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Plugg, DMV, Hyperpop… Le rap de demain qui vient d’hier

Plugg, DMV, Hyperpop… Le rap de demain qui vient d’hier

Crédits photos visuel : Aïda Dahmani pour Yard.

Plug music, DMV Flow, Hyperpop, Sample Drill, Slay… Vous avez probablement entendu ces termes ces derniers mois, voire années. Souvent associés les uns aux autres, ces styles musicaux sont pour autant bien distincts. Qu’évoquent-ils précisément ? Ces styles de rap qui émergent en Europe et notamment en France sont déjà plus qu’installés aux États-Unis. Cependant, ils ne sont encore pris en considération que par une niche d’auditeurs et sont méconnus du grand public, qui a dû mal à définir ces évolutions musicales. Pourquoi ces styles de rap sont-ils tous associés malgré leurs différences sans conteste ? On tente de répondre à ces questions avec quelques-uns des pionniers de ces différents styles en France, à savoir 8Ruki, Serane, Jwles, ThaHomey et Babysolo33, ainsi que Robs Azaria, rookie et auditeur.

Une origine commune

Sans compter l’Hyperpop, un genre musical bien à part, un des points communs de ces différents styles réside dans leur origine. Tout droit venue de la côte Est des États-Unis, cette nouvelle façon de rapper a commencé à prendre de l’ampleur dans les années 2016/2017 avec l’apparition d’artistes comme Asap Ant, Baby Smoove, Slimecito ou encore l’évolution musicale de Playboi Carti, qui a commencé à rapper sur des instrumentales de Plug à cette période.

Bien qu’elle soit fréquemment associée au DMV Flow, La Plug Music n’a aucun lien direct avec ce style puisqu’il s’agit d’un type de productions. Le DMV flow, quant à lui, réside dans le fait de rapper en overlap (hors-temps en français). La Slay, tout comme les deux genres cités précédemment, est un dérivé de la trap, qui est reconnaissable dans la rapidité et la brutalité des instrumentales plug. L’Hyperpop se différencie des autres genres par sa diversité. Directement inspiré des courants Eurodance, new beat, pop et rap, l’Hyperpop est un genre très varié, qui ne se cantonne pas qu’au rap. Il a été développé et mis en lumière par le collectif et label anglais PC Music il y a quatre ans.

Une Trap plus légère

La Plug Music (ou plugg) ne date pas d’hier. Les auditeurs de rap US ont inéluctablement déjà entendu des productions plug, sans forcément mettre un mot dessus. Il s’agit pourtant bien d’un genre à part entière, qui a été popularisé ces dernières années. Comment définir la Plug ? Dérivé de la Trap, il s’agit d’un type de productions beaucoup plus douces et planantes, aux drumps légères et aux kicks très mélodieux. La Plug a émergé grâce à la plateforme SoundClound, qui a réuni un collectif de producteurs d’Atlanta : BeatPluggz. Créé par BeatPluggTwo, il est composé de cinq autres membres : A$att, Corey Lingo, Polo Boy Shawty, StoopidXool et MexikoDro. Même s’ils revendiquent être à l’essence de ce qu’on appelle aujourd’hui la Plug, le collectif reconnait avoir puisé ses inspirations chez le producteur Zaytoven. Les producteurs ont commencé à travailler avec des grosses têtes d’affiche du rap US telles que Playboi Carti, Rich The Kid ou encore Kodak Black. Un des premiers titres qui a obtenu un succès majeur n’est autre que Plug, un featuring des trois artistes cités, produit par MexikoDro.

Depuis, le style ne fait que croitre et les producteurs de Plug se multiplient. On retrouve entre autres : Chinatown, DJ Young Kash, XanGang, CashCache… De nombreux rappeurs américains se sont spécialisés dans ce genre et commencent à s’imposer. On compte parmi eux : Baby Smoove, Diego Money ou encore Goonew. Cependant, la Plug ne s’arrête pas aux frontières des États-Unis. Le genre a voyagé jusqu’en Europe et notamment en France, en grande partie grâce à Soundcloud. Serane est un des pionniers du genre en France. Français d’origine argentine, le rappeur tire en partie ses inspirations d’artistes comme Playboi Carti et MexikoDro, il a dévoilé en 2020 son album Prise Music (traduction de plug), qui ouvre la porte à la Plug française et à la DMV. Il explique avoir commencé la musique avec son meilleur ami, TTdaFool (un beatmaker américain) : « À la base, je ne faisais pas du tout de Plug. J’étais dans un style plus R’n’B et je chantais beaucoup plus. On devait dropper un projet dans ce style mais je ne me reconnaissais pas dedans. Je me suis mis à faire de la DMV sur des prods Plug et j’ai tout de suite kiffé. Autant dans le style musical que dans le mode de vie qui va avec. »

La Plug est un style encore sous-estimé et incompris dans l’hexagone. Il va donc avec ses éloges et ses critiques. Serane est un des artistes ayant fait directement face à elles sur les réseaux sociaux. Il fait preuve de distance et assume entièrement son rap : « À chaque fois que je sors un truc, ça va parler. Mais je m’en fous, j’y vais à fond. Je m’habille comme je veux et je fais la musique que je veux. Je ne fais rien pour les gens ou pour l’image. Je me concentre sur les gens qui kiffent et donnent de la force à ce que je fais. Je pense que plus tard, on sera vu comme des icônes incomprises. Il y aura plus de gens qui vont comprendre le truc et qui vont adorer, mais il y a toujours une partie du public qui ne va pas comprendre et pas adhérer au mouvement. Ça fait partie du jeu. »

Serane est loin d’être le seul à rapper sur des productions plug. On retrouve de nombreux artistes francophones dans son style (très planant et axé sur le côté drippeur) dont : 8Ruki,ThaHomey, Rowjay, JMK$, Kasper 939, Yuri Online… Mais la Plug est un genre varié qui accueille de multiples visions artistiques. Jwles est un des acteurs de la Plug en France. Il a un côté très authentique et auto-dérisoire dans ses morceaux, qu’il admet facilement : « Pour moi, le hip-hop, c’est l’expression de soi. Je cherche juste à être moi-même dans mes morceaux. Toute la scène de la new wave est très différente, c’est pour ça que pleins de styles naissent à l’intérieur même de ces genres. »

Directement associé à la Plug, la DMV est pourtant bien dissociable du premier genre. La distinction est simple : la Plug constitue un type de productions, le DMV flow désigne une façon de rapper. L’origine du terme DMV est incertaine. Il aurait été initié en 1995 par Dre All Day in the Paint, un passionné de Hip-Hop basé à Washington. Il a organisé de multiples soirées dans trois états situés autour de la capitale américaine : le District de Colombia, le Maryland et la Virginie. Son objectif était de mettre en lumière des jeunes artistes rassemblés dans ces états. Le deuxième protagoniste qui a mis en lumière la DMV n’est autre que 20Bello, un vidéaste et rappeur originaire de Washington. Il a adopté ce terme pour associer les artistes originaires des trois états cités plus haut. Au fil des décennies, les artistes se sont appropriés l’appellation pour décrire un flow spécifique, qui a émergé dans cette région des États-Unis. 

Un débit très rapide

Évolution de la Trap, le DMV Flow se définit par une façon de rapper bien particulière. Les rappeurs ne s’appuient pas sur l’instrumentale pour poser. En overlap, les rappeurs doivent enregistrer leur texte phrase par phrase, de manière à superposer les derniers mots sur les premiers du phrasé suivant. Cette technique permet un débit très rapide, le tout sur un ton très souvent monotone. L’effet produit à l’oreille est particulier mais permet de plonger l’auditeur dans une ambiance qui fait voyager dans une sphère parallèle. Cet exercice relève d’une expérience très maitrisée. Paradoxalement, les acteurs de ce mouvement revendiquent l’aisance de poser en DMV.  Ils peuvent enregistrer sans avoir écrit de texte au préalable et faire le tout au feeling. 

Le style a commencé à émerger en 2017, par le biais de plusieurs rappeurs avant-gardistes dont Hoodrich Pablo Juan (notamment avec We don’t luv them), Rx Peso et Rx Hector. De nombreux pionniers de ce style de rap ont pris de l’influence avec les années dans toute la côte Est des États-Unis : Keezah, Lil Dude, Baby9eno, Q Da Fool, Xannan, IDK ou encore Slimesito, une des plus grosses figures du style.

Avant d’arriver en France, le DMV est passé par le Québec avec des acteurs comme Rowjay ou encore Jeune Loup (décédé des suites d’une fusillade en août 2021). Très inspirés par ce nouveau flow tout droit venu des Etats-Unis, les deux rappeurs ont adapté le mouvement dans la langue de Molière et ont œuvré pour le propager outre atlantique. En 2018, ils se sont associés à 8Ruki, un rappeur français encore méconnu à l’époque, pour produire le son Geeked Up.

Né en 1994, 8Ruki grandit dans la région parisienne avec des influences R’n’B. Inspiré par des artistes tels que Diego Money, Playboi Carti, Hoodrich, Goonew (décédé il y a peu) ou Lil Dude, il s’intéresse rapidement à la Plug et au DMV Flow. Le déclic se produit quand il part pour la première fois à Montréal et rencontre Jeune Loup et Rowjay. Par la suite, le rappeur issu du collectif 8Scuela crée le label 33 Recordz pour lui permettre une liberté sans limites. De nombreux rappeurs ont suivi le mouvement et participent à l’éclosion de la DMV francophone. Parmi eux, on retrouve entre autres les rappeurs cités ci-dessus. Robs Azaria, auditeur et artiste en développement issu du collectif Entre4murs, explique selon lui la raison pour laquelle la Plug et la DMV sont autant associés l’une à l’autre : « L’oreille lie les deux automatiquement, c’est donc difficile pour un auditeur novice de dissocier la plug et la DMV. La mentalité et l’idée artistique peuvent être associés dans ces deux genres. »

Le DMV Flow réside également dans le story-telling, le plus souvent personnel. Les rappeurs exposent leur vie sans tabous et sans complexes, une façon pour l’auditeur de s’évader tout en restant ancré dans une certaine réalité.

Si le DMV Flow est directement affilié à la Plug, d’autres styles découlent ainsi de ce genre de productions. La Slay, par exemple, est un style encore considéré comme « de niche » car peu utilisé et propagé. Également dérivé de la trap, la Slay se distingue par un type de productions plus brutales que la Plug. Les productions sont plus poussées, avec des effets de distorsion ajoutés comme un supplément. Dans les pionniers du genre, on peut citer Summrs, Kankan, Autumn ou encore Iayze. 

La Sample Drill, produite également par les rappeurs du DMV ou de la Plug, est, comme son nom l’indique, tout droit dérivée de la Drill. Elle provient du Queens et du Bronx, avec des pères fondateurs tels que Shawn Bin Laden et son producteur Cash Cobain. La Sample Drill se caractérise par des samples d’artistes phares du hip-hop des années 90 : Jay-Z, Snoop Dog, Biggie, Tupac… Le style a émergé en grosse partie grâce à TikTok. À l’instar de la madeleine de Marcel Proust, les auditeurs de Sample Drill expliquent leur attrait pour ce style par une certaine nostalgie.

Souvent associée aux autres styles à son insu, l’Hyperpop est pourtant très différente du DMV flow ou de la Plug. Dérivé de l’Eurodance des années 2000, l’Hyperpop est un nouveau genre musical à part entière. Vision hypertrophiée de la musique populaire et inspiré de la culture japonaise, il ne se cantonne pas qu’au rap même s’il est exécuté par de plus en plus de rappeurs. C’est le label et collectif britannique PC Music qui met en avant le genre. Son fondateur, AG Cooks, explique vouloir « abattre les murs qui séparent les genres musicaux ». L’objectif de l’Hyperpop est clair : partir explorer la musique et l’expérimenter jusqu’à son paroxysme. Dans l’idée artistique, les inspirations sont directement puisées sur la pop culture des années 2000 : des animés à Britney Spears, tout y passe. Il permet à des artistes qui se sentent en décalage de leur génération de s’identifier et de s’émanciper sans jugements de valeurs.

Un genre musical très varié

Une des sources d’inspirations du mouvement n’est autre que Skrillex, DJ et producteur légendaire qui œuvre dans la dubstep et l’EDM. De multiples figures de l’Hyperpop se démarquent depuis plusieurs années. On compte entre autres AG Cooks, Charli XCX, la défunte Sophie, Shine, Dorian Electra, Capoxxo, 645 AR, David Shawty ou encore MidWxst.

En France, le style commence peu à peu à se démocratiser même s’il reste encore incompris du public dit mainstream. On retrouve plusieurs références du genre telles que Winnterzuko, Babysolo33 (qui sera à l’affiche de nombreux festivals cet été) ou encore Snorunt… Originaire de Bordeaux, Babysolo est une artiste qui ne se cantonne pas à un style en particulier. Elle pose en grande partie sur des productions Hyperpop mais ne se considère pas comme actrice du genre pour autant. Une façon de justifier l’objectif initial d’AG Cooks. Elle explique : « J’aime dire que je raconte des histoires. Je peux poser sur tous types de productions et je cherche surtout l’émotion qui ressort de l’instrumentale. » 

Le Règlement s’est récemment intéressé au cas de Winnterzuko, revenant sur son histoire, son flow et ses textes tout en décryptant le mouvement.

Tous ces styles se rejoignent en un point : leur côté avant-gardiste, inspiré de mouvements musicaux passés. Que ce soit le DMV Flow, la Plug ou encore l’Hyperpop, ces mouvements sont tous novateurs à leur échelle. Tous comme la Trap ou la Drill, ils possèdent chacun de multiples sous-genres qui offrent une diversité artistique sans égal. Cependant, cette diversité a ses limites dès lors que, mal définis, les genres sont confondus entre eux. 

ThaHomey reconnait qu’il peut être difficile pour un auditeur de nominer les différents styles : « Il faudrait mettre un nom sur le fait de mixer tous ces styles, parce que les gens se perdent entre tous ces différents genres. Au final, c’est de la musique, si tu aimes le flow, c’est le principal. »

Qu’on apprécie ou non ces nouveaux genres musicaux, on peut considérer que c’est en prenant compte les richesses artistiques du passé et en les associant avec les techniques du présent qu’on est en train de fabriquer le rap du futur.

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