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Le chant est-il devenu indispensable pour percer ? [DOSSIER]

Le chant est-il devenu indispensable pour percer ? [DOSSIER]

Focus sur la place du chant dans le rap !

Alors que les rappeurs d’hier ont dû s’adapter sur le tard aux techniques de chant, la nouvelle génération maîtrise naturellement la question. Peut-on réellement percer sans chanter à l’heure actuelle ?

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Le chant comme nouvel outil de diversification

Trente ans après ses premiers couplets rappés en français, le rap est enfin installé comme le genre musical dominant chez nous, trustant le haut des charts chaque semaine avec une continuité impressionnante. Sa longévité et surtout sa santé toujours plus solide tient dans un ensemble de critères entrecroisés (son aspect subversif et contre-culturel à ses débuts, son rôle de porte-parole de la jeunesse ensuite, son adéquation parfaite avec l’industrie du streaming aujourd’hui) mais surtout dans sa capacité à se métamorphoser continuellement et à remettre en cause chacun de ses codes et chacune de ses certitudes de cycle en cycle. Plus que tout autre genre musical, le rap s’est distingué par le renouvellement de ses propres tendances, par sa propension au brassage avec d’autres types de sonorités, et par le turnover constant de ses principales têtes d’affiches. Si le rap existe encore aujourd’hui et surtout, s’il est aussi fort et influent, c’est bien parce qu’il a su évoluer et pousser ses artistes à se diversifier toujours plus.

L’un des principaux bouleversements connus par le rap au cours de la décennie écoulée concerne directement la notion d’interprétation : autrefois cantonnés à une manière figée d’appréhender leurs morceaux, ils n’avaient d’autre choix que de rapper, laissant à d’autres le soin de prendre en charge les éventuelles parties chantées -généralement, les refrains. Pendant de longues années, une frange précise d’artistes a été appelée sur une majorité d’albums pour jouer ce rôle parfois ingrat et rendre plus radiophoniques les singles des têtes d’affiche du rap français. Chanteurs (J.Mi Sissoko, Blacko) ou chanteuses (Kenza Farah, Wallen, Kayliah) selon les sonorités recherchées, le rap évoluait selon un système très binaire où rap et chant n’étaient absolument pas miscibles.

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Sur la fin des années 2000, les premières tentatives de chant par les rappeurs se concluent par quelques succès d’estime mais surtout beaucoup d’incompréhension de la part du public. Green Money pose ainsi les premières pierres d’un rap français nuageux et aérien, La Fouine penche vers la chanson française et réussit la transition grand public, la scène dite « alternative » tente des hybridations, et Mala joue la carte de l’autotune sur l’album Himalaya, tout comme Booba sur l’album 0.9. Décrié par les auditeurs mais aussi par une grosse majorité de rappeurs, l’outil autotune finit pourtant par faire son chemin et se démocratiser, d’autant qu’il s’est imposé aux Etats-Unis depuis des années. A terme, il finit par permettre aux rappeurs français de s’affranchir de leur dépendance aux chanteurs et chanteuses dédiés, et d’entamer une transformation très progressive de leur discipline.

Des charts dominés par les rappeurs convertis au chant

Dans le rap actuel, tout le monde -ou presque- chante. Il suffit de jeter un oeil au sommet des charts pour s’en rendre compte : Niska, Vald, Ninho, Maes, Booba, PNL, Jul… ceux qui enchainent les tubes et braquent l’industrie du disque ne se contentent surtout pas de rapper, misant sur les possibilités bien plus porteuses offertes par la musique actuelle. Dans certains cas, la frontière entre le statut de rappeur porté sur le chant et celui de pur chanteur est d’ailleurs très floue, et on se retrouve même aujourd’hui -situation impensable il y a quelques années- avec de véritables chanteurs adoptant petit à petit les codes et l’esthétique du rap. Pourtant, au vu de la transition difficile entre rap et chant il y a une dizaine d’années, le résultat était loin d’être couru d’avance. A l’époque, les tentatives sont encore timides, d’une part à cause du rejet opéré par la majorité du public, et d’autre part pour la maîtrise encore incertaine de l’autotune et des techniques de chant.

Rappeurs et public ont donc fini par prendre goût aux titres chantés, au point de risquer l’overdose -on en arrive au point où l’on se surprend à redécouvrir que certains artistes rodés à l’exercice savent kicker, comme l’ont prouvé les réactions au Journal Perso II de Vald, ou aux couplets nerveux de Maes sur ses derniers feats avec Niro ou Vald. Du côté des têtes d’affiche, il est devenu extrêmement rare d’écouter un album complet sans tomber sur le moindre titre chanté (à titre de contre-exemple, citons Projet Blue Beam de Freeze Corleone), y compris chez des profils plus traditionnels (Médine, Rémy) ou plus street (Kekra). Depuis l’arrivée de PNL, la combinaison « chant et thématique bicrave » a d’ailleurs explosé, aboutissant quasiment à la naissance d’une catégorie à part parmi les rappeurs.

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Pour la jeune génération, chanter est devenu aussi naturel et évident que rapper, et la structure même du rap français tend à être redéfinie. Là où, pendant des années, des rappeurs chevronnés et confirmés avaient dû déconstruire pour s’adapter au chant en réapprenant leurs bases, on se retrouve aujourd’hui avec toute une vague d’artistes nés dans cette musique hybride où le chant revêt autant d’importance -voire plus- que le rap pur et dur. Pour eux, la question ne se pose finalement même pas, tant il est intégré dans leur programme que la réussite d’un rappeur à l’heure actuelle tient dans sa capacité à maîtriser les mélodies, à mettre en place des ambiances efficaces, et à proposer des refrains addictifs.

La panoplie du rappeur complet en constante évolution

Entre influences latines, tendances afro, ouverture pop, rythmiques reggaeton, ambiances vaporeuses, le rap français tire aujourd’hui sa richesse d’une infinité de sonorités et de références, s’élargissant en une multitude de sous-genres extrêmement variés. Les rappeurs, et en particulier ceux de la nouvelle génération, en sont bien conscients : pour être bien certain de ne pas passer à côté de leur sujet, ils n’hésitent donc pas à élargir leur palette en ne négligeant aucun des aspects du rap actuel : maîtriser les techniques de chant est par conséquent aussi primordial que les fondamentaux d’une autre époque, quand savoir poser dans les temps et calculer le bon nombre de pieds pour chaque mesure était la base de tout apprenti-rappeur.

L’éclectisme extrême du rap actuel pourrait aussi présenter l’effet inverse et permettre aux rappeurs de passer sur certains fondamentaux comme le chant pour mieux se concentrer sur les particularités d’un sous-genre : à titre d’exemple, pas besoin de savoir kicker si l’idée est de faire dans le mumble-rap nuageux, et pas besoin de maîtriser le chant pour livrer un album de pur boom-bap. Pourtant, les sous-genres ont de plus en plus tendance à se croiser, et on n’est plus surpris d’entendre le cloud-rappeur Sanguee kicker sur certains titres du dernier projet de Triplego, ou Rémy, considéré par certains comme l’héritier d’une génération des lyricistes axés sur le piano-violon, chanter sur son dernier album.

Précurseur de ce mariage des techniques en France, sous l’influence de Young Thug et Future, Hamza définissait ainsi son style en interview chez Noisey en 2015 : « je me sens à la fois pleinement rappeur et pleinement chanteur ». A force de croiser rap et chant, la définition même de rap tend en définitive à s’effacer, si bien que les artistes sortant de l’ombre ces dernières années ont de plus en plus le profil d’hybrides préférant miser pleinement sur l’un et sur l’autre plutôt que se contraindre à privilégier un créneau plus qu’un autre. Maîtriser le chant en plus des autres fondamentaux du rap n’est donc pas une nécessité absolue, mais ouvre le champ des possibles et multiplie les possibilités de réussite.

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