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Ce jour où… Murder Inc. a été accusé de blanchir l’argent du crime

Ce jour où… Murder Inc. a été accusé de blanchir l’argent du crime

Avec la série « Ce jour où… » Booska-P revient sur ces anecdotes de plus ou moins grande importance qui ont marqué l’histoire du rap. Aujourd’hui place à ce jour où l’un des labels les plus hot du rap a bien failli fermer boutique pour de bon…

Le 3 janvier 2003 une cinquantaine d’agents gouvernementaux perquisitionnent les bureaux du label newyorkais Murder Inc. Accompagnés de chiens renifleurs, cette descente a pour objectif de mettre à jour un lien entre l’autoproclamé « Most Dangerous Record Label » et le trafiquant de drogue notoire Kenneth McGriff.

Si quelques documents et ordinateurs sont confisqués ce matin-là, aucun membre du personnel n’est arrêté ou inculpé. L’affaire n’en reste cependant pas là et marque le point de départ de l’un des procès les plus retentissants de l’histoire du rap.

La clique « murder eye-enne-cee » dont les plus fiers représentants Ja Rule et Ashanti écoulaient à l’époque des cd par millions est en effet directement accusée par la justice fédérale américaine de blanchir l’argent du crime organisé.

Fondé en 1997 suite à un deal passé entre Island Def Jam et les frères Irving et Christopher Lorenzo alias Irv et Chris Gotti (un blaze choisi d’après celui du dernier grand parrain mafieux John Gotti), Murder Inc. joue à fond la carte de l’entertainment et du gangsta rap.

Si le nom du label fait référence à la « Murder Incorporated », cette succursale du Syndicat du crime (le conseil exécutif de la mafia américaine) chargée de mener à bien les exécutions décidées par ce dernier, le son proposé se veut lui très pop, à base de singles calibrés pour les radios et les télés.

Très vite le succès est au rendez-vous et les certifications d’or et de platine pleuvent à chaque sortie.

Amitiés dangereuses

Originaires du Queens, malgré la réussite les frangins Gotti n’ont pas complétement coupé les ponts avec leurs fréquentations d’alors, et ce notamment avec McGriff.

Plus connu sous le surnom de Supreme, il était dans les années 80 le leader de la Supreme Team, un gang de dealers responsable de près de 200 000 dollars de transactions de crack par jour dans le quartier de South Jamaica.

Véritable légende urbaine, ‘Preme est mentionné dans de nombreux textes des rappeurs comme Nas sur Memory Lane (« Some fiends scream about Supreme Team, a Jamaica, Queens, thing »), 50 Cent sur Ghetto Quaran, ou Ja Rule qui sur un freestyle balance carrément : « Funds unlimited/ Backed by my ‘Preme team crime representatives ».

Libéré en 1997 après avoir été condamné à une peine de prison de 10 ans, il est clairement soupçonné par les autorités d’avoir repris ses activités, mais aussi d’être le commanditaire de plusieurs meurtres.

Toujours est-il qu’officiellement McGriff œuvre dans le milieu du rap, et notamment dans le giron de Murder Inc.

Si son rôles reste obscur (un peu entremetteur, un peu producteur), sa simple présence est très courue dans le game ne serait-ce que pour son indiscutable street crédibilité.

Grâce à ses connections, il crée une société de production qui sort au début des années 2000 en association avec Murder Inc. le film Crime Partners, un « direct to dvd » (enfin « vidéo ») où sont à l’affiche Snoop Dogg, Ice-T et quelques artistes maison comme Ja Rule et Charlie Baltimore.

Si le métrage ne marque pas les annales, il pousse la justice US à se pencher sur le montage financier à l’origine du projet.

« Ils n’appellent pas cela le gangsta rap pour rien, cette image de voyou est tout sauf accidentelle »

Voilà ce que déclare en substance le commissaire en chef de la police newyorkaise le 26 janvier 2005 lors de la conférence de presse suivant l’inculpation de quatre des membres du staff de The Inc. (le label a entretemps changé de nom).

Libérés le jour même en échange d’une caution d’un million de dollars, les Gotti risquent, tout comme Ronald Robinson le manager de Ja Rule et Cynthia Brent la comptable du label jusqu’à 20 ans de réclusion.

Motif : blanchiment d’argent et tentative de blanchiment d’argent.

Si les sentences requise sont particulièrement sévères (et très susceptibles d’être revues à la baisse en cas de condamnation), reste que dans ce type de procès le risque d’être reconnu coupable est extrêmement élevé – plus de 90% de taux de conviction.

Le Feds s’appuient en effet très souvent sur des témoins sous protection. Autrement dit, quelqu’un a « snitché ».

L’acte d’accusation s’accompagne d’un rapport long de 37 pages rédigé par le département de la justice avec les concours de l’IRS (le service des impôts de l’Oncle Sam) et de l’ATF (le « Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives » qui contrôle les SWAT).

Il est reproché au label d’avoir maquillé plus d’un million de dollars d’argent sale appartenant à McGriff via des chèques destinés à officiellement couvrir ses frais de voyage, mais aussi et surtout en persuadant Def Jam de lui octroyer 500 000$ pour produire la bande originale de Crime Partners, une bande originale qui n’a jamais vu le jour.

« Je n’ai rien fait de mal si ce n’est faire de la bonne musique » rétorque Irv Gotti dans les medias.

Histoire de contre-attaquer sur le terrain médiatique, Ja Rule clippe à la fin de l’année le single Murder Reign extrait de son album The Last Temptation.

Si question « bonne musique » il faudra repasser, toute l’affaire est ici mise en scène sans une once de sobriété, de Patrick Swayze qui passait par là à cette fin complétement délirante qui voit le rappeur se comparer sans pression à Tupac et Biggie…

« We did it! »

Le 2 décembre 2005 après de longues semaines d’audience où ont été aperçues dans le public de nombreuses célébrités désireuses de soutenir le crew (Jay-Z, Dame Dash, Russell Simmons, Fat Joe, le champion de poker Phil Ivey…) vient enfin l’heure du verdict.

Tout au long du procès la défense a soutenu que les Gotti n’ont bénéficié du moindre centime de Kenneth McGriff (ce dernier n’étant associé à leurs affaires qu’une raison de son « glorieux passé » ), les fonds du label provenant exclusivement des 3 millions de dollars octroyés par Universal et Def Jam.

Après huit heures de délibération, le jury déclare les prévenus non coupables. Le public présent dans la salle exulte, tout comme Irv Gotti qui sur les marches du palais lève son poing en l’air et s’exclame : « We did it ! », avant d’ajouter : « Jamais je n’aurai travaillé si dur pour ensuite prendre le risque de tout perdre en faisant quelque chose de stupide ou d’illégal. »

Si l’issue est heureuse pour The Inc., cet épisode sonne tout de même le glas du label qui deux ans durant s’est vu empêtrer dans une procédure à n’en plus finir, ralentissant de fait son activité et le rythme de ses sorties.

De l’autre côté, Supreme va finir par retomber du côté où il penche en se voyant à nouveau condamné à des peines lourdes pour possessions d’armes à feu, avant de prendre perpétuité en 2007 pour avoir commandité les meurtres de deux dealers rivaux six ans plus tôt.

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