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Le son de l’été : la bande originale de Scarface

Le son de l’été : la bande originale de Scarface

Retour au Babylon Club comme si vous étiez…

Lorsqu’en 1983, Brian De Palma propose à Giorgio Moroder de composer de A à Z la musique de Scarface, il ne connaît du producteur italien que sa contribution à la bande originale d’American Gigolo sortie trois ans plus tôt.

Absolument pas au courant de la dizaine d’albums solos que compte sa discographie ou de ses tubes déjà légendaires avec Donna Summer (Hot Stuff, On the Radio, I Feel Love…), le peu qu’il a entendu de lui le convainc cependant qu’il est l’homme en mesure de recréer cette « endless, disco, coked-up music » qui tourne alors en boucle dans les soirées chic de Miami.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que Moroder ne va pas y aller de main morte. Au sommet de son art (on lui doit sur cette même période les cartons pleins What A Feeling d’Irene Cara et Take My Breath Away de Berlin, ainsi que quantité de pépites tombées aux oubliettes), il pousse au maximum les curseurs des eighties.

Tombereaux de synthétiseurs, boîtes à rythmes bourrées d’écho, chanteurs permanentés, solos de guitare FM… à l’image du film, la BO de Scarface convoque tout le baroque et la démesure d’une décennie qui en laissé plus d’un sur le carreau.

Près de quarante après les faits, attardons-nous en détail sur ce disque qui, bien qu’il ait depuis accompagné quantité de nouvelles générations, est paradoxalement toujours passé sous les radars.

1. Push It to the Limit de Paul Engemann

« Tin-lin-tin-tinnn, tin-lin-tin-tinnn, tin-lin-tin-tinnn ! »

Le son qui donne envie de compter ses billets avec une machine, de sortir avec la fille la plus hot de Floride et d’attacher un tigre dans son jardin.

Joué in extenso à la moitié du film en parallèle de l’ascension de Tony Montana dans les hautes sphères du narcotrafic, il est devenu au fil du temps l’hymne à la motivation de tous ceux qui rêvent les yeux ouverts de « grand chelem, chicas, champagne et flashs » pour citer Franck Lopez.

Ultra premier degré, marche aussi bien en sonnerie de téléphone qu’en réveil-matin.

2. Rush Rush de Debbie Harry

Pour son tout premier single solo, l’iconique Deborah Ann Harry retrouve Giorgio Moroder après le numéro 1 des charts Call Me enregistré avec son groupe d’alors Blondie pour la BO d’American Gigolo.

Sur une ligne de basse en arpèges, elle référence ici au refrain l’une des répliques plus célèbres de Tony – celle où, après avoir manqué de finir découpé à la tronçonneuse par les Colombiens, il demande à son pote Chichi de récupérer la « yayo ».

Car oui, derrière son petit air entraînant et son apparente légèreté, Rush Rush parle ouvertement de cocaïne (« Rush, rush to the yayo/Buzz, buzz, gimme yayo »).

3. Turn Out the Light de Amy Holland

Synthé grandiloquent et BPM accéléré sont au menu de cette troisième piste à l’énergie contagieuse.

L’intensité ne redescend donc absolument pas, ce qui n’était pas gagné en étant placé juste après les deux morceaux blockbusters de l’album.

Oh, et si vous vous demandez pourquoi la pochette mentionne comme titre Turn Out the Light et non pas « Turn Out The Night » comme répété au refrain, il s’agit tout simplement d’une typo qui n’a pas pu être corrigée à temps.

4. Vamos a Bailar de María Conchita Alonso

Changement d’ambiance avec une excursion en terres tropicales qui, sans vraiment faire tâche, ne fait pas vraiment mouche.

Un peu niais-niais, un peu forcé, disons que ce Vamos a Bailar est à la musique latine l’équivalent de ce qu’est l’accent d’Al Pacino à l’accent cubain.

Cette BO s’écoutant toutefois comme Scarface se regarde, rien n’interdit les bons jours de lui conférer un petit côté plaisir coupable.

5. Tony’s Theme

Inspirée par L’Air du froid de l’opéra Roi Arthur d’Enhry Purcell, cette instrumentale aux faux-airs de chants grégoriens agit comme une piqûre de rappel : crépusculaire et menaçante, à mille lieux du faste apparent de la vie de trafiquant, elle fait écho au destin tragique qui attend Tony.

Notez que l’orchestration du film diffère légèrement de celle du disque.

6. She’s on Fire d’Amy Holland

Retour d’Amy Holland, mais aussi du parolier Pate Bellotte qui est à la manœuvre sur Push It et Turn Out the Light.

La formule est inchangée, si ce n’est qu’est ici fait le portrait d’une fille « capable de jouer avec les cœurs des hommes comme avec les cœurs des enfants ».

De quoi donner envie de passer la nuit à danser avec Elvira, quand bien même cette dernière tirerait une gueule de six pieds de long.

7. Shake It Up d’Elizabeth Daily

Variation gentiment rock du son disco pop sur laquelle la voix éraillée d’Elizabeth Daily fait des merveilles.

Nostalgiques des salles d’aérobic où les cours se prenaient en tenue Reebok/bandeau/legging fluo, ce morceau est fait pour rentrer en tête de votre playlist.

8. Dance Dance Dance de Beth Anderson

Une antépénultième piste dont les paroles sont réduites au minimum syndical, mais qui compense, vous l’aurez deviné, par du synthé à gogo et des riffs de guitare en pagaille.

Bien que très agréable, elle pâtit de la comparaison avec l’inédit Right Combination enregistré par cette même Beth Andersen qui pour le coup est lui un vrai bon gros tube.

9. I’m Hot Tonight d’Elizabeth Daily

Si à ce stade de la tracklist vous n’avez pas fait une overdose (de disco), vous pouvez vous laisser tenter par ce I’m Hot Tonight, qui, tant sur la forme que sur le fond, ne se distingue guère du lot.

Assez convenu, pour ne pas dire anecdotique.

10. Gina’s and Elvira’s Theme

Bien avant Jaime et Cersei Lannister, il y a eu Tony qui regardait sa sœur Gina avec les mêmes yeux qu’il regardait sa femme Elvira – raison pour laquelle les deux femmes partagent ce thème.

Inceste mis à part, cette instrumentale attrape-cœur imprime une douce mélancolie et conclut les débats sur une note apaisante.

[Notez qu’en 2006, la Fonky Family samplera plutôt habilement ses notes de piano sur Tout ce qu’on a.]

Verdict : cool comme les chemises à fleurs de Tony

Incroyablement kitch, parfois aux confins de la parodie, cette Scarface: Music from the Original Motion Picture Soundtrack ne se révèle pas moins particulièrement jouissive tant elle ne s’embarrasse d’aucune retenue.

C’est rapide, c’est efficace, ça s’écoute fort, et il faudrait être sacrément snob pour refuser de se laisser emporter par son dynamisme.

Mieux, le retour en grâce de Giorgio Moroder aidant (merci les Daft Punk, merci GTA), rien n’interdit désormais de l’apprécier aussi bien au premier qu’au second degré.

Aussi addictif que la blanche de Sosa.

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