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Harry O, portrait du vrai gangster qui a fondé Death Row

Harry O, portrait du vrai gangster qui a fondé Death Row

Dealeur multimillionnaire, sans lui le mythique label californien rouge sang n’aurait jamais vu le jour…

Death Row, ou l’histoire d’une bande de rappeurs entrés depuis dans la légende qui vont écouler des disques par millions en introduisant la culture de gang dans l’industrie du disque.

Si la version officielle a longtemps voulu que la sulfureuse écurie soit née au début des années 90 de l’association entre le génie des studios Dr. Dre et l’imposant Suge Knight, rien de tout cela n’aura été possible sans le concours d’un troisième homme : Michael Harris.

Plus connu dans les rues sous le pseudonyme d’Harry O, ce membre certifié des Bloods fut dans les eighties l’un des plus gros pontes du trafic de drogue de la côte ouest des États-Unis.

Désireux de se reconvertir dans le monde du spectacle, c’est lui qui, depuis sa cellule de prison, a posé sur la table le million et demi de dollars nécessaire au lancement de l’aventure.

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Un pur produit de la « Reagan Era »

Né en septembre 1960 à South Central, Los Angeles, Michael Harris est élevé par sa mère suite au départ de son père l’année de ses cinq ans. Cette dernière cumule alors deux jobs pour réussir à boucler les fins de mois, et tente tant bien que mal de le préserver des vicissitudes de la vie de rue.

Si adolescent Michael étudie quelques semestres au collège, tout en travaillant en parallèle comme cireur de chaussures, il finit cependant par mettre un terme prématuré à sa scolarité.

Dans un environnement où les gangs se font de plus en plus présents et de plus en plus structurés, il intègre alors une faction des Bloods connue sous le nom de Bounty Hunters.

Désormais haut de presque deux mètres et pesant près de 110 kilos, il va se faire un nom (et un surnom) lorsqu’il se lance en compagnie de son frère David dans le tout juste naissant, mais déjà très juteux, trafic de crack.

Plus accessibles que la cocaïne question tarif et addictifs dès la première prise, les petits cailloux blancs envahissent les ghettos à la vitesse de l’éclair dans les années 80, à tel point que la presse parle alors « d’épidémie ».

Qu’importe si la communauté noire sombre encore un peu plus dans le chaos (insalubrité, violence, déscolarisation…), le crack permet d’un coup d’un seul aux dealeurs les plus entreprenants (et les moins scrupuleux) de brasser des sommes colossales.

C’est ainsi que les frères Harris vont très rapidement, non seulement envoyer des kilos par centaines à travers tout le pays (Chicago, Louisiane, Texas…), mais également avoir le privilège, au vu de leur réputation, de négocier directement avec les représentants du cartel de Cali.

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Le temps des rêves

Âgé d’un quart de siècle à peine, Michael Harris se retrouve multimillionnaire. Sentant cependant qu’il est temps pour lui de tourner la page, il envisage alors de migrer du bon côté de la loi.

S’il investit tout d’abord dans différentes affaires légales (immobilier, charcuterie, salon de coiffure à Beverly Hills…), dont une société de location de limousines qui compte une vingtaine de voitures dans ses rangs, au fond de lui, il rêve de lorgner du côté du show-business.

Ayant dorénavant les moyens de ses ambitions, il s’en va ainsi produire plusieurs pièces de théâtre, dont Stepping into Tomorrow (qui compte au casting les filles de Martin Luther King, Malcolm X, Harry Bellafonte et Sidney Poitier), et surtout Checkmates, qui en sus d’être la première pièce de Broadway produite par un afro-américain, offre ses grands débuts sur la célèbre scène new-yorkaise à un certain Denzel Washington.

Si l’acteur n’est à l’époque pas la star qu’il est aujourd’hui, il n’est cependant clairement pas un inconnu, lui qui a joué un rôle récurrent dans la série hospitalière St. Elsewhere et qui a également été nominé aux Oscars pour le film Cry Freedom.

[Les deux hommes se sont rencontrés via la compagnie de limousines qu’Harris possédait. Officiellement, Washington n’était donc aucunement au courant de ses activités criminelles.]

Malheureusement pour le Blood, son passé finit par le rattraper, coupant là l’herbe sous le pied d’une nouvelle carrière qu’il s’imaginait volontiers prometteuse.

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Denzel W & Harry O

Une reconversion qui se poursuit à l’ombre

En juin 1987, il est arrêté pour kidnapping et tentative de meurtre sur la personne d’un certain James Lester. Suspecté par son boss d’avoir détourné 100.000$ de marchandise, ce dernier l’a emmené faire un petit tour dans le désert en compagnie de deux de ses nervis avant de lui tirer dessus à coup de calibre et de le laisser gisant sur le sol.

Lester va toutefois survivre, permettant à la justice US d’inculper Harris. En juin 1988, il écope ainsi de 28 ans de prison. Au mois d’août suivant, la D.E.A. saisit les biens du kingpin déchu à hauteur de 3,2 millions de dollars (dont trois maisons et cinq voitures de luxes).

Bien qu’effectuant sa peine dans le quartier haute sécurité de la prison de San Quentin, Harry O n’abandonne pas pour autant l’idée de voir un jour son nom en haut de l’affiche.

Marié en cellule avec Lydia Robinson qu’il a rencontrée en 1985 dans un club de Houston (et marié de surcroît par le même juge qui a prononcé sa sentence quelques mois plus tôt), il décide alors de mettre le paquet pour faire de son épouse une star de la chanson – « Il voulait poursuivre ses objectifs sachant qu’un jour il serait dehors » écrira-t-elle dans son autobiographie Married to the Game, publiée en 2005

Harris se sert alors de son avocat, David Kenner, pour rentrer en contact avec un ancien footballeur universitaire affilié lui aussi au gang des Pyrus et dont le nom revient avec de plus en plus d’insistance dans le petit monde du rap californien : un dénommé Marion ‘Suge’ Knight.

Si la maquette enregistrée par Lydia ne le convainc pas particulièrement, il se montre en revanche des plus intéressés par l’oseille de son mari.

Lui-même à la tête d’un petit capital après avoir détroussé du haut d’un balcon Vanilla Ice d’une partie de ses royautés, Knight cherche depuis quelque temps à lancer son propre label. S’activant en coulisse pour démanteler Ruthless Records (Eazy-E, NWA, mais pas que), il s’associe à The D.O.C., Dr. Dre et Dick Griffey (producteur et propriétaire des célèbres studios Solar) pour monter une structure qui leur est propre.

Problème dans cette configuration, il ne peut prétendre qu’à 15% des parts (contre 35% pour D.O.C. et Dr. Dre). En 1991, il s’en va ainsi rencontrer plus d’une vingtaine de fois Harris afin de lui proposer de faire équipe.

Convaincu par la viabilité de son projet, ce dernier décide en mai 1992 (alors que Dre commence tout doucement à s’atteler à The Chronic) d’investir en échange de 50% des parts 1,5 millions de billets verts dans le label Godfather Entertainment (GFE, Inc.), maison mère du futur Couloir de la Mort.

Knight boute ensuite Griffey et D.O.C. hors du deal, et ce d’autant plus que le rappeur avec qui il a longtemps été proche lui est devenu inutile (privé de l’usage de ses cordes vocales par un accident de voiture survenu quelques années plus tôt, il est désormais acquis que ses chances de réhabilitation sont nulles).

Homme fort du label, il installe alors dans ses bureaux une ligne directe destinée à recevoir exclusivement les coups de fil passés par Harris en prison.

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L’heure de la trahison

Après avoir définitivement libéré Dr. Dre, Michel’le et Above The Law de toutes leurs obligations contractuelles passées, Suge décide finalement de changer son fusil d’épaule.

Plutôt que de signer en distribution avec Time Warner comme initialement prévu, il l’a fait un peu à l’envers à tout le monde en s’engageant avec Interscope Records, un move qui lui permet par une pirouette légale de s’affranchir et de son association avec Michael Harris et de la filiation entre Death Row et Godfather Entertainment.

Ou comment obtenir le beurre (les fonds) et l’argent du beurre (l’autonomie financière).

Bien entendu, les choses ne sont pas présentées de la sorte à Michael et Lydia Harris, la supercherie leur apparaissant progressivement.

Trop occupé à signer différents deals à droite à gauche (avec PolyGram/Motown Records, avec PolyGram/Sony et même avec Interscope), le couple finit néanmoins par se rendre compte qu’il a été mis sur la touche.

Fin 1995, Harry O finit par adresser une lettre par la voie de ses avocats à Interscope, lettre dans laquelle il réclame une compensation financière sous peine de poursuites judiciaires. Si aucun procès ne sera intenté, sa femme reçoit pour l’occasion un chèque 300.000 dollars, une somme riquiqui en comparaison des montagnes de cash générés au même moment par Death Row.

Anecdote intéressante, selon Lydia Harris l’année suivante son mari s’est vu proposer une aide inattendue : désireux d’incarcérer Knight façon Al Capone, les fédéraux lui auraient offert la liberté en échange de son témoignage au sujet de la comptabilité présumée douteuse du label.

Très ironiquement, si Harris a rejeté tout deal, cela n’empêche pas Suge de le traiter de « snitch » quand l’affaire devient publique.

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Quand la justice s’en mêle

En 2002 changement de ton. Lydia Harris qui n’agit déjà plus exclusivement comme simple prête-nom depuis des années (à tel point qu’elle est parfois surnommée « Lady boss ») attaque devant les tribunaux Suge et Death Row.

En mars 2005, la justice établit son rôle de cofondatrice du label et lui accorde 107 millions de dollars à titre de dommages et intérêt afin notamment de compenser les profits qui ne lui ont pas été reversés.

Si le jugement reconnaît que le label a bien été fondé avec l’argent de son mari, étant incarcéré il ne touche ici pas le moindre centime, la loi l’empêchant depuis le départ de prendre part à tout type de transactions de ce genre.

En juin de la même année, Michael Harris demande le divorce. Fair-play, Lydia accepte de partager l’argent… ou plutôt ce qu’il en reste.

Death Row s’étant déclaré en faillite en avril 2006 (tout comme Suge Knight), le couple n’a en réalité touché qu’un petit million, une somme qui selon leur avocat ne leur a servi qu’à payer leurs frais de justice et leurs impôts.

Aujourd’hui toujours derrière les barreaux bien qu’il ait purgé sa peine, Michael ‘Harry O’ Harris a eu la mauvaise surprise de voir à nouveau son passé le rattraper lorsqu’en 2011 la justice fédérale a rallongé sa sentence de 19 années supplémentaires pour trafic de cocaïne.

Libérable en 2028 (il aura alors 68 ans), s’il estime que Suge lui est toujours redevable de 300 millions, il n’en accepte pas moins son sort lui qui estime « avoir fait partie du problème pendant 30 ans ».

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