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Rap & Afrique #3 : en mode « South of Africa » [DOSSIER]

Rap & Afrique #3 : en mode « South of Africa » [DOSSIER]

A travers une série de dossiers, Booska-P vous propose de découvrir ou redécouvrir les rappeurs qui font le hip-hop africain. Cap sur le Sud de l’Afrique !

A l’instar des industries musicales anglophones qui marchent très bien, comme celles du Ghana ou du Nigéria, les régions du sud de l’Afrique connaissent un succès fulgurant dans le domaine du rap. A l’extrémité australe du continent, l’Afrique du Sud, surnommée « la nation arc-en-ciel » est un pays anglophone dont la diversité de races et de langues constitue un atout pour son industrie musicale, et notamment celle du rap où les talents se renouvellent à chaque génération. De Cassper Nyovest à Nasty C, le constat est clair, au pays de Neslon Mandela, les rappeurs sont très loin devant ; que ce soit au niveau de l’originalité, du talent ou des infrastructures musicales.

C’est un hip-hop qui a tiré son énergie dans la lutte contre « l’apartheid » (mot afrikaans partiellement dérivé du français, signifiant « séparation raciale ») mais aujourd’hui, il se métamorphose en s’adaptant aux influences US. De Luanda jusqu’au Cap de Bonne-Espérance, le rap de cette zone de l’Afrique est constitué de différents écosystèmes où l’on peut trouver des rappeurs engagés zambiens, angolais, namibiens et des rappeurs sud-africains, avec un rap fusionnant textes sous airs de révolte, de lutte raciale et ambiances hardcore, urbaine et festive.

Le hip-hop sud-africain et l’apartheid

La lutte contre l’apartheid et son flot de frustration a poussé de nombreux jeunes à rapper. Prophets of the City, comptent parmi les précurseurs du mouvement hip-hop sud-africain dans les années 80. Entre Cape Town et Johannesburg, d’autres groupes comme Black Noise entretiennent la même conscience politique à travers leur musique, leur rap était motivé par leur lutte pour une identité noire, oppressée face aux autres races comme les métis ou les blancs en Afrique du Sud. Le hip-hop de Prophets of the City et Black Noise va venir s’inscrire comme un mode de vie et une forme d’art. Les initiatives des rappeurs du Cap vont se multiplier et les œuvres de groupes comme Cyphers et B-boys, ou The Boogie Man vont rencontrer d’énormes succès.

Ils proposaient une formule composée de hip-hop, de disco et de kwaito (genre musicale local qui domina l’Afrique du sud). Le genre « kwaito » à la mode dans les années 2000 va freiner le hip-hop, de la même façon que la House Music, également très appréciée. Cette effervescence autour des musiques urbaines va permettre au hip-hop de se réorganiser. Il n’y aura pas qu’en Afrique du sud que les rappeurs vont rapper du fait de leurs motivations politiques, en Angola, Zambie, ou Namibie, la flamme du hip-hop engagé était encore plus vive.

Hip-hop très militant de l’Angola à la Zambie

Bien que les rappeurs sud-africains soient les plus en vue dans la région, les autres pays comme l’Angola ou la Zambie produisaient un rap engagé très dynamique. En Angola, Luaty Beirao place des couplets plutôt crus et révoltés face au clan présidentiel qui a son emprise sur le pays. Il est aussi un opposant politique investi dans une lutte similaire à celle du rappeur zambien Pilato, également révolté contre le système. Ce sont des artistes qui sont prêt à tout pour continuer leur lutte. Au Zimbabwé, même son de cloche avec le rappeur Sinyk :

« En général, l’Afrique est décrite sous un jour négatif. Les gens qui mettent en valeur le côté positif sont généralement l’exception. Le Zimbabwé est comme partout ailleurs, il y a des problèmes, oui, mais il y a aussi de grandes choses à raconter » affirme ce dernier. Quand on va vers le Cap de l’Afrique, on retrouve des rappeurs qui mettent plus en avant l’aspect positif du continent : le rap urbain et « américanisé » des sud-africains !

https://www.youtube.com/watch?v=A6Znu4XLqQY

Une tendance rap qui s’est nourrie dans le rap US

Au fil des années, le rap sud-africain s’est carrément métamorphosé en s’adaptant aux musiques modernes. Le groupe Die Antwoord est le premier à promouvoir une musique libertine parlant d’argent de sexe et de drogues. Ils vont populariser « l’afrikaans » (langue germanique issue du néerlandais signifiant « africain », parlée en Afrique du Sud). Ces trois jeunes, dès les années 2000, décident de créer un mouvement contre-culturel, un rap symbolisant le mélange de plusieurs cultures différentes. Leurs textes prônent la coloration de l’Afrique du sud, un mouvement rap libre et décomplexé. Leur sauce plaît partout, même en Europe, au Canada et aux Etats-Unis où ils font régulièrement des tournées.

Le rap américain sera la principale influence de la nouvelle école des rappeurs sud-africains. Le renouveau du rap sud-africain va dévoiler une crème de rappeurs modernes et authentiques où AKA et Cassper Nyovest étaient les plus dominants. C’est une scène locale ambitieuse, et soudée comme en témoigne la complicité entre ses rappeurs, Okmalumkoolkat, Rickie Rick ou encore DJ Speedsta, présentateur télé très actif et acteur important du développement du hip-hop à Johannesburg. Ce dernier va coacher une nouvelle génération très prometteuse composée des talentueux Tellaman, Shane Eagle et Frank Casino.

Franck Casino, originaire de Johannesburg, avec un flow rappellant Asap Rocky, est l’un des jeunes à suivre ; comme Priddy Ugly, Yung Swiss ou encore les rappeuses Moozlie et Nadia Nakai. Cape Town est aussi un repère de kickeurs aussi talentueux les uns que les autres. Youngsta CPT, dont le blaze vient du nom de sa ville, offre un véritable délire egotrip à travers son titre Top Ten List. C’est une ville où le style musical vogue entre engagement et rap hardcore. De nombreux jeunes versent dans cette tendance en 2018 comme Uno July, Master Kii, Stiff Pap ou encore Nyota Parker.

Du haut de ses 17 ans, Nyota Parker offre un cocktail de rap et jazz avec des textes portés vers la résistance au système : « Chez moi, tout est tourné vers l’idée de repousser les limites et d’affronter le système. Je veux influencer une nouvelle génération de combattants prêts à défier notre société et à garder l’œil ouvert ». Cette nouvelle pousse cherche un modèle de rap approprié, une identité musicale. Leurs textes, pour la plupart, parlent du quotidien des jeunes, des faits de société, de la vie nocturne… Un univers proche de celui des rappeurs américains.

Hip-hop sud-africain ou hip-hop sud-africain style US ?

Malgré l’engouement et le dynamisme de cette nouvelle génération, on pourrait s’inquiéter pour le rap sud-africain, très calqué sur les flows américains. Il n’est pas évident de parler aujourd’hui de « hip-hop sud-africain » : « On a pris des beats US et on y a ajouté nos propres paroles, en zoulou. Mais le son ne sonnait pas correctement, ce n’était pas nous. Notre pays est motivé par la musique. Tu auras beau mettre les paroles les plus intellectuelles sur ton morceau, si ce dernier n’entre pas en connexion directe avec les gens de ton pays, tu ferais mieux de la fermer. »

Ces mots du rappeur K.O sous-entendent qu’un rap sud-africain non authentique ne pourrait pas toucher le public. DJ Speedsta renchérit : « Je ne vois pas pourquoi notre musique ne serait pas considérée comme du ‘hip-hop sud-africain’. Et puis, qu’est-ce que ça veut dire exactement ? Le fait de chanter en zoulou [une des onze langues officielles du pays, au même titre que l’anglais] ne fait pas forcément de toi un ‘artiste sud-africain ! (…) En ce qui me concerne, je ne souhaite pas me restreindre, parce que je veux que cette scène s’exporte, et soit comprise de tous. Pour moi et cette nouvelle génération, il s’agit de faire de la musique pour le monde. »

Dans ce contexte, l’arrivée du gqom (genre musical de Durban entre house, techno et kwaito) a plutôt été perçue comme une bonne nouvelle. Ce mouvement né dans les townships (quartiers pauvres en Afrique du Sud) a le mérite d’être devenu une véritable culture à laquelle de nombreux rappeurs se sont identifié comme Okmalumkoolkat, ou Stilo Magolide qui signe de nombreux tubes, notamment Pose Like Stillo ou Day Off avec Nasty C.

Jeune et déjà très célèbre, Nasty C est le symbole d’une nouvelle école beaucoup plus moderne, élevée aux albums de Kanye West, Jay-Z, mais capable d’exporter le rap sud-africain très loin. Il apporte une fraîcheur, de très bonnes performances, avec des vibes très US dans son flow ; il collabore d’ailleurs avec French Montana.

Lui et ses aînés, Cassper Nyovest, Da L.E.S ou AKA, sont des rappeurs sud-africains signés dans des majors comme Sony et Universal. Ils sont efficaces, polyvalents et prouvent que les sud-africains restent des leaders dans la galaxie du rap africain.

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