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Le rap, nouvel eldorado des festivals ?

Le rap, nouvel eldorado des festivals ?

Niska, Gazo ou encore SCH au Mainsquare Festival, Booba et Vald aux Francofolies, Ninho et Dinos aux Vieilles Charrues, PNL, Orelsan et Laylow à Garorock… la liste est longue. Cet été, neuf sur dix des plus gros festivals de musique dans l’hexagone ont programmé des rappeurs en tête d’affiche. Pourtant, peu, voire pas identifiés comme Hip-Hop, les programmateurs des festivals généralistes s’adaptent aux nouveaux succès commerciaux musicaux. Un questionnement se dégage alors : ne dénature-t-on pas l’essence même de ces événements et la culture hip-hop est-elle vraiment représentée ou juste « utilisée » à bon (ou mauvais) escient ?

Pour répondre à ces interrogations, nous avons interrogé Jean-Yves Reumont, programmateur et RP du festival Les Ardentes, Matthieu Corosine co-fondateur de Panda Events, agence qui produit le festival des Plages électroniques à Cannes, et Matthieu, festivalier.

Le rap, musique des jeunes

Le rap commence à s’immiscer dans les festivals généralistes entre 2017 et 2018. Avec les années, le genre musical s’est imposé sur la scène mainstream et est devenu la musique la plus écoutée par les jeunes en France. Les festivals estivaux de musique qui sont apparus dans le début des années 2000 ont fait évoluer leur programmation avec les années et cherchent à s’adapter à leur cible : les jeunes. L’âge moyen du publicde ces événements est compris entre 17 et 35 ans. Il est donc essentiel que les programmateurs suivent les goûts musicaux des visiteurs. Le problème arrive quand ce nouveau public se heurte aux habitués, à ceux qui ont grandi avec leur festival. Ceux qui l’ont vu évoluer et qui ne sont pas d’avis à changer une line-up et l’identité propre de l’évènement. 

Le choc des publics

Jean-Yves Reumont est RP et programmateur du festival Les Ardentes à Liège, dédié au rap francophone comme US. Créé en 2006, il était initialement conçu pour un public local et la programmation n’avait rien à voir avec aujourd’hui. Les Ardentes était un festival identifié électronique/rock, le public y était beaucoup plus familial. Alors qu’ils avaient déjà fait plusieurs tentatives en listant des rappeurs aux Ardentes (NTM, IAM, le Wu Tang Clan, 50 Cent ou encore Snoop Dog), c’est en 2015 que le premier virage du tournant musical s’est pris. Kendrick Lamar, qui venait tout juste de dévoiler son troisième album To Pimp a Butterfly, a été programmé en tête d’affiche.

Avec une notoriété qui n’avait pas encore atterri jusqu’en Belgique, la venue de Kendrick a laissé certains festivaliers perplexes. Le pari était d’autant plus gros pour Jean-Yves et ses équipes que le rappeur de Compton était l’artiste le plus cher jamais payé aux Ardentes. Il était programmé aux côtés de Nicki Minaj, A$ap Rocky ou encore Nekfeu cette année-là. Une programmation assez avant-gardiste, totalement assumée par les équipes, même si Jean-Yves avoue que ce changement de direction artistique n’a pas été des plus simples : « Le public n’a pas tout de suite compris et on a eu une baisse de fréquentation mais on a persévéré. On a eu encore deux ans de battement en 2016 puis en 2017, année qui a terminé la transition. C’était aussi l’explosion de nombreux rappeurs belges comme Damso ou Roméo Elvis. On s’est alors rendus compte que tous les jeunes festivaliers venaient pour ce genre d’artistes. Notre ancien public a fini par quitter le navire, pour laisser place aux auditeurs de rap. » 

Les Ardentes a finalement réussi à trouver son public jusqu’à devenir le festival phare des passionnés de rap francophone et de rap US. Pari réussi puisque cette année, le festival a explosé son affluence en passant de 100 000 festivaliers à plus de 210 000.

Pour les festivals généralistes, la question des différents publics est plus que jamais présente. Les fans d’électro et de rock pestent contre l’arrivée en masse de rappeurs dans leurs festivals phares. Ils voient disparaitre certains de leurs artistes favoris au détriment d’autres comme Booba, PNL ou encore Gazo. Une réaction qui semble logique étant donné la ligne directrice initiale de ces festivals, qui ont fait leur notoriété en vantant des styles musicaux différents. Les Francofolies sont connues pour mettre en lumière des artistes de variété française, Garorock ou le MainSquare Festival sont quant à eux catégorisés « Pop-Rock », avec des artistes comme Muse ou Lenny Kravitz en tête d’affiche. 

Mais est-ce que le public doit se plaindre si les rappeurs programmés ont un lien avec la direction artistique du festival ? 

Des ponts qui ont du sens

Matthieu Corrosine est le cofondateur du festival des Plages Électroniques de Cannes. Fondé en 2006, cet évènement atypique a une particularité : les festivaliers font la fête en maillot, les pieds dans l’eau. Cette édition a dépassé les attentes en terme d’affluence avec plus de 54 000 spectateurs. Outre les gros noms de la scène électro comme David Guetta, Martin Garrix ou encore Paul Kalkbrenner, des rappeurs sont venus se joindre à la fête. On a pu retrouver entre autres Damso, Oboy et Lala &Ce sur les scènes des Plages. Bercé par le Hip-Hop et le Reggae, Matthieu nous explique l’évolution de la programmation du festival : « Le festival a démarré avec un concept qui a toute son importance : 5 dates, 5 euros, 5 styles de musiques électroniques : House, Techno, Drum & Bass-music, EDM et Électro Hip-Hop. On était 400 personnes par dates sur la plage, dont un jour dédié à l’Électro/Hip-Hop. Encore aujourd’hui, on essaye de rendre hommage à la formule initiale des plages qui était de mélanger plusieurs styles de musiques électroniques. Il y a deux raisons pour lesquelles on booke des artistes Hip-Hop depuis plusieurs années. La première est qu’aujourd’hui, le rap est la musique numéro 1 en France et dans le Monde. La deuxième est que le rap se nourrit de plus en plus de la musique électronique et vice-versa. Il y a un côté très transversal entre les deux. En plus, la moyenne d’âge de notre équipe est très jeune. On se nourrit de ce qu’ils écoutent et dans les artistes qu’on a listés, il y a de grosses influences électroniques et digitales. »

Le rap est une fête

Il poursuit en expliquant : « La programmation essaye d’être cohérente avec notre public, mais il ne faut pas oublier que les plages électro c’est une fête. On essaye de trouver des artistes cross-over qui peuvent contenter plusieurs types de public. Mais l’avantage c’est qu’il y a plusieurs scènes : si ça ne te plait pas en bas, tu vas au premier ou au solarium tout en haut. L’évolution du rap dans les festivals correspond à sa démocratisation et au fait que le rap est de moins en moins revendicatif et de plus en plus festif. Aujourd’hui, quand on fait un festival, on a plaisir à programmer des artistes Hip-Hop parce que ça va faire bouger et chanter les gens. Le rap évolue d’années en années et continue de faire passer des messages, c’est ce qui fait sa force. C’est un mouvement qui sait s’adapter, je trouve ça extraordinaire. Par exemple, Damso chante des paroles hyper sombres mais arrive quand même à enjailler son public. » 

La solution première serait donc assez simple : le public qui n’est pas intéressé par les artistes catégorisés Hip-Hop auraient juste à se rendre dans d’autres scènes, dans lesquelles leur style musical de prédilection est joué. On peut aussi voir dans ces programmations une façon d’éduquer musicalement par le live. Les auditeurs qui n’ont pas ou peu écouté de rap dans leur vie peuvent, par le biais des festivals, découvrir une autre facette des clichés qui résonnent en eux. La découverte musicale n’est-elle pas finalement un des objectifs des festivals ?

Un côté plus intime

Cependant, la vague rap n’a pas submergé tous les festivals de l’hexagone. On peut par exemple citer le Little Festival (électro), mais aussi Rock in Evreux (rock, évidemment)… Dans le milieu Hip-Hop, de nombreux festivals spécialisés émergent depuis plusieurs années. Le Demi Festival s’est tenu du 10 au 12 août à Sète, ville natale de Demi Portion, rappeur et fondateur de l’évènement. Pour les curieux, nous sommes partis en immersion afin de vous expliquer en quoi il consiste. Tout comme le Demi Festival, on peut citer également le Scred Festival ou encore le Paris Hip Hop, qui ont été créés pour mettre en lumière la culture Hip-Hop et réunir TOUS les passionnés de cette culture.

Ce côté intimiste, même les artistes le recherchent parfois. Cette année, Bigflo et Oli ont décidé de décliner les invitations aux gros festivals comme les Solidays, les Eurockéennes ou encore les Vieilles Charrues. Suite aux deux années d’arrêt suite à la pandémie de Covid, les frères toulousains ont décidé de ne se produire que dans des « petits » festivals afin de les soutenir. Ils ont baissé leur prix pour donner de la force à ces événements plus confidentiels comme L’Armor à sons de Bobital (22), Les 3 Sources de Vittel (88), Urban Empire de Boisseuil (87) ou encore la Fête du Cognac (86). Dans la continuité de cette initiative, les interprètes de Dommage ont lancé une tournée « Retour aux sources » en jouant dans des petites salles, pour faire écho à leurs débuts. 

On a interrogé plusieurs festivaliers dont l’habitude n’est pas de se rendre à des festivals catégorisés comme Hip-Hop. Matthieu, par exemple, peut aussi bien se rendre à Dour qu’au Hellfest (festival de Métal, ndlr), mais comprend cette évolution dans les programmations : « L’essor du rap dans les festivals, je trouve ça logique. La cible des festivals étant les jeunes, et le rap étant la musique la plus écoutée par les jeunes, ça sonne comme une évidence. Après, il ne faut pas dénaturer l’identité originale du festival de base mais je ne suis pas choqué de voir quelques rappeurs listés dans des festivals à la base pas axés hip-hop. Pour moi, ils ont raison de tester. S’il y a des gens à ces scènes, ça veut dire qu’ils ont eu raison et s’ils voient que le public a boycotté, ils ne referont pas ça l’année prochaine (comme Rock en Seine avec PNL, ndlr). Après, il faut comprendre les gros festivals qui ont besoin de vendre des tickets. La pire chose pour eux, ce serait un festival vide. »

Manque de diversité ?

Le véritable problème de ces programmations n’est autre que le manque de diversité des têtes d’affiches. Le site InfoConcert a répertorié le nombre de fois que les artistes rap ont été listés dans des festivals en 2022 et les mêmes noms reviennent à de multiples reprises :

  • Orelsan : 22
  • Laylow : 17
  • Oboy : 15
  • PNL : 14
  • Damso : 13
  • SCH : 12
  • Vald : 12
  • IAM : 11

Il est dommage pour certains de voir que malgré la diversité et l’abondance de rappeurs sur la scène actuelle, ce sont toujours les mêmes qui sont programmées en festivals. Restreints par le côté financier, il est souvent compliqué pour des programmateurs de prendre la décision de choisir des artistes peu développés, de peur de ne pas remplir la scène et de ne pas vendre assez de billets. Il n’empêche que ce problème subsiste dans tous les styles musicaux et qu’il est presque inévitable.

Finalement, l’essor du rap dans les festivals permet une ouverture à de nouveaux artistes pour un public parfois moins connaisseur. Le tout pour les programmateurs est de ne pas manquer de jugeote et de faire des ponts de styles musicaux tout en conservant la ligne directrice d’un festival. Si on suit l’évolution que prend le rap, ces artistes vont logiquement continuer de s’imposer dans les festivals et peut-être que dans quelques années, on verra des rappeurs comme Youv Dee ou Winnterzuko programmés au Hellfest ?

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