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Booba, le rappeur aux mille et un visages [DOSSIER]

Booba, le rappeur aux mille et un visages [DOSSIER]

Booba célèbre cette semaine ses quarante printemps. Vingt ans après ses débuts, analyse…

Le 9 décembre 1976 Élie Yaffa venait au monde. Quarante ans et huit albums solo plus tard, Booba est toujours là.

Alors que les carrières dans le rap dépassent rarement les quelques saisons et que le milieu ne se montre guère tendre avec ses légendes, ses états de service en font un cas à part, tant ici dans l’Hexagone… que là-bas de l’autre côté de l’Atlantique.

Quel autre rappeur a su en effet conserver le même degré d’intensité qu’à ses débuts ?

À l’exception du grand Eminem, personne chez les 20 ans d’âge. Krs One a rejoint depuis bien longtemps le cimetière des éléphants, Jay Z a manqué le train de la nouvelle génération, Snoop a dilapidé son héritage dans un éclectisme des plus chaotiques, Dr. Dre vit sa vie de semi-retraité…

Certes l’Ourson n’a jamais vraiment été le plus gros vendeur de son époque. Devenu le fleuron d’un rap tricolore, il puise sa longévité dans sa capacité à se renouveler sans cesse, à digérer les vagues du moment sans passer pour une girouette.

Booba c’est le rappeur toujours dans la tendance, toujours dans la bonne direction bien que ses détracteurs pensent qu’il se contente de suivre la mode et de capitaliser sur son image de marque. Booba c’est le rappeur aux mille et un visages.

La voix du ghetto

Quand Booba et son compère Ali surgissent sur la scène rap à la fin des années 90, l’onde de choc est immédiate. Portés par une complémentarité sans faille, les deux membres de Lunatic s’assument chacun dans leur rôle : tandis qu’A.L.I. fait baigner ses textes dans une certaine hauteur, le B.2.O.B.A. tout juste sorti du hebs rappe la rue comme personne avant lui et redéfinit les canons du hardcore.

Pendant que les stickers 45 colonisent la capitale, Mauvais Œil et Temps Mort tournent non-stop dans toutes les caisses. Osef les pyramides et les délires hashipéhashopé, la banlieue française trouve là son ambassadeur le plus sombre.

Le lyriciste agréé

Bien entendu ce côté cru et sans filtre ne serait rien ou si peu s’il ne s’accompagnait pas d’un coup de plume haut de gamme. Passage obligé de tout portrait du Duc, c’est le moment de citer l’article que personne n’a lu de Thomas Ravier dans La Nouvelle Revue Française qui le compare de loin à Céline.

Bien qu’hermétique au moindre livre, Élie Y. broie à longueur de textes des références qu’il synthétise en quelques rimes. Si le fond tourne vite en rond (violence, voitures, égo, vie facile…), la forme fait passer son « puzzle de mots et de pensées » pour un exercice de style permanent.

Ses épigones ne seront malheureusement pas tous affublés du même talent…

Le conteur d’histoires

Au fur et à mesure de sa carrière, les textes du MC de Bakel vont se mettre à dépeindre une réalité de plus en plus fantasmagorique. Dans un 9.2. confiné en bastion de l’illégalité et du gangstérisme de bandes dessinées (bien que le département des Hauts-de-Seine soit l’un des mieux nantis de France), ses égotrips se font aussi excessifs que grandiloquents.

La musique étant avant tout de l’entertainment, les quelques entorses de son CV à la crédibilité de rue ne gênent que ceux qui n’écoutent pas ces albums blockbusters à un degré 5 (ou à 1,5 degré, on n’a jamais vraiment su).

Le rêveur américain

Les yeux rivés sur l’Amérique des films, Booba duplique sur disque le catéchisme matérialiste de l’Oncle Sam, allant jusqu’à copier-coller dans le moindre détail les discours de ses homologues nouveaux riches.

Impôts trop chers, éloge du communautarisme, dénonciation de l’assistanat, culte de la libre entreprise… c’est finalement sans surprise que l’autodidacte made in France s’en est allé poser ses guêtres XXXL dans la Floride de Lebron James et Rick Ross, un gros fuck à la Meurthe-et-Moselle dans le dos.

Plus Menace II Society que La Haine, l’Hexagone n’est plus pour pour lui plus qu’une étape de tournée promotionnelle.

L’entrepreneur

BEP vente en poche, celui qui n’a « jamais taffé » se partage désormais avec Dawala le titre de premier mogul de France.

De l’indépendance de ses débuts à l’avènement d’Unküt, en passant par ses activités de chef de label ou sa marque OKLM qu’il décline en site, appli et chaine de télévision, Booba carbure à l’esprit « For Us By Us »« On n’est jamais mieux servi que par soi-même » dans la langue de Molière.

Désigné récemment businessman de l’année par GQ, on imagine aisément que la distinction l’ait réjoui plus que n’importe quel NRJ Awards.

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L’icône

Ce qui différencie Booba de beaucoup de ses confrères, c’est le soin constant apporté à son image. Si à l’époque Lunatic le duo n’aimait guère se mettre en lumière, Booba esthétise ensuite au maximum ses apparitions solos.

Clips, shootings photo, interviews télé… pas question de se laisser filmer en claquettes en bas des blocs. Les tractions et les prot’ aidant, jusqu’à 0.9 ses pochettes d’albums le dévoilent toujours un peu plus.

Économiquement parlant il s’agit de refourguer un max’ de polos U tréma, mais aussi de cultiver l’admiration des fans.

Aujourd’hui, Saddam Hauts-de-Seine règne en maitre sur Instagram, et n’hésite d’ailleurs pas à faire de ses enfants des petites vedettes des réseaux sociaux.

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Booba-le-troll

Pendant longtemps réfractaire aux clashs pour cause de distances, Booba entretient habilement les rivalités dont il fait l’objet depuis qu’il a flairé la bonne affaire médiatique et commerciale.

Passé maître dans l’art du hashtag viral (#JePeuxPasJaiPingPong, #DucOnATouchéLaCible, #TaMèreLeGnou…), s’il est souvent celui qui souvent s’en tire le mieux derrière son écran, c’est notamment grâce à un second degré dont ses adversaires manquent parfois cruellement.

Dans un autre registre (un peu moins stérile il faut l’admettre), sa guerre ouverte avec Skyrock lui a donné une nouvelle dimension.

Le renifleur de tendances

Mais comment passer des ambiances à la Mobb Deep ou Smif-n-Wessun à la fraîcheur autotunée d’un Young Thug ? De l’écoute de Ma Définition à celle de Mon Pays ? Des sonorités afro-caribéennes de Validé ou du récent DKR à un feat avec Christine ? Le Météore ne s’en est jamais caché : en débusquant la tendance avant qu’elle n’explose.

Là où beaucoup radotent un succès passé ou s’enferment dans des postures à court terme, l’idée serait plutôt de vivre avec son temps et de faire évoluer sa musique en fonction.

Si tout le monde aime RZA et DJ Premier, qui achètent encore leurs disques ? Puristes et nostalgiques n’ont jamais été de ceux qui se lèvent tôt.

Le loup solitaire

En dépit des honneurs, des disques d’or, de l’exposition médiatique, Booba continue de cultiver le mystère autour de sa personne. Reclus sur le mont de Tallac (FL), il donne cette impression de ne s’être encore jamais complétement livré, d’en garder sous la semelle.

Agit-il de la sorte par pudeur, par modestie, ou par simple calcul marketing ?

La suite de sa carrière sera peut-être l’occasion de creuser dans cette voie, d’explorer des horizons inédits et d’ajouter un nouveau visage à sa collection… à moins qu’il ne finisse définitivement par « s’exiler dans un endroit où les Hommes ne vont jamais et où il ne risque pas d’être abattu comme une bête malfaisante ».

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