La chaleur, les vacances, les après-midi au bord de la plage, les barbecues entre potes, les pool party…Alors que le soleil pointe le bout de son nez, chaque activité estivale est propice à dégainer une enceinte et à balancer du son. Et chaque été jouit de son ou de ses hits. Un morceau entrainant, mémorable et presque addictif. Autrefois réservée à la variété, la case tube de l’été a été envahie, petit à petit, par les rappeurs. Il n’y a plus une soirée estivale sans qu’un tube de rap ne résonne dans la sono. Décryptage.
Variété, danse et évasion
La pluie, le froid, les écouteurs sous la capuche : l’hiver n’est pas le moment idéal pour partager de la musique. Quand les arbres commencent à fleurir, la donne s’inverse. Dès que le mercure atteint les 30 degrés, les temps chauds offrent cette possibilité de se réunir, le plus souvent au grand air. Et le soleil et la bonne humeur s’accompagnent toujours d’une enceinte et d’une playlist enivrante. Le hit de l’été, ce n’est pas forcément le titre qui cumule le plus de vues sur YouTube. Le hit de l’été, c’est un morceau entêtant, dont on se souvient.
Le hit de l’été, c’est aussi et surtout un moment vécu, quelque chose d’impalpable mais de mémorable. Un son, un air, une phrase ou un gimmick qui ravive des images, des souvenirs. Le tube de l’été est intergénérationnel : il plait au couple en sortie à la piscine, à la bande de potes qui s’éclatent à la plage ou à la famille en vacances au camping. Tout cela s’explique par le fait que le tube de l’été possède des codes bien précis qui ont évolué au cours d’une riche et longue histoire.
A partir des années 70, Dalida et France Gall se sont faites spécialistes du genre. Les Démons de minuit, Jeanne Mas ainsi que Jean-Pierre Mader avec Macumba ont enflammé les pistes de danse au mitan des années 80. Dans les années 90, Lambada et Macarena instituent un nouveau genre : chansons et chorégraphies sont indissociables. Dès que la musique résonne, la fièvre dansante s’empare des fêtards. Cette association intensifie le souvenir et participe à rendre le morceau mémorable.
Ce sont aussi des titres qui viennent de l’étranger et dont les sonorités hispanophones ont activement participé au succès. Aller chercher des inspirations hors de nos frontières est une méthode reprise plusieurs fois et qui a fait ses preuves. Les Gipsy Kings, Tarkan, Las Ketchup, O’Zone, Magic System : tous ont en commun d’avoir pondu des tubes de l’été qui ont ambiancé des millions de personnes. Et tous ont en commun d’avoir des inspirations étrangères qui ont forcément eu leur influence sur le succès rencontré.
Cela s’explique par le contexte particulier. L’été, c’est LA saison des vacances, de l’évasion. Pour ceux qui n’ont pas la chance de prendre l’avion, écouter de la musique reste le meilleur moyen de voyager sans avoir à faire tamponner son passeport. De nombreuses années durant, la catégorie « hit de l’été » était réservée à la variété française. Petit à petit, elle a été envahie par des titres associés à des chorégraphies mémorables et aux inspirations étrangères. Et le rap français dans tout ça ? Dès 1994, Je danse le Mia d’IAM s’impose comme un incontournable. En 2000, Angela du Saïan Supa Crew résonne dans toutes les oreilles.
Plaire à tout le monde, la recette du succès
Ce n’est qu’à partir des années 2010 que le rap français s’immisce durablement au rayon « hit de l’été ». Gims marque l’été 2013 avec Bella. Tout y est : sonorités étrangères, refrain entêtant, thème chaleureux. Il récidive deux ans après, avec Sapés comme jamais. Et, cette-fois ci, la présence de Niska confère au morceau une dimension rap indéniable. Le titre est un véritable carton et annonce les prémices de la domination du rap français. Depuis 2017, aucun été ne passe sans qu’un rappeur n’envahisse les ondes, les soirées, les pistes de danse ou les campings. Réseaux, Macarena, Mobali, Mamacita, Air Max, Ramenez la coupe à la maison, Aristocrate, Médicaments, Elle est bonne sa mère, Bande organisée, La Kiffance…La liste est longue.
Mais existe-t-il une recette ? Un rappeur peut-il sortir un hit de l’été de son chapeau dès qu’il le souhaite ? Pas si sûr. Zeg P, qui a composé, entre autres, La Kiffance, Khapta, Fade Up ou Ne reviens pas, explique qu’il n’y a pas de formule magique : « Un hit de l’été, c’est un morceau qui parle à tout le monde. Si tu mets le son et que tu ne déranges pas ta mère, qu’elle chante avec toi, c’est bon. Il faut que tout le monde puisse l’écouter, même les parents. »
En parlant de ses tubes, le beatmaker affirme que ce sont des titres qui plaisent au moment où les gens se rassemblent le plus et sont les plus susceptibles de faire la fête : « C’est de la musique populaire. Ce sont des morceaux très clubs et quand je les envoie, c’est vraiment pour régaler les gens l’été. » Il existe quand même des éléments musicaux qui favorisent la création des morceaux qui vont cartonner dès que les températures augmentent : « Il faut un BPM assez élevé pour faire une musique qui fait danser. Ce n’est pas possible de faire danser les gens avec un BPM à 50. »
Et la place du beatmaker est prépondérante. En effet, le propre du hit de l’été, c’est d’avoir un refrain entêtant, un gimmick mémorable : « T’as pas le tube de l’été avec une instru pété et juste un bon texte. Quoiqu’il arrive, t’auras pas le meilleur texte, parce que ça doit être un son léger que tout le monde peut écouter. Mais le vrai secret, c’est de créer. » Collectionneur de tubes, Zeg P prend en exemple son dernier joyau : « Aujourd’hui, qui est capable de me dire ce qu’est Fade Up ? C’est de la création. J’essaye de proposer un truc un peu différent. »
Et c’est cette envie de créer, d’apporter de la nouveauté qui l’a poussé à envoyer la prod du morceau à SCH : « Quand il me demande une instru, j’essaye de réfléchir à un potentiel single. C’est un gros artiste, avec beaucoup de talent. Donc je veux lui envoyer un truc qui sort du lot. J’essaye d’apporter à SCH ce que les gens ne lui apportent pas forcément. Généralement, les gens m’appellent pour apporter quelque chose d’artistique. Quand j’envoie l’instru de Fade Up, j’envoie une vraie proposition. Et ça libère un côté caché de l’artiste, mais qu’il a toujours eu. »
Vers d’autres horizons
L’émergence de ce côté caché, justement, SCH l’incarne parfaitement. Il y a deux ans, le S participe activement au succès phénoménal de Bande Organisée. Son entrée, qui est dans toutes les têtes, le « zumba cafew » de Soso Maness et les gimmicks du refrain ont envahi l’été 2020. Pourtant, réussir à faire un hit de l’été avec un son aussi marqué n’était pas évident. Même si le rap est la musique la plus écoutée en France, il a fallu qu’elle s’ouvre aux non-initiés.
D’après Zeg P, « les hits de l’été, ce ne sont pas vraiment du rap. Ce sont des rappeurs qui rappent sur des rythmes et des sonorités qui ne sont pas du rap. Mais aujourd’hui, notre musique est riche. Il y a Jul, Damso, Laylow, beaucoup de mecs différents qui proposent plusieurs styles différents. Il n’y a pas de règles. On peut poser sur toutes les instrus. » C’est donc la richesse artistique du rap qui a permis aux rappeurs de varier leurs propositions et de produire des morceaux qui cartonnent et qui parlent au plus grand nombre.
L’ouverture est un critère nécessaire, mais ce n’est pas une problématique uniquement liée au rap : « Si le schéma est un peu complexe, forcément, ça va être un peu compliqué. Si tu ramènes des flows techniques, forcément, tu vas perdre certaines catégories de gens. Comme un chanteur de soul ou de jazz. Il y a des gens hermétiques à certaines choses, qui pensent que ça sonne faux. Un rap trop complexe, certaines personnes ne peuvent pas l’assimiler. »
Les drilleurs vont-ils ôter leurs cagoules et investir les clubs, les campings et les pool party ? S’ils adoucissent leurs ardeurs et qu’ils se mettent en tête de s’adapter à la masse, peut-être. En France, des artistes moins connus du grand public ont livré de belles propositions musicales cet été, comme la collaboration entre J9ueve et Zamdane. Sans toi est un morceau au thème chaleureux, à la mélodie entrainante et au refrain entêtant. Tout ce qu’il faut pour un bon hit de l’été.
