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NTM : Les 30 ans de J’appuie sur la gâchette

J’appuie sur la gâchette de NTM a 30 ans

Le deuxième album du Suprême NTM a déjà trois décennies d’existence au compteur. S’il a vieilli sur la forme, ses thématiques restent très actuelles. À l’occasion des trente ans du deuxième album de NTM, on revient donc sur le contenu de cet album, aussi bien sur le plan des textes que de la musique.

Redécouvrir l’album trente ans plus tard

Racontées au cinéma en 2021 (Suprêmes) puis à la télévision en 2022 (Le monde de demain), les premières années d’activité du groupe NTM sont désormais bien connues du grand public. Par le biais de ces deux œuvres, la jeune génération peut facilement comprendre le cheminement de Kool Shen, Joeystarr et leurs acolytes à la fin des années 1980 et au début des années 1990, explorant en parallèle la naissance du mouvement hip-hop en France. Malgré des critiques légitimes, comme le fait que Suprêmes ne raconte qu’une seule version des événements, ces objets audiovisuels ont le mérite de rendre accessible tout un pan de l’histoire de la musique, et de contribuer à la transmission de cette culture. 

Suprêmes, le film de d’Audrey Estrougo et Marcia Romano avec la collaboration de JoeyStarr, Kool Shen & DJ S qui relate les jeunes années du groupe.

En revanche, si le parcours du Suprême NTM, très documenté, est aujourd’hui bien connu de tous, les albums du groupe le sont un peu moins. Les auditeurs les plus âgés, qui ont pu découvrir Authentik (1991) ou J’appuie sur la gâchette (1993) à l’époque de leur sortie, ont bien sûr été marqués à vie. Pour les autres, en particulier ceux qui ont découvert le rap français à partir de 2015, l’écoute de ces disques peut être brutale. Le rap français a énormément évolué dans la forme tout au long de son histoire : cette dynamique d’adaptation perpétuelle a permis au genre de perdurer et de survivre pendant trois longues décennies. Cependant, une oreille formatée par l’écoute intensive de PNL, Kekra ou Laylow aura probablement beaucoup de mal à s’adapter aux rythmiques du rap français du début des années 1990. 

À l’occasion des trente ans du deuxième album du Suprême NTM, on revient donc sur le contenu de cet album, aussi bien sur le plan des textes que de la musique. Avant toute chose, il convient de contextualiser cette sortie : on est en 1993, deux ans après la publication d’Authentik, premier album du groupe. Le rap est encore un genre marginal en France, et très peu de noms parviennent à être médiatisés auprès du grand public. NTM fait partie des leaders de cette nouvelle génération d’artistes, et se forge rapidement une image de groupe légèrement subversif, aussi bien pour ses prises de position politiques que pour son refus d’être mis dans la même case que d’autres rappeurs plus sages.

Clip du titre éponyme de l’album J’appuie sur la gâchette, dévoilé le 15 mars 1993. Réalisé par Seb Janiak, le clip relate à merveille la puissance des textes et traite directement du suicide.

Un contexte de sortie chaotique

À une époque où le rap n’est pas forcément vu du bon œil, la publication de J’appuie sur la gâchette ne se fait pas dans la sérénité absolue. Plusieurs polémiques se succèdent : la pochette de l’album fait apparaître une arme à feu en gros plan ; le titre éponyme J’appuie sur la gâchette a pour sujet le suicide, et le traite sur un angle complètement désabusé ; son clip est très premier degré, le suicide est mis en images ; et pour ne rien arranger, le titre Police fait l’objet d’une enquête de la police nationale. Celle-ci est classée sans suite, même si le groupe sera à nouveau sous le coup de poursuites après avoir joué ce titre en live deux ans plus tard.

L’exploitation de l’album est plutôt compliquée pour le Suprême NTM : alors qu’il existe déjà très peu de place pour le rap français à la télévision et sur les radios nationales, le seul titre clippé n’est pas diffusable aux heures de grande écoute, et aucun véritable single ne s’impose. J’appuie sur la gâchette connaît donc le moins bon démarrage de la discographie studio du groupe, et n’ira décrocher le disque d’or que 4 ans plus tard. On précise tout de même pour les plus jeunes que cette certification correspond alors à 100.000 exemplaires vendus, uniquement en physique. Symbole des difficultés de ce disque, la tournée qui devait suivre sa sortie est extrêmement raccourcie, et se limite à 4 dates, un comble pour un groupe réputé pour ses performances sur scène. 

Aujourd’hui, on a tendance à considérer à tort que le Suprême NTM a toujours été un duo composé de Kool Shen et Joeystarr. C’est faux, puisque le groupe a compté (plus ou moins officiellement) d’autres membres au cours de son histoire. J’appuie sur la gâchette est l’album qui illustre le mieux cette donnée, puisque sur les 17 pistes de sa tracklist, Joeystarr n’apparaît que sur 7 titres. Kool Shen est présent à peu près partout, et on retrouve Yazid, originellement danseur et backeur au sein du groupe, sur 4 morceaux. Le grand architecte sonore de l’ensemble est DJ S, déjà omniprésent sur Authentik deux ans plus tôt, et qui ne va malheureusement pas poursuivre avec le groupe ensuite, la faute à des visions divergentes du métier et en particulier de la scène. 

Version Live du titre Police, 3e track de l’album, au Zénith de Paris en 1998.

Des thématiques toujours aussi actuelles

Les codes du rap actuel peuvent rendre laborieuse la réécoute (ou la découverte) de J’appuie sur la gâchette en 2023. La production s’appuie sur énormément de samples, une technique immanquable à l’époque, qui a caractérisé la musique rap pendant de nombreuses années. Le retour au premier plan du boom-bap ces dernières années permet tout de même de réévaluer ces productions rythmiques rapides qui font la part belle aux grosses basses (le boom) et aux caisses claires (le bap) bien marquées. Reste que la technique, notamment celle des rappeurs, a énormément évolué depuis, et que l’on peut facilement se sentir décontenancé par les flows de Joeystarr, Kool Shen et Yazid. 

Le poids des années pèse plus sur les titres nerveux (Pour un nouveau massacre, La révolution du son), avec des rappeurs qui donnent le sentiment de vouloir caser un maximum de rimes dans un minimum de mesures, et semblent courir continuellement après le beat. D’autres sont en revanche toujours impressionnants de maîtrise, on pense par exemple au titre polémique J’appuie sur la gâchette, qui s’appuie sur l’opposition entre l’interprétation très dynamique et élastique de Kool Shen d’un côté, et le spoken-word de Joeystarr de l’autre. 

Qui payera les dégâts ?, 11e track de l’album.

Sur le plan des thématiques, en revanche, on ne peut qu’être agréablement surpris. Les titres de pur égotrip bête et méchant font figure de récréation salvatrice au milieu de sujets plus lourds : les violences policières (Police), le mal-être et le suicide (J’appuie sur la gâchette), les guerres dans le monde (Plus rien ne va), la marginalisation des banlieues populaires (Qui paiera les dégâts ?), l’authenticité de la démarche artistique (C’est clair part.2) … Chaque titre développe une thématique précise et propose une vision engagée de son sujet. La question du message est centrale dans la construction de l’album, et si la forme peut sembler abrupte pour un jeune auditeur, le fond reste malheureusement toujours très actuel.

Police, banlieues, guerres, suicide : non seulement rien ne s’est arrangé depuis, mais dans certains cas, le bilan s’est même aggravé. De ce point de vue, difficile de considérer que J’appuie sur la gâchette souffre de ses trente années d’existence : avec ses thématiques sombres mais universelles, le deuxième album du Suprême NTM aura toujours autant de sens dans 10, 20 ou même 50 ans.

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