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Comment les rappeurs essaient de nous faire racheter des CD ?

Comment les rappeurs essaient de nous faire racheter des CD ?

On le pensait fini. Mort et enterré. De l’histoire ancienne. Et puis ce bon vieux CD physique est revenu dans nos voitures, nos enceintes et comme déco sur nos étagères. Ces derniers mois, quelques rappeurs ont connu un franc-succès avec leurs ventes de disques. On pense évidemment à Orelsan et les chiffres fous de Civilisation – une ironie pour un artiste qui chantait La mort du disque avec Gringe en 2013.

Mais le rappeur caennais n’est pas le seul. Laylow a également vendu beaucoup de CD avec L’étrange histoire de Mr. Anderson : 15 000 disques physiques vendus en première semaine, contre 19 000 équivalent-ventes en streaming. Même chose pour Dinos qui annonçait après la sortie de Stamina avoir « vendu un tout petit peu plus en physique qu’en streaming ».

Le disque revient de loin. En 2010, il représentait 84 % du chiffre d’affaires de l’industrie musicale. Dix ans plus tard, en 2020, ce chiffre tombe à 28 %, selon les données du SNEP, le syndicat de patrons qui réunit les plus grandes maisons de disque françaises. L’année 2020 a même été particulièrement compliquée pour le CD et vinyle, puisque les magasins étaient fermés pendant plusieurs mois, à cause de l’épidémie de covid-19.

« On a mis les 1500 exemplaires en vente à 18 heures, à minuit il ne restait plus rien ! »

Pour l’instant, il est trop tôt pour observer un retour du disque dans les chiffres. Mais l’optimisme est présent.  « Aujourd’hui, on a des éléments très encourageants sur le support physique et en particulier le CD, se réjouit Alexandre Lasch, le directeur général du SNEP. On voit l’engouement sur certains artistes, comme Orelsan. Certains projets ont rencontré un succès en physique y compris chez un public jeune, alors qu’on pouvait penser que le CD, c’était des disques de variété achetés en grande surface. La réalité est tout autre ! »

« Jouissif de créer un album physique »

Différentes stratégies de marketing originales ont permis ce succès. Orelsan, toujours lui, a caché cinq tickets d’or dans ses disques, qui donneront accès à vie aux concerts de l’artiste. Mais ce n’est pas tout : pas moins d’une quinzaine de versions du disque sont disponibles dans les bacs. Quelques exemples du CD sont seulement disponibles en 500 exemplaires, ce qui crée de la rareté… et fait mécaniquement monter son prix à la revente.  

Autre stratégie : celle de Caballero & JeanJass. Le duo bruxellois sort Zushiboyz, un EP de 9 titres, le 15 décembre. Sa particularité ? En fait, il y en a deux. La première : il est uniquement dispo en vinyle. La deuxième : il n’y a que 1500 exemplaires mis en vente. Là aussi, de quoi créer un effet rareté. Le vinyle se revend déjà à 100 euros sur Le Bon Coin.

« On a mis les 1500 exemplaires en vente à 18 heures, à minuit il ne restait plus rien ! », sourit Cassandra Soupart, cheffe de projet chez Back In The Dayz, l’agence de management qui encadre Caballero & JeanJass. Pour elle, Zushiboyz est avant tout un projet artistique, presque artisanal. « C’est beaucoup plus jouissif de créer un album physique que de simplement l’importer sur une plateforme de streaming. On a eu de très longues discussions sur le vernis de la pochette, sur la couleur, on teste, on essaie, puis on aboutit à un résultat. »

Même si le streaming a permis au rap français de franchir un (énorme) cap économique, il semblerait que les artistes et leurs entourages veulent aujourd’hui un peu s’en éloigner. Comme ‘Caba’ et ‘Double J’, certains souhaitent à nouveau se servir de leurs mains, pour créer un objet que l’on peut toucher. Tout l’inverse d’un album sur Spotify ou Apple Music.

« Je sais que ça m’a coûté trois ou quatre fois plus cher de faire un CD comme ça plutôt qu’un disque normal »

« Pour l’album Split de Josman, on avait donné beaucoup d’importance au détail. On a utilisé un vernis mat argenté qui reflète la lumière, un papier mat pour le livret, reproduit des photos de Marius Gonzalez [le réalisateur de Josman] pour que tu te plonges dans son univers. On s’est bien fait chier ! » rigole Mathieu Tessier, patron du label Sideline et producteur de Josman.

Et même s’ils ont passé beaucoup de temps sur la fabrication du CD, aucun regret : « Josman adore le petit détail qui ne sert à rien, sauf à lui faire plaisir, rigole son producteur. Je sais que ça m’a coûté trois ou quatre fois plus cher de faire un CD comme ça plutôt qu’un disque normal. Mais c’était un kiff de faire ça. »

Enfin, les rappeurs essaient aussi de nous faire racheter un CD avec un nouveau procédé : le direct to consumer. Dans ce modèle, l’auditeur commande le CD sur un site internet dédié – comme laylow.fr – et le reçoit par colis. C’est tout. Pas d’intermédiaire comme les magasins, du type FNAC ou Carrefour. « Ce modèle économise 30 % de frais, car c’est de l’argent qui ne va pas à la FNAC ou à Carrefour. Donc ces 30 %, tu les mets dans ta poche. C’est énorme », s’enthousiasme Sophian Fanen, journaliste pour Les Jours et auteur du livre Boulevard du stream : du MP3 à Deezer, la musique libérée.

Un disque apporte de l’argent plus rapidement

Toutes ces techniques marketing pour un avantage bien particulier : « Les revenus du CD sont beaucoup plus élevés que ceux du streaming », poursuit Sophian Fanen. « On estime qu’un artiste gagne un euro sur la vente d’un CD. Et si le rappeur est signé en contrat d’artiste, son label gagne 3 ou 4 euros », explique-t-il.

En streaming, c’est différent. Même si les chiffres sont changeants et difficiles à lire, le cabinet Statista et le journal Business Insider estiment que Spotify rémunère, en moyenne, 0,003€ par écoute. Donc si un rappeur fait 20 millions d’écoutes sur un album sur Spotify (comme Orelsan avec Civilisation), lui et son label doivent se répartir environ 60 000€. « Mais Spotify prend 30 % de marge, et la SACEM 15 % pour le redistribuer, ajoute Fanen. Donc il reste peut-être 30 000 € au rappeur et au label. Mais il faut aussi ajouter à ce chiffre les revenus des autres plateformes : Deezer, Apple Music, YouTube, etc. »

« On estime qu’un artiste gagne un euro sur la vente d’un CD »

En fait, le disque apporte de l’argent plus rapidement. « C’est ça le plus important, souligne le journaliste. Le CD est un business à court-terme, alors que le streaming a une durée de vie beaucoup plus longue. Un CD se vend surtout en première semaine, voire le premier mois. Alors que le streaming dure plus sur la longueur : si tu aimes un rappeur, tu l’écoutes, le réécoutes, tu le mets dans tes playlists… »

Reste désormais à savoir ce que vous allez trouver sous le sapin, un CD dédicacé ou une compilation des hits des années 80. On préférera sans doute la première option.

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