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5 débats qui n’ont plus cours dans le rap français en 2021

5 débats qui n’ont plus cours dans le rap français en 2021

Et ce n’est peut-être pas plus mal comme ça…

N’en déplaisent aux ronchons toutes époques confondues : une musique qui n’évolue pas est une musique qui meurt.

Là où quantité de genres n’ont pas duré plus de quelques saisons (le punk, le disco, la new wave, le grunge, la dance…), le rap peut non seulement se targuer d’être plus vivant que jamais, mais d’être à l’approche de la cinquantaine au meilleur de sa de forme.

Son secret ? Une créativité sans pareille doublée d’une remise en question permanente.

Seul genre musical à parler de lui-même (le fameux « game »), le rap est en effet traversé depuis le départ par moult débats qui s’ils peuvent paraître obscurs pour les non-initiés, lui évitent de s’endormir sur ses lauriers.

Tandis qu’avec le temps certains paraissent aujourd’hui particulièrement désuets, devoir de mémoire oblige, cela vaut toutefois la peine de les déterrer tant ils avaient sur le moment échauffé les esprits.

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Le rap c’est pas de la musique

Ça a pris le temps que ça a pris, mais après plus de trente ans de rap francophone, « l’urbain » est (enfin) reconnu comme un genre musical à part entière, et non plus comme une mode passagère destinée à s’éteindre après quelques saisons.

Pas d’instrument, rythmes binaires, zéro pointé en solfège… rappelons-nous que les acteurs du mouvement ont longtemps été regardés de haut (pour le dire poliment) par les caciques de la variété, les critiques rock et les conservateurs de tout poil.

Et puis le rapport de force a fini par complètement se renverser.

Aujourd’hui force culturelle et commerciale de premier plan, la désormais « musique préférée des français » cannibalise non seulement le marché (ou pour citer Laurent Bounneau : « La véritable question que se pose l’industrie c’est comment trouver un système où 80%/90% du marché ne soit pas du rap francophone »), mais elle est aussi et surtout celle qui donne le la en matière de tendance (Angèle et Kendji Giracqui qui s’acoquinent avec Damso, Clara Luciani qui fait les yeux doux à Nekfeu, etc.).

Qu’importe si la pilule a encore un peu de mal à passer aux Victoires de la Musique et dans certains médias généralistes, les années se chargeront de régler leurs cas.

Le rap c’est pas pour tout le monde

Né dans la rue, passée l’époque des zulus, le rap s’est très vite retrouvé assorti d’une exigence de street credibility.

Sorte de « permis de rapper », elle imposait à celles et ceux désireux de tâter du micro d’avoir au bas mot un minimum de vécu dans les tours de béton, quand ce n’était pas un casier judiciaire dûment rempli.

Avant de rapper la rue, il fallait avoir connu la rue.

Même chose pour le public. Écouter des albums de la trempe de Mauvais Œil de Lunatic ou Si Dieu veut… de la Fonky Family n’était pas forcément bien accepté si vous étiez d’une sociologie différente de celle du milieu.

Bien sûr, les histoires de misère et violence ont toujours fasciné les cadets de la bourgeoisie, mais rares sont ceux qui osaient se pointer aux concerts.

Fort heureusement, plutôt que de se cantonner à un éternel microcosme, le rap s’est petit à petit ouvert.

Il s’est d’ailleurs tellement ouvert qu’aujourd’hui tout le monde rappe, tout le monde écoute du rap.

N’en déplaise à Yassine Belattar qui déplorait l’émergence des Lomepal et Nekfeu.

Le rap est engagé ou il n’est pas

Parmi les clichés qui dès le départ ont collé aux basques du mouvement, celui du rap « musique des banlieues qui dénonce » a été l’un des plus tenaces.

Alimenté par une certaine presse qui voulait voir dans ce courant l’expression du civisme d’une jeunesse défavorisée et métissée, ce malentendu a depuis sacrément pris du plomb dans l’aile.

Fini les débats de société entre politiques et rappeurs aux heures de grande écoute (Akhenaton contre Charles Pasqua, Joey Starr contre Éric Raoult…). Fini les rimes au vitriol contre le Front Nazi. Fini les accointances avec les partis d’extrême gauche.

Bref, fini le « Qui prétend faire du rap sans prendre position ? » de Calbo d’Ärsenik.

Non pas que le rap conscient n’ait pas sa raison d’être (Médine, Youssoupha & Co., on vous voit), mais ce faisant le rap s’est libéré de ce carcan très franco-français pour s’assumer comme un véritable divertissement.

Zumba, trap, afro trap, featurings variétoches… le rap français est devenu cool dans les clubs et sur TikTok, sans que pour autant il se prenne à chaque fois un procès pour haute trahison à ses supposées « vraies valeurs ».

Le virage est d’ailleurs tel qu’aujourd’hui Marion Maréchal en fait ouvertement fantasmer plus d’un, quand ce n’est pas Freeze Corleone qui retweete à l’aise son grand-père.

Le rap commercial c’est le mal

Dans sa vision romantique, le rap c’est tout autant une musique qui s’écoute qu’une musique qui se vit.

Et malheur à quiconque oserait se compromettre avec le mainstream pour gagner quelques places au top album – souvenez-vous les Reciprok, Yannick et autres Alliance Ethnik voués aux gémonies alors qu’ils n’étaient pas finalement si dégueux que ça.

Rester vrai c’est la seule devise.

Sauf que bon, pas plus que le militantisme (cf. juste avant), la passion ne paie les factures.

Ce débat qui lie un peu trop mécaniquement quantité et qualité s’est toutefois éteint au fur et à mesure que le rap s’est montré gourmand en parts de marché (lire : ça flambe sévère depuis qu’est mesurée la musique écoutée et non plus la musique achetée).

Les chiffres sont devenues au choix un argument de vente pour les rappeurs, des gros titres pour les médias, un sujet de discussion pour le public, et personne ou presque n’y trouve rien à redire.

La preuve, certains artistes ont rencontré le succès qu’ils méritaient dans les charts (les récents disques d’or de Dinos et d’Alpha Wann) sans que cela ne suscite la moindre objection, tandis que l’ami Jul est aujourd’hui considéré comme un parangon d’authenticité quand bien même ses sons flirtent allégrement avec la dance et la pop.

Est-ce que chanter c’est rapper ?

Dans la droite lignée du point précédent, pousser la chansonnette a longtemps été synonyme de compromission avec le capital.

Le rap c’était parler sur un beat, point.

Enfin ça c’était avant que l’Auto-Tune ne pointe le bout de son nez dans la seconde partie des années 2000 et offre à tout un chacun la possibilité de sonner juste d’un coup de baguette magique.

Dès lors, passée une période d’adaptation et des voix excessivement robotisées, rares sont les emcees qui ne se sont pas laissés aller à élargir leurs horizons sonores grâce à cet outil.

Alors oui, le boom bap a perdu en chemin son monopole, mais ne serait-il pas plus juste de dire que « les raps » ont remplacé « le rap » ?

De la même manière que le rock avant lui s’est éparpillé en une multitude de chapelles qui ne partagent pas grand-chose en commun (le hard, la folk, le grunge…), le rap a passé ce cap où sa sphère d’influence est telle que c’est à chacun son rap.

Avis donc à ceux qui estiment que le rap et chant n’ont rien à voir ensemble, en réalité c’est juste qu’il ne s’agit pas de votre style de rap.

[Bonus] Après 35/40 ans c’est fini

Médine (37 ans) qui rajeunit à chaque sortie, Booba (44 ans) qui s’amuse toujours autant à jouer au sale gosse, IAM (l’âge des pharaons en cumulé) qui continue de péter le score en tournée… les darons du micro se portent comme des charmes.

Pas de malédiction des 27 ans, pas de cascades de décès comme aux US, pas de reconversions douteuses… les mecs sont là, évoluent si besoin, collaborent avec les rookies et repoussent toujours un peu plus l’âge de la retraite.

Seront-ils les prochains Dutronc/Mitchell/Souchon de la musique française ? On se serait assez tenté de répondre oui.

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