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Vivre comme un boss : les conseils bien rincés de Rick Ross

Vivre comme un boss : les conseils bien rincés de Rick Ross

À l’occasion de la sortie française de « Quel jour parfait pour devenir un boss », petit retour critique sur ce guide destiné « aux hustlers qui souhaitent bâtir leur propre empire »…

Ainsi Rick Ross se la joue écrivain. Suite à la publication en 2019 de son autobiographie Hurricanes: A Memoir qui s’est classée dans les meilleures ventes du New-York Times (qu’importe si ledit classement est au moins aussi truqué que celui du Billboard), au mois de septembre de l’année dernière, l’auteur de Port of Miami a remis le couvert avec un nouvel ouvrage intitulé The Perfect Day to Boss Up.

Toujours en compagnie de son co-auteur, le journaliste Neil Martinez-Belkin, Rozay se propose de dispenser moult conseils pour, dixit le quatrième de couverture, « améliorer sa vie, exceller dans le monde des affaires et réaliser ses rêves le plus fous ».

Un programme des plus ambitieux donc, et ce, d’autant que dans sa grande mansuétude, l’autoproclamé « biggest boss » s’appuie ici sur son expérience personnelle.

Le temps de traduire tout ça dans la langue de Molière, et d’ici quelques jours le public francophone pourra enfin se délecter de ce précieux sésame rebaptisé Quel jour parfait pour devenir un boss.

Enfin, ça c’est sur le papier. Parce qu’en vrai, pour qui a lu ces 254 pages torchées entre deux pool party, tout respire pas mal l’esbroufe, pour ne pas dire le foutage de gueule.

Rick Ross le rappeur versus Rick Ross l’auteur

Bon attention, que les choses soient claires : avant que les mecs qui se connectent sur Linkedin tous les jours et les suceurs de millionnaires (de ceux qui tournent des vidéos Youtube sur les X clefs du succès dans leur chambre d’ado) ne commencent à pousser des cris d’orfraie au motif « qu’en France on n’aime pas la réussite », personne ne conteste ici le parcours remarquable de Rick Ross depuis bientôt 20 ans.

Ghostwritter extrêmement prolifique à ses débuts (de Dr. Dre à Puff Daddy en passant par une bonne partie de la scène sudiste), on lui doit le plus grand hymne à la motivation du 21ème siècle, Hustlin’, une dizaine d’albums solo très quali, dont le presque classique Teflon Don, l’incroyable run de son label Maybach Music au début des années 10 (Meek Mill, Wale, Stalley…), ou encore des interviews cosmiques où il s’exhibait torse nu sans que personne ne lui ait demandé quoi que ce soit

Tout cela sans compter qu’il a éteint 50 Cent que quand il s’agit de faire de l’oseille, le mec est tout sauf un manche, de ses franchises de restaurants Wingstop à son partenariat avec les spiritueux Luc Belaire.

Mais alors, pourquoi tant de haine ?

Ben, vous voyez ce type au bureau (il y en a toujours un) qui occupe ses journées à répéter ô combien il bosse plutôt que de bosser ? Ce type qui à force de brasser de l’air finit par y croire et se permet de faire la leçon aux autres ?

Et bien à en lire son livre, ce type c’est Rick Ross.

Écrit comme il parle (et malheureusement pas comme il rappe), Quel jour parfait pour devenir un boss n’est pas seulement indigeste sur la forme : le manque de fond est tel qu’il y a de quoi attraper le vertige.

Enchaînement de lieux communs sur la volonté, l’effort ou la vision, ce bouquin aurait tout aussi bien pu être rédigé par un étudiant en école de commerce à qui il aurait été demandé de s’imaginer dans la peau d’un rappeur.

Le temps de cliquer deux, trois liens sur Forbes, de citer les tartes à la crème Malcom Gladwell et Robert Greene, d’étayer le texte de punchlines usées jusqu’à la corde (« Think chess, not checkers »…), et le tour est joué.

Sauf que bon, spoiler, ce n’est pas avec ça que vous allez devenir « rich forever ».

L’éléphant dans la pièce

Le truc pour qui connaît la carrière de Rick Ross, c’est qu’avec un minimum de sincérité, Quel jour parfait pour devenir un boss ne manquait pas de potentiel.

Pour rappel, si dans le rap en raconter des caisses a toujours été la norme, l’ami William Leonard Roberts II est celui qui a poussé au maximum les curseurs de la mythomanie en s’inventant une vie de narcotrafiquant international.

Non content d’avoir piqué son pseudo de rappeur à l’un des rois du crack des années 80, il prétendait sur Hustlin’ que « le vrai Noriega lui devait une centaine de services » (Manuel Noriega, le dictateur qui a transformé le Panama en « narcokleptocracie » NDLR).

Pas de chance, en 2008 il se fait griller pour avoir travaillé comme gardien de prison dans ses jeunes années.

À une époque où la crédibilité de rue était reine et où les emcees désireux de décrocher un disque de platine se devaient d’afficher un casier judiciaire digne de ce nom, Rozay-le-maton réussit pourtant à éviter la guillotine sociale en faisant voler en éclats ces codes.

Ou pour citer l’attendu du jugement rendu en 2013 à la suite de la plainte déposée contre lui par le vrai Rick Ross : « La musique de William Roberts raconte des histoires de drogues inventées autour desquelles il a façonné tout un univers artistique. »

Outre son talent au micro, voilà la clef de voûte de sa réussite. Le premier domino qui a entraîné tous les autres.

Comment cette stratégie de la démesure lui est-elle venue ? Comment l’a-t-il élaborée ? Comment a-t-il réévalué sa situation lorsque cette dernière a été percée à jour ?

Voilà des questions qui auraient mérité des réponses détaillées, et pas des truismes mille fois lus et entendus à la « aimez ce que vous faites », « ne vous interdisez pas de rêver » ou « surmontez les obstacles qui se dressent devant vous peu importe ce qu’il en coûte ».

[Truismes qui n’ont en sus neuf fois sur dix aucun sens : c’est n’est pas parce que l’on aime faire ce que l’on fait que l’on est bon, mais, égo oblige, par ce que l’on est bon que l’on aime faire ce que l’on fait ; non, cela ne vaut pas le coup de perdre sa vie à poursuivre ses rêves d’adolescent ; principe de réalité oblige, certains obstacles sont insurmontables, etc.]

Faites ce que je dis, pas ce que je fais

Le pire, c’est que Rick Ross aborde le sujet. Après avoir tout de même attendu la 144ème page, s’il admet ce qu’il a pendant des années nié (et dont il faisait interdire ne serait-ce que l’évocation en interview), c’est pour mieux se justifier en clamant que dans le ghetto personne ne lui en a jamais fait grief, que s’il a menti ce n’est pas sa faute, et que de toute façon il a été, est, et sera toujours le « biggest boss ».

Tout ce blabla prête d’autant plus à sourire que plus tôt dans le livre, il se pose en parangon d’authenticité« Je n’ai jamais investi mon temps, mon énergie et mes ressources pour donner une fausse image de moi. »

Idem lorsque quelques lignes plus loin il revient sur le scandale U.O.E.N.O. (du nom du morceau de 2013 où il fanfaronnait « glisser un cacheton de molly dans la flûte à champagne d’une meuf », puis « la ramener à son domicile et profiter d’elle sans qu’elle le sache ») ou sur la fois où il a déclaré que si aucune femme n’était signée sur MMG c’est parce qu’il « finirait par la ba*ser », il se justifie là encore par mille chemins détournés afin ne pas évoquer le fond (son apologie du viol dans le premier cas, son comportement de prédateur dans le second cas).

Absolument pas effrayé par le ridicule, ce même Rick Ross dédie en amont une série de paragraphes, pour le coup bien tournés, sur la nécessité de se montrer responsable de ses actes (« le danger des excuses ce qu’elles font souvent sens », « vos excuses ne regardent que vous »…).

Plus largement, le problème de ce Quel jour parfait pour devenir un boss c’est que tout ce qui pourrait avoir de l’intérêt est systématiquement occulté par ce storytelling de publiciste.

Stéréotyper sa communauté dans ce qu’il y a de moins valorisant, se brancher sur la médiocrité ambiante, faire passer un vulgaire mousseux au goût Chamallow pour un champagne de luxe… sur ces thèmes, circulez, y’a rien à voir.

Les vraies recettes pour être un boss, Rick Ross se les garde.

Changer le monde ? Non, merci

Bien entendu, comme tout bon parvenu qui s’adresse au petit peuple, Rick Ross ne peut s’empêcher d’étaler sa supériorité morale de sermonner son prochain sur les vertus de la vie de saine, le don de soi et toute cette philanthropie à la noix dont les amerloques raffolent.

[Coïncidence incroyable, il en profite en parallèle pour promouvoir une énième appli « révolutionnaire » pour perdre du poids.]

Hypocrite devant l’éternel, après avoir mentionné la taille de sa baraque une page sur deux (il va jusqu’à partager son adresse) et assimiler à chaque ligne réussite et réussite matérielle, il conclut les débats en affirmant son ambition de « changer le monde » en mettant « sa sagesse au service de son prochain ».

Grand bien lui fasse, mais si vous voulez un petit conseil pour « boss up » votre « life », commencez par économiser les 20 balles que coûte ce manuel du toc.

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