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Joke : Mais qu’est-ce que tu fous ?

Joke : Mais qu’est-ce que tu fous ?

Jeudi 2 juin 2016, un jour comme un autre pour le rap français ? Non. C’est le deuxième anniversaire de la sortie de « Ateyaba », le premier album du rappeur montpelliérain Joke…

Un projet à l’époque très attendu, mais qui a, à priori, reçu un accueil mitigé. Celui que l’on présentait comme « l’avenir » du rap français se fait très discret depuis, pourtant le public est loin d’avoir oublié sa singularité. 24 mois après Ateyaba, une éternité pour le rap français, c’est le moment de faire le point sur le début de sa carrière et surtout de s’interroger sur la suite ! Histoire de, pourquoi pas, précipiter son retour.

Toujours un coup (de trop) d’avance ?

Joke a commencé sa carrière très tôt, son street-album « Prêt pour l’Argent » sort sur le label de Teki Latex de TTC en 2009. Mais la carrière de Joke auprès du grand public commence lorsqu’il est signé par Oumar Samaké, le C.E.O de Golden Eye Music Group. Un label indépendant qui se distingue dans le rap français par l’intérêt précoce accordé aux beatmakers, mais aussi, comme avec Dixon, par l’originalité des artistes produits. Les deux hommes partagent la même vision du rap : musicale et tournée vers l’avenir. La collaboration fonctionne, preuve en est la sortie en 2012 de l’EP Kyoto, un projet qui attire la lumière sur Jokeezy et la fraicheur qu’il apporte. Remarquablement produit l’EP comporte quelques pépites : Triumph, 4D, MTP Anthem. Mais en l’écoutant à l’époque, c’est surtout l’impression d’un rap en avance sur son temps que l’on retient. Une avance qui ne lui permet pas d’être mainstream, mais qui lui offre une visibilité chez les « spins » et fait très vite monter son buzz chez les initiés.

On a cherché à trouver un compromis entre notre coté rap et son coté électro.

En 2013, pour profiter de ce buzz, Joke remet directement le couvert avec l’EP « Tokyo ». Cet EP confirme les espoirs placés en lui, son style s’est affirmé et apporte un peu de souffle dans un rap français gangréné par les sous-kaaris. Les tracks défilent, l’écriture impertinente et les instrumentales introuvables ailleurs s’enchainent (on retient surtout Aurore Boréale, Max B, Harajuku et Gotham). Joke devient « hype » et ça se joue tant sur l’aspect musical que sur son image. Un intérêt particulier est accordé à son style vestimentaire (on ne compte plus les commentaires du type : « c’est quoi la marque de sa veste ? ») et à l’esthétique de ses clips. L’apothéose est atteinte avec le clip de « Harajuku », probablement le meilleur morceau de Joke, tourné au pays du soleil Levant.

Si ces projets n’ont pas rencontré un succès commercial immense, ils ont attisé la curiosité du rap français. Les egotrips de Joke ne laissent aucun doute sur son estime personnelle et sur ses ambitions. Son premier album devait transformer ce buzz en chiffres – « les hommes mentent, les femmes mentent, mais pas les chiffres ».

Ateyaba : l’incompréhension ?

Pour son premier album Joke a mis toutes les chances de son côté en le sortant chez Def Jam (son manager, Oumar, étant devenu DA dans le label le plus rap d’Universal). Joke avait déjà le talent, maintenant il a les moyens de ses ambitions. « Ateyaba» (le prénom de son grand père) sort le 2 juin 2014, et c’est la première grosse rencontre avec le public. Quelques extraits accumulent les vues, à commencer par « On est sur les nerfs » qui dépasse les limites du public rap en séduisant un public « bobo » attiré par la hype du rappeur (la survalidation par les Inrocks n’est pas vide de sens). La promo de l’album est impeccable avec son esthétisme soigné et une très bonne visibilité. Les succès de « Majeurs en l’air », « On est sur les nerfs » ou encore la rentrée en playlist de « Vénus » confirment les espoirs placés en lui. Le 9 juin les chiffres tombent, et c’est la douche froide : 7 104 ventes en première semaine pour celui que l’on considérait comme l’avenir du rap français.

Comment expliquer ces chiffres ? Attente trop forte impossible à satisfaire, un projet musicalement pas à la hauteur (une partie du public se plaignant de ne pas retrouver la singularité qui a fait son intérêt jusqu’à présent), un rap trop vulgaire pour toucher le grand public ou tout simplement une absence de maturité tant musicale que commerciale (avec un public pas encore vraiment identifié). Même deux ans après il est difficile de décrypter l’épisode « Ateyaba ». Nous sommes allés à la rencontre d’Oumar, son manager, pour essayer d’en apprendre plus.

Joke ne fait pas de la musique populaire !

« Je retiens beaucoup de positif de la sortie d’Ateyaba notamment la progression, malgré quelques regrets. Les gens sont dans la comparaison avec les autres, nous on est dans la comparaison avec nous mêmes. Avant, pour l’EP, on faisait des tournées de 10 dates avec des salles de 250 personnes en province, là on a fait une tournée de 80 dates avec des salles de 1200 personnes et 20 festivals. Selon moi, ce que Joke fait ce n’est pas de la musique populaire. J’aurais bien aimé atteindre les 10.000, mais pour les gens il n’aurait pas atteint les 30 000… Ce n’est pas du Niska, du Gradur ou du Alonzo musicalement on est sur autre chose. Les gens ont surestimé son buzz, on n’est pas sur des 40 millions de vues comme DjaDja&Dinaz, Joke il fait 4 millions !

Beaucoup ont préféré Ateyaba à Kyoto et à Tokyo.

Concernant la musique, je peux entendre que c’était pas ce que le public attendait, mais on n’est pas un artiste en se contentant de faire ce qu’aime son public. Son album il l’a essentiellement fait tout seul, j’ai certes participé à certains morceaux (sans Benjamin [ndlr Chulvanij]), mais il a fait ce qu’il avait envie de faire, pour lui, si ça plait pas tant pis. Et puis on retient les gens qui n’ont pas aimé, mais y’a beaucoup de gens qui ont préféré Ateyaba à Kyoto et à Tokyo, les chiffres le montrent. Un artiste a besoin de s’ouvrir musicalement pour toucher un autre public. Il aurait pu faire dans la continuité pour que ce soit l’album de la consécration de ce qu’il a fait depuis le début, mais bon il aurait sorti Dolorean Music comme premier album d’autres auraient aussi vomi. En plus on parle d’échec, mais si on additionne le digital, le physique et le streaming il est à plus de 50 000 exemplaires ; mais bon ça servirait à quoi de communiquer dessus 2 ans après ? On préfère donner du love aux notres plutôt que se justifier auprès des haineux. »

Si les chiffres de Joke ont fait ricaner à l’époque, c’est qu’ils ont été directement interprétés comme un échec. Avec un peu de recul, il est possible de relativiser ce constat. Joke a probablement moins vendu que ce qui était attendu par le public et les médias, mais on est loin d’un accident industriel (lire : La Fouine, analyse d’un échec commercial). C’est même un assez bon score pour un premier album (une semaine plus tard Niro faisait 8 500 ventes). Joke a un public jeune, ses chiffres en streaming ne sont pas négligeables et surtout sa popularité lui a permis d’enchainer les concerts. En revoyant le film, la déception est plus musicale (avec un album considéré comme assez moyen, dont on retient que 2-3 sons, alors que les EP laissaient prévoir une rupture avec la concurrence) que commerciale. La dictature de la première semaine a écorné son image, c’est un risque quand on joue le rap game capitalistique egotripé, mais n’a en aucun cas marqué l’arrêt de sa carrière. On reconnait un artiste à sa capacité à rebondir en cas d’échec.

Quelle suite pour Joke ?

Après l’annonce des chiffres d’Ateyaba, Joke a quasiment disparu des radars. Pourtant un indice laissait penser que Joke allait revenir rapidement, il avait publié par surprise l’EP gratuit « Dolorean Music » le 1er Janvier 2015. Un EP très bien accueilli, mais qui ne débouchera pas sur un projet de plus grande envergure. Musicalement l’EP était pourtant réussi et plus en accord avec son identité. Qu’est-ce qui a bien pu expliquer son absence puisqu’il n’a rien dévoilé depuis ? À une époque où le rap français suit un rythme infernal c’est étonnant. Quand l’album de Niska a connu un succès mitigé, il a rapidement enchainé puisque son second projet sort ce vendredi, 9 mois après le dernier. Joke prépare-t-il son retour patiemment, confiant d’arriver suffisamment lourd pour faire table rase du passé ? Son manager Oumar est quant à lui assez confiant sur l’avenir de son protégé.

L’essentiel c’est de revenir avec ce qu’il faut…

« Son absence n’a rien à voir avec son « pseudo-échec », quand t’es un artiste comme Joke et que tu veux apporter quelque chose de nouveau musicalement tu ne peux pas sortir un album tous les 6 mois comme les autres. Pour moi y’a pas de souci pour son retour tant que la musique est bonne. C’est juste une question de marketing, de beaux titres, de beaux clips. T’as pas besoin comme avant de retravailler pendant 8 mois pour prouver que tu existes. T’arrives avec le premier extrait spectaculaire, le clip qui va avec et la grosse annonce et c’est reparti comme en 2013. Je ne suis pas inquiet, l’essentiel c’est de revenir avec ce qu’il faut, comme les gens attendant si tu reviens avec un co-mor incroyable ça peut que bien se passer. [Concernant le morceau « Finesse » qui avait fuité] Non ce n’est pas le son du retour, c’est juste une fuite comme ça. Le seul morceau qu’on a balancé c’est « Cokein » on l’a sorti après l’avoir enregistré à Toronto et je suis content des retours (et les vues sur les réseaux) ça prouve que les gens sont prêts pour quand on reviendra lourd. »

https://www.youtube.com/watch?v=E275vonTYPQ

Joke a fait le pari risqué d’être vulgaire, futuriste et insolent. Des choix qui lui ont permis d’être influent sans forcément rencontrer un succès public d’envergure. C’est en assumant « cette différence qui fait sa différence » qu’il finira par vraiment rencontrer son public. Son retour est attendu et, contrairement à ce que certains peuvent penser, ce n’est pas fini pour lui, loin de là. À lui de revenir plus fort, ou plus cohérent encore, peu importe la chute, c’est l’atterrissage qui compte.

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