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Le rap, fantôme des cérémonies musicales en France ?

Le rap, fantôme des cérémonies musicales en France ?

Le 20 février 1999, Manau reçoit une victoire de la musique pour la première année de la catégorie « Album Rap/Groove » avec son projet « Panique celtique » et la fameuse Tribu de Dana. Si la question du tube est incontestable, la légitimité du projet face à ses concurrents est plus discutable. Le groupe breton était en compétition face à MC Solaar, Stomy Bugsy, Ärsenik ou encore NTM. La question de la représentation du genre rap dans les cérémonies française commence à se poser. Après plusieurs tentatives -qui se sont muées en échec-, Les Flammes va tenter d’enfin permettre de représenter toutes les cultures populaires, le 11 mai 2023. Revenons sur plusieurs décennies qui ont sousestimé le rap et pourquoi il est temps de changer la donne.

Un déséquilibre dans les styles musicaux représentés

Comme expliqué ci-dessus, les Victoires de la Musique réunissent chaque année un bon lot de critiques quant au manque de diversité et de représentation de plusieurs genres musicaux. Le rap est laissé de côté face à des artistes de variété aux chiffres de ventes bien plus faibles. Le manque de considération réel envers de nombreux rappeurs durant la cérémonie ne date pas d’hier et il est temps de changer les choses. Cependant, il est plutôt simple de comprendre d’où part ce désintérêt : le Conseil d’administration de l’association composé environ de 600 professionnels (artistes, producteurs, labels, distributeurs, agents, directeurs artistiques…) est trop homogène et l’industrie du rap est quasi absente malgré son monopole dans le Top 50. Il est important de rappeler que l’objectif initial des Victoires de la Musique n’est pas de féliciter uniquement les succès commerciaux mais de récompenser une grosse palette de talents, plus ou moins connus. Il est dommage que l’Hexagone ne dispose que de cette cérémonie (ainsi que des NRJ Music Awards, bien plus commerciale) pour célébrer la musique et féliciter les acteurs de cette industrie. 

« Je suis un peu gêné ce soir »

On compte sur les doigts d’une main les rappeurs invités chaque année aux Victoires de la musique. Le choix des artistes en question est également remis en question. Si des artistes comme Orelsan ou Gims ont performé et remporté plusieurs prix, des très gros vendeurs comme Ninho ou Laylow n’ont jamais été nominés. C’est pourquoi SCH a décidé de s’exprimer sur le sujet cette année, en plein direct. Alors qu’il montait sur scène pour récupérer son prix pour « L’album le plus streamé de 2021 » (avec JVlLIVS 2, ndlr), le rappeur phocéen a poussé la gueulante. « Je voudrais saluer Gazo, Oboy, Naps, Laylow, pour ses deux Bercy remplis en presque 24 heures, je voudrais aussi saluer Jul, qui a réuni les deux capitales du rap français cette année. Je voudrais saluer Dinos, Soso Maness, je voudrais aussi saluer Ninho, l’homme aux certifications. Je voudrais bien sûr les remercier pour les projets et la musique qu’ils ont fourni cette année, alors je vous l’avoue je suis un peu gêné ce soir de tenir cette Victoire dans mes mains sans les voir assis ici en face de moi, ces grands messieurs qui auraient tout autant mérité que les artistes ici présent de célébrer les Victoires de la musique. »

Le discours a provoqué de nombreux avis positifs comme négatifs, notamment dû au fait qu’il n’a pas boycotté l’évènement. Cependant, l’intention initiale à travers ce discours est louable : c’est par ce genre de prises de paroles que les mentalités peuvent évoluer.

Du retard sur les États-Unis

Quand on jette un regard de l’autre côté de l’Atlantique, le bilan est tout autre. Les États-Unis disposent d’un grand nombre de cérémonies, vouées à cibler plusieurs genres musicaux pour tenter de mettre tous les artistes à la même échelle. Grammy Awards, American Music Awards, Billboard Music Awards, BET Hip Hop Awards, MTV Video Music Awards, People’s Choice Awards… La liste est longue mais chacun de ces évènements ont réussi, à leur échelle, à trouver leur public. À titre d’exemple cette année, Benjamin Epps a gagné un Bet Hip Hop Award dans la catégorie « meilleur flow international » face à des artistes comme Central Cee alors qu’il n’a même pas été nommé dans une catégorie aux Victoires de la Musique. Pour autant, d’autres cérémonies sont venues concurrencer les Victoires en France, comme les NRJ Music Awards, citée plus haut. Créée en 2000 par la radio éponyme et diffusée en prime time sur TF1, la cérémonie a aussi eu droit à son lot de critiques. Accusée d’être uniquement une vitrine pour les artistes mis en avant par TF1 et NRJ, la légitimité des lauréats a bien souvent été remise en cause.

À quoi servent les cérémonies ?

Il faut comprendre l’intérêt de ces cérémonies pour assimiler leur importance. Outre le côté festif de l’évènement, une cérémonie comme les Grammys ou les AMAs est un atout majeur pour les nommés. Entre les performances des artistes et les prix attribués, elles relèvent d’un moyen promotionnel exceptionnel. C’est également un gage de reconnaissance pour des artistes que de se voir nommés ou mieux, vainqueurs ! Enfin, l’aspect financier est également à prendre en compte ! Ce genre de cérémonies fait grimper de façon colossale le cachet moyen des chanteurs. On peut citer Bruno Mars qui, après avoir remporté son premier Grammy est passé de 130 000 $ à 202 000 $ par soirée (+55 %), encore Taylor Swift qui a vu ses bénéfices augmenter de 380 % après son prix remporté en 2009 (remis en cause face à Beyoncé par Kanye West, une scène culte de la pop-culture américaine). 

Des tentatives soldées par un échec

Alors pourquoi nous n’avons toujours pas de cérémonie dédiée au rap (ou plus largement au Hip-Hop et à sa culture) en France ? Ce n’est pas comme s’il n’y avait jamais eu de tentatives. On se souvient du flop de L’année du Hip-Hop, qui partait pourtant avec des bonnes intentions et une volonté de représenter au maximum la culture, que ce soit par les catégories plutôt variées ou bien par les nominés. Malheureusement, les artistes récompensés ont été les mêmes dans plusieurs catégories et la qualité du show n’était pas à la hauteur des autres cérémonies, dans l’hexagone ou ailleurs. Après deux éditions, l’arrêt de « L’année du Hip-Hop » a été acté de manière assez unanime. En 2013, nouvel essai avec les Trace Urban Music Awards mais encore une fois, si le fond est bon, la forme est pour le moins absente pour pas mal de spectateurs. Jugé trop « cheap » et trop « cliché », le show ne tiendra que deux éditions, comme son prédécesseur.

« C’est la cérémonie du peuple et ça va au-delà de la musique »

Annoncée en février, Les Flammes a pour vocation de changer la donne. Produites par les médias Booska-P et Yard ainsi que l’agence Smile, la cérémonie se déroulera le 11 mai 2023 au Théâtre du Châtelet, à Paris. L’objectif à travers cette cérémonie est de représenter les cultures populaires dans leur ensemble. Amadou Ba, fondateur de Booska-P justifie le terme : « Le rap est devenu la culture dominante, une culture issue des quartiers populaires. On est légitimes. Le mot urbain est très réducteur. C’est la cérémonie du peuple et ça va au-delà de la musique. »

Dans une volonté de transparence, le jury composé de 24 profils sera révélé après leurs votes au grand public. Les auditeurs de rap pourront également voter sur une plateforme en ligne, pour permettre une équité totale entre les professionnels et les consommateurs. La cérémonie n’a pas destinée à promouvoir ses instigateurs mais bien de récompenser les acteurs de cultures populaires qui en ont besoin !

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