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Horrorcore : le rap qui fait peur a-t-il sa place en France ?

Horrorcore : le rap qui fait peur a-t-il sa place en France ?

Dès les premières pages de l’histoire du rap, la violence et les anecdotes horrifiques ont été des sources inépuisables de références pour les artistes du genre. Les années 70 et 80 ayant été des puits à chefs-d’œuvre du cinéma d’horreur tels que Massacre à la tronçonneuse, l’Exorciste, Shining ou encore Hellraiser. L’influence de ces derniers dans la pop culture n’a pas échappé au champ lexical des rappeurs. Si de façon globale, ces inspirations se sont retrouvées de part et d’autre en filigrane partout dans le rap à travers des décennies, elles ont contribué de façon considérable à modeler l’esthétique de la musique de certaines scènes américaines : celles de Cleveland et de Memphis viennent alors immédiatement à l’esprit.

Ce rap porte le nom d’Horrorcore et connaîtra son apogée dans les années 1990. Si l’Horrorcore restait jusqu’ici un son typique de certaines localités et symptomatique d’une époque désormais lointaine, le style connaît une résurgence inédite, en Angleterre comme chez nous. Halloween oblige, c’est donc l’occasion parfaite de faire un retour sur cette musique macabre et sa récente résurrection avec l’explosion de la UK Drill.

L’horrorcore, un genre aussi culte que niché 

Il est difficile de retracer une genèse précise à l’horrorcore. Une chose est certaine, le style ne date pas d’hier puisqu’il est né aux Etats-Unis à la fin des années 1980. Certains attribuent la parenté du genre aux rappeurs du sud tels que les Geto Boys de Houston, d’autres à Ice-T de Los Angeles. Il y aurait de bons arguments pour savoir lequel des deux s’y est jeté en premier, tant les uns comme les autres avaient dès leurs premières sorties mis en lumière ce qui fait toute la sève du genre : une violence outrancière dans les textes ainsi que des références au cinéma d’horreur. A titre d’exemple, les deux premiers albums (Rhyme Pays et Power) de Ice-T contenaient par ailleurs à chaque fois un sample du thème musical du film L’Exorciste.

Plus tard, au début des années 1990, le genre se popularisera et donnera naissance à des formations mémorables telles que les Gravediggaz de New York ou le Insane Clown Posse de Detroit. Néanmoins, ce sont deux collectifs qui feront passer au stade supérieur l’Horrorcore en y ajoutant toute une véritable dimension mystique : les Bone Thugs-N-Harmony de Cleveland et la Three 6 Mafia de Memphis. En poussant à leur paroxysme les références cinématographiques et sataniques, les deux groupes ont chacun développé une mythologie unique : place prépondérante des Ouija et du paranormal, ésotérisme en tout genre, lexique toujours plus violent et gore… Cette formule marquera plus d’un et permettra de faire de ces deux groupes parmi les plus prolifiques et populaires de l’histoire du Hip-Hop. Ce succès simultané ne manquera d’ailleurs pas de provoquer une embrouille mémorable entre les deux entités, qui, après de multiples rebondissements, finira par s’achever en décembre dernier dans un battle de classiques Verzuz d’anthologie.

Ce rap, après avoir connu son apogée commerciale, deviendra pour le moins niché et, sans jamais quitter le paysage rapologique, ne retrouvera jamais plus ses sommets commerciaux d’antan aux Etats-Unis, mais il continuera de satisfaire ses aficionados avec des artistes plus undergrounds, sur Soundcloud notamment.

Un genre longtemps incompris en France ?

Si l’on a bien trop souvent entendu que longtemps, le rap français n’a été que le rap américain avec un nombre variable d’années de retard, cette affirmation est bien trop partielle. Certes, la plupart des types de rap ont vu germer avec succès leur ersatz français. Cependant, certains genres, dont l’Horrorcore, n’ont pas rencontré la gloire auprès des artistes et du public comme cela a pu être le cas aux Etats-Unis. Cette idée de l’influence en filigrane prend ici tout son sens. Finalement, il n’y a eu que très peu d’artistes se revendiquant réellement de ces influences.

Certes, les rappeurs français n’ont pas manqué l’occasion d’être violents dans leurs textes et de se comparer aux figures cultes de l’horreur telles que Michael Myers, mais ils n’ont jamais vraiment été friands du bagage complet du genre et pendant longtemps, aucun d’entre eux n’a axé toute son image ainsi. Peut-être que malgré tout, les mêmes différences culturelles entre l’Hexagone et les Etats-Unis qui rendent peu crédible les simples traductions de rap américains sans adaptation préalable aux réalités françaises empêchent l’Horrocore d’avoir sa symétrique chez nous.

Jusqu’à il y a assez peu de temps, le rap francophone n’a finalement laissé que très peu de place à la fiction. Il se pourrait bien qu’en France, les artistes tels que Kaaris et Alkpote aient été, grâce à leur image hyper sombre et leurs textes violents et borderlines, les meilleurs tenants de l’Horrorcore « à la française »

La drill ou l’émergence tardive d’un Horrorcore à la française

Importée du Royaume-Uni et installée depuis désormais trois ans comme la sonorité incontournable du rap du début des années 2020, la UK Drill a amené avec elle une résurgence de l’horrorcore. Toute l’imagerie basée autour du noir et blanc, des couteaux et des masques a fait naître autour d’artistes anglais tels que Block 6 ou Official TS une aura similaire à celle qu’ont pu connaître les groupes d’horrorcore américains.

La drill s’étant pleinement importée en France, elle a permis de voir enfin émerger chez nous une vraie scène horrorcore, portée par des artistes tels que Ziak ou Menace Santana. Ce dernier, porteur d’une image très forte, a d’ailleurs sorti un freestyle intitulé Boosk’Halloween sur la chaine YouTube de Booska-P.  

A l’instar de Menace Santana, beaucoup de rappeurs du genre embrassent l’image horrifique en rappant totalement masqués et en développant une imagerie forte en ce sens. Ce parti-pris est payant puisque le genre connaît un succès sans précédent en France : Ziak collectionne les certifications sur son album Akimbo (Platine) comme ses singles tels que Fixette (Diamant).

Le genre semble avoir de beaux jours devant lui puisque Menace Santana affiche complet à son Bataclan de ce soir d’Halloween… Une date décidément bien choisie !

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