véhicule.

Les clips de The Chronic font quasiment office de documentaire sur les us et coutumes de la côte ouest (la ride, les après-midis barbecue, les chemises à carreaux…), quand ceux de 2001 reprennent la formule pour la doper aux stéroïdes.

En somme, si vous êtes branché réalisme, avantage au vintage The Chronic. Si au contraire, votre truc ce sont les blockbusters, avantage au clinquant 2001.

Les interludes

Dieu que les rappeurs aimaient les skits à rallonge dans les années 90

Toutes ne sont pas à jeter (la parodie de jeu télévisé The $20 Sack Pyramid sur The Chronic, le cours de réalisme Ed-Ucation sur 2001), mais entendre Dre beugler en faisant l’amour sur The Doctor’s Office ou un acteur porno éjaculer dans l‘œil d’une fille dans Pause 4 Porno est gênant pour le monde.

Avec six interludes sur 23 pistes (!), 2001 décroche la timbale.

Avantage The Chronic.

La production

Le gros du débat, forcément.

Tempo ralenti, orchestration live, samples de George Clinton, sirènes funky… avec The Chronic Dr. Dre a élaboré un son rond et onctueux qui s’écoute en avalant (ou en s’imaginant avaler) les kilomètres de route au volant d’une Chevy Impala ‘64.

Plus cool, tu meurs.

Désireux de « perfectionner sa formule », sur 2001 Dre a concentré ses efforts sur le traitement du son. Les instrumentales sont ainsi d’une netteté absolue, à l’image de ces lignes de batterie et de ces boucles de piano faussement minimalistes.

Au-delà des goûts et des couleurs de chacun, difficile de nier que des deux galettes, c’est 2001 qui a le mieux vieilli.

L’impact culturel des productions

Plus encore que la domination commerciale de l’écurie Aftermath sur le rap mainstream du début du siècle, 2001 a initié la domination du son Aftermath.

C’est bien simple, à cette époque, pour peu que vous allumiez la radio ou tendiez une oreille sur MTV Base, tous les artistes affiliés à Dre (Eminem, 50 Cent, The Game…) ou évoluant dans son giron (Mary J. Blidge, Eve, Busta Rhymes…), posaient sur des variations de 2001.

Symbole de ce run incroyable, lorsque sort en 2004 Beg For Mercy du G-Unit, Dr. Dre a beau ne coproduire que deux pistes sur dix-huit, tout le reste de l’album ressemble à une tentative de faire du Dre.

Le diagnostic est en revanche fort différent pour The Chronic dont la vibe gangsta funk est restée cantonnée à la Californie – à un Notorious B.I.G. près sur Big Poppa, il ne serait venu à l’esprit de personne à New York ou ailleurs de dupliquer le son d’une ville concurrente.

L’influence de The Chronic est pourtant capitale : il s’agit ni plus ni moins de l’album qui a changé le cours du rap. De la même manière que Rakim l’a fait pour le flow, Dre a fait basculer les instrumentales dans l’ère de la musicalité.

Oui, sans The Chronic, le rap serait peut-être tout simplement passé de mode.

Avantage, The Chronic donc.

Les skips

Qu’importe les cris d’orfraies des stans du Diggidy Docteur, The Chronic et 2001 ne sont pas des disques parfaits.

La faute dans un cas comme dans l’autre à leur seconde partie en deçà.

Après avoir balancé ses trois singles sur les cinq premières pistes (?!), à compter de Lil’ Ghetto Boy, The Chronic enchaîne les briques (Rat-Tat-Tat-Tat et Bitches Ain’t Shit!), les morceaux qui se ressemblent (Lyrical Gangbang et Stranded On Death Row) et les interludes.

Même configuration avec 2001 qui, pour une raison qui n’appartient qu’à Dre, passé les gros featurings, s’encombre de fillers franchement cringe (Murder Ink et son sample au bulldozer du thème d’Halloween, le très poussif solo d’Hittman Ackrite, le balourd Bang Bang…).

Avec une tracklist composée de 16 pistes contre 23 pour 2001, The Chronic limite la casse.

Verdict

Trop de featurings, trop d’interludes, trop de temps morts… en tant qu’album, 2001 ne peut que s’incliner. Sa replay value a beau être supérieure à celle de son rival, ses hauts ont beau être très hauts, ses bas plombent l’ensemble.

Plus cohérent, mieux équilibré, The Chronic remporte le combat aux points.

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