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American Gangster est-il un classique ou juste un bon film ?

American Gangster est-il un classique ou juste un bon film ?

A l’occasion des dix ans du biopic de Frank Lucas, la question reste posée…

New-York, 1968. Quand le légendaire parrain noir de Harlem Bumpy Johnson succombe d’une crise cardiaque, c’est son chauffeur et garde du corps Frank Lucas (Denzel Washington) qui reprend discrètement la conduite de ses affaires.

Inconnu des services de police, il organise en pleine guerre du Viêtnam un trafic d’héroïne d’un genre nouveau. Avec la complicité de militaires présents sur place, il importe la drogue en la cachant dans les cercueils des soldats rapatriés au pays. Très vite, le marché se retrouve inondé d’un produit de qualité supérieure vendu à un prix inférieur.

Travaillant uniquement en famille, pas flashy pour un sou, Lucas s’affranchit complètement des intermédiaires traditionnels, prenant ainsi à revers les autorités aveuglées par une corruption endémique, mais aussi la Cosa Nostra sicilienne qui ne voit pas d’un très bon œil l’arrivée de ce concurrent, noir de surcroît.

Il faudra tout le flair et la perspicacité d’un flic réputé incorruptible, Richie Roberts (Russell Crowe), pour comprendre et déjouer ce système.

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« My man… »

Sur le papier, American Gangster réunit tous les ingrédients du film à succès : scénario inspiré d’une histoire vraie (et notamment de l’article de presse The Return of Superfly du New York Magazine), dimension politique et sociale (le Viêtnam, la lutte pour les droits civiques), acteurs au sommet de leur game (les rôles principaux bien sûr mais aussi, les seconds, Josh Brolin et Cuba Gooding Jr. en tête), réalisateur chevronné (Ridley Scott)…

Et à l’écran, le résultat est là. Longue de 157 minutes, cette fresque criminelle au classicisme assumée remplit allègrement son cahier des charges.

La mise en scène est appliquée, la reconstitution des seventies minutieuse, l’intrigue ciselée. Russell Crowe, en émule décadent d’Eliott Ness est plus vrai que nature. Washington, en col blanc pourvoyeur de mort est minéral comme jamais.

Bref tout irait pour le mieux, si à force de trop étaler son savoir-faire le film ne finissait pas par souffrir un peu trop ostensiblement du syndrome du bon élève.

À l’ombre des géants

Au fond, le principal problème de cet American Gangster est qu’il est sorti trente ans trop tard, un laps de temps qui a vu naître toute une flopée de classiques qui ont fait la gloire du septième art (du Parrain à French Connection en passant par Les Affranchis).

Et comme s’il n’était déjà pas assez difficile en soi d’apporter une touche d’originalité et de fraîcheur à cet univers, en jouant délibérément la carte du rétro Ridley Scott s’expose de plein fouet à cette comparaison.

Là où il eut été intéressant (mais aussi sacrément casse-gueule) de relever le défi, le métrage choisit au contraire de se complaire dans une certaine familiarité. Recroquevillé dans sa zone de confort, Scott travaille ainsi la forme à n’en plus finir jusqu’à sombrer dans une pose aux limites du complexe d’infériorité.

Dans le désordre, cela donne l’éternel Bobby Womack en BO, des références bourrines à Nixon, au Watergate et au Black Power en guise de toile de fond historique, un nombre incalculable de rappeurs invités au casting (T.I., RZA, Common… tu le sens le parallèle avec la Blaxploitation ?), l’abcès des relations entre communautés réduit au folklore mafieux…

Tout ça est très propre, très douillet, mais pour le souffle et l’émotion, il faudra repasser.

« I can do anything I want-this is America! »

C’est d’autant plus dommage qu’American Gangster ne manquait pourtant pas de pistes intéressantes à creuser, à commencer par celle défendue par Lucas lui-même (les États-Unis sont un business) dont la logique froide et imperturbable fait de lui à la foi un maillon du système et un élément perturbateur – et tant pis si pour construire son empire, il piétine les principes de son mentor Bumpy qui juste avant de mourir déplorait la fin des petits commerces et le diktat de la grande distribution.

Bien que très bon, Denzel Washington erre ici trop en terrains connus. Son formalisme finissant même par pousser le spectateur à se demander pourquoi diable son personnage s’obstine-t-il tant à poursuivre une carrière dans l’illégal ?

Autre thème dont le traitement reste à la surface des choses : l’effet de symétrie qui lie les deux personnages Franck Lucas et Richie Roberts dont les comportements sont trop régis par la mécanique de l’écriture (le dealer mari fidèle et fils affectueux d’un côté, le flic vertueux à la vie privée dissolue de l’autre) pour déranger véritablement.

[Voir à ce sujet le Heat de Michael Mann pour constater la différence.]

En se contentant d’appliquer une recette qui marche, le récit jamais ne bouscule, jamais ne surprend. Au-delà de ce qui est vu, aucune seconde lecture n’est induite, American Gangster se résumant trop souvent au noir et blanc sans aspérité de son affiche.

Au final, cela donne un très bon film, mais qui tant par académisme que par fausse modestie échoue à rivaliser avec ses grands frères signés Coppola, Scorsese, De Palma & Co.

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