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Gangsta: deux réalisateurs belges à l’assaut d’Hollywood [DOSSIER]

Gangsta: deux réalisateurs belges à l’assaut d’Hollywood [DOSSIER]

Nouvel eldorado artistique, la Belgique apporte depuis trois ans une fraîcheur bienvenue au rap français, longtemps cantonné à la dualité Paris/Marseille, et tout heureux de pouvoir se laisser enivrer par une nouvelle scène bruxelloise inventive et fertile.

Mais la scène musicale du plat pays n’est en réalité que la partie visible de l’iceberg belge, dont la créativité s’étend à tous les domaines du divertissement, y compris le cinéma. Au fil des années, le public français s’est ainsi énamouré de quelques pépites du cinéma belge, de C’est arrivé près de chez vous, à Bullhead, en passant par JCVD ou Black.

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Ce dernier, écrit et réalisé par le duo Adil El Arbi et Bilal Fallah, raconte une idylle contrariée par les velléités de deux clans rivaux – pour faire court, une transposition de Roméo et Juliette dans l’univers des gangs de Molenbeek. Malgré les incidents qui ont émaillé sa sortie, entre bagarres et affrontements au sein même des salles de cinéma, et une diffusion limitée en France, Black a tout de même trouvé une couverture presse importante aboutissant à une percée internationale, avec notamment ce prix remporté lors du prestigieux Festival international du film de Toronto.

Une progression exponentielle

Respectivement âgés de 27 et 29 ans au moment de la sortie de Black, Adil El Arbi et Bilal Fallah se sont retrouvés propulsés sur le devant de la scène, portés par le succès critique de leur réalisation – et par le fait qu’Adil ait été couronné homme le plus intelligent de Belgique un beau soir de 2014. Alors que leur dernier film-événement, Gangsta, sort en salles ce mois-ci, tout semble sourire au duo, qui réalisera bientôt Bad Boys 3, avant d’enchaîner sur Le Flic de Beverly Hills 4. Une destinée hollywoodienne assez incroyable, pour ces deux Belges d’origine marocaine qui ne se sont pas quittés depuis leur première collaboration en école d’art et de cinéma, à Bruxelles.

Et s’ils se trouvent aussi facilement aujourd’hui, c’est en partie car le rapprochement s’est fait naturellement à l’époque, leurs similitudes, aussi bien du point de vue de l’origine que des références, agissant comme un liant entre eux : « On a étudié dans une école d’art, Sint Lucas, on était les seuls Marocains. Nous, notre truc, c’était les films américains ou les trucs français comme La Haine ou Jacques Audiard ». A l’époque, leur film de fin d’études, intitulé Broeders, est salué par la critique, qui lui attribue le prix de meilleur court-métrage flamand de l’année en 2011. Une réussite qui leur permet de décrocher une bourse importante – on parle de 60.000 euros – directement investie dans la production de leur premier long-métrage, intitulé Image.

Sans révolutionner le genre, ce film démontre déjà tout ce qui fera le cinéma d’Adil et Bilal par la suite : de l’action grand spectacle avec un budget réduit, couplé à des thématiques sociales plus profondes visant, entre autres, à redorer l’image des habitants des quartiers populaires en Belgique, et notamment de la jeunesse d’origine marocaine. Des thématiques sur lesquelles le duo travaillait déjà quelques mois plus tôt à la télévision belge, lors de l’écriture d’une série de reportages visant à redorer l’image de la communauté marocaine de Bruxelles. Un projet avorté, le ton trop édulcoré ne correspondant pas à la vision d’Adil et Bilal, dont le travail est marqué par un style très cru et une absence totale de filtre.

On a toujours voulu aller à Hollywood

Du court-métrage de fin d’études au premier long-métrage, du premier long-métrage au prix de Toronto, puis du prix de Toronto à Hollywood, la progression d’Adil El Arbi et Bilal Fallah suit une courbe aussi régulière qu’exponentielle. Chaque étape de leur parcours constitue à la fois un pas en avant vis-à-vis du projet précédent, mais également le socle de la réussite du projet suivant. Sans Broeders, Image n’aurait pas été possible ; sans Image, Black n’aurait jamais vu le jour ; et sans Black, nos deux Belges n’auraient jamais posé le pied à Hollywood. Comme des poupées russes, les différentes lignes de leur filmographie s’emboîtent les unes dans les autres, avec une visée finale définie dès l’incipit de leur carrière : « C’est un rêve, on a toujours voulu aller à Hollywood« , nous raconte Adil El Arbi. « Même un artiste qui ne veut viser que des festivals indépendants, son rêve, c’est l’Amérique. »

Hollywood via Anvers

Mais en attendant l’Amérique, il y a Anvers, Amsterdam, et le Maroc, trois lieux qui servent de décor à Gangsta, la dernière réalisation des deux compères. Intitulé Patser (pour flambeur ou frimeur en argot flamand), ce long-métrage néerlandophone reprend les codes déjà entrevus sur les précédents films du duo belgo-marocain, avec une texture moins sombre, plus en phase avec la thématique « flambe et frime » du titre, et fortement portée par leurs influences cinématographiques : « Même si Michael Haneke est un génie, reprend Adil El Arbi, on ne regardait pas ses films quand on avait 18 ans. Nos collègues par contre, c’était leur truc. Ils étaient gauchistes, intellectuels et voulaient tous être les nouveaux Haneke (rires) ! Nous, on préférait Bad Boys, on voulait faire tout exploser. Avec Gangsta, on veut parler à ce public-là, qui ne va pas forcément voir des films en néerlandais. »

On préférait Bad Boys, on voulait faire tout exploser

A la lumière de leur vécu et des références des deux réalisateurs, Gangsta apparaît comme le croisement entre leur ressenti brut de la réalité belge, et leur vision cinématographique, plus fantasmée, et portée par leurs influences hollywoodiennes, de Martin Scorsese à Spike Lee. Loin de se contenter d’enchaîner les scènes de grand spectacle comme un film d’action classique, Gangsta sait se montrer subtil, aussi bien par l’épaisseur de son scénario que par la finesse de sa réalisation, notamment son montage frénétique qui rappelle les meilleures lignes de Snatch ou Hot Fuzz.

Il se passe finalement tellement de choses dans Gangsta que l’on risque de passer à côté de l’essentiel en le résumant sans spoilers : pour faire court, on suit les mésaventures d’une bande de quatre jeunes belges d’origine marocaine, amis d’enfance, dont les vies basculent le jour où ils se lancent dans le business de la cocaïne. Plutôt que de se prendre trop au sérieux en réalisant une version belge des Affranchis ou de L’Impasse, Adil et Bilal misent sur ce que les Belges savent faire de mieux : le second degré. Sans investir pleinement le champ de la comédie, ils intègrent de nombreux éléments plus légers qui permettent de dédramatiser l’intrigue, très dure. Pour compléter l’hommage à leurs influences directes, les deux réalisateurs se servent par exemple du personnage de Volt (Saïd Boumazoughe), passionné par les films de gangsters en général, et par Scarface en particulier, pour placer un maximum de références au genre.

Encore très jeunes, en comparaison avec les réalisateurs que l’on a l’habitude de voir en haut de l’affiche, Adil El Arbi et Bilal Fallah travaillent avec les codes de leur génération : une approche que l’on retrouve à travers le choix de la bande-son de Gangsta, clairement orienté hip-hop et musique électronique, avec notamment la présence d’Ali B, l’un des acteurs majeurs de la scène rap néerlandophone depuis une quinzaine d’années ; mais également par ce parti-pris très prononcé de faire baigner le quotidien des personnages dans leur passion pour le jeu vidéo, créant un contraste brutal entre monde virtuel, dans lequel on peut mourir à volonté sans conséquence, et monde réel, dans lequel la moindre cicatrice peut marquer à vie. Le montage frénétique finit de compléter cette série d’éléments qui donnent à Gangsta un ton et une énergie en phase avec la jeunesse de ses réalisateurs.

Dernier point intéressant à retenir de leurs productions, la place de la thématique féminine, qui se poursuit, en fil rouge, d’Image à Gangsta en passant par Black. On y retrouve à chaque fois des jeunes femmes cherchant à se faire une place dans un monde d’hommes, subissant parfois malgré elles leur propre potentiel de séduction, face à une gente masculine qui ne sait pas – ou ne veut pas – forcément contrôler ses sentiments ou ses pulsions. A travers Gangsta, on suit par exemple le parcours de Badia (Nora Gharib), l’une des membres du quatuor de personnages principaux, une fille qui a grandi au milieu des garçons, et hésitant entre son amour pour les sports de combat couplé à sa dégaine presque masculine, et sa féminité parfois très prononcée, mais pas simple à assumer dans un tel environnement.

Les Princes de Bel-Air

Preuve de la confiance de Bilal Fallah et Adil El Arbi en leur film, le duo a fait l’impasse sur une proposition monstrueuse pour mener à bien leur projet : « Bad Boys 3, on l’avait déjà refusé l’année passée pour tourner Patser, poursuit Adil. Will Smith a ensuite décidé de faire Aladin et le tournage a été repoussé. Au final, c’est revenu entre nos mains. Donc, officiellement, on travaille sur Bad Boys 3. Mais tant qu’on n’est pas sur le plateau de tournage, rien n’est sûr à 100%. On va croiser les doigts, mais on va peut-être faire trois films belges avant de se retrouver à la tête d’un film américain (rires) ! ».

Adoubés en Belgique, aux Pays-Bas et en France, salués par la critique internationale, les deux ex-étudiants de l’école d’art et de cinéma ont parcouru un chemin monstrueux depuis leurs premiers essais à la caméra. Après avoir franchi les marches une par une, les voici prêts à toucher les sommets. Cette dernière étape avant la consécration définitive est peut-être la plus difficile et la plus risquée, le genre de train qui ne se présente qu’une fois dans la vie, et qu’il ne faut absolument pas manquer.

Hollywood, c’est la tune, mais aussi la réduction de la liberté artistique

La charge de travail et surtout la pression faramineuse que représente un tel blockbuster ne semble pourtant pas effrayer ces deux passionnés qui s’éclatent et apprennent de chacune de leurs expériences : « En tant que fan de cinéma américain, c’est un rêve. On se retrouve à discuter avec des experts. En plateau, on a posé énormément de questions à un cameraman présent sur les films d’Oliver Stone, Tarantino et Scorsese. C’était comme un making-of » !

Le diptyque Bad Boys a marqué le public, et on ne touche pas à une telle franchise sans faire quelques sacrifices : « Hollywood, c’est la tune, mais aussi la réduction de la liberté artistique, pas comme en Europe. Sur Bad Boys 3, tu ne vas pas faire tout ce que tu veux non plus »… Reste à savoir si l’on dirige Will Smith et Martin Lawrence de la même manière que Matteo Simoni (acteur principal de Gangsta) ou Martha Canga Antonio (Black) … Quoi qu’il en soit, la question ne semble pas effrayer nos deux réalisateurs, dont le grand saut du plat pays vers Los Angeles n’est pas terminé : après Bad Boys 2, ils seront en charge d’un autre gros blockbuster hérité d’une franchise mythique : Le Flic de Beverly Hills 4. Après avoir conquis le rap français, la Belgique est aujourd’hui à deux doigts de s’imposer à Hollywood.

Crédits photos : Julie Landrieu – JULA

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