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Se produire en concert, un gouffre financier pour les rappeurs ?

Se produire en concert, un gouffre financier pour les rappeurs ?

Vald et son concert à Bercy en novembre 2019. Booba et son show au Stade de France en ce début de mois de septembre. Pour ces deux prestations, les deux artistes ont mis en avant, lors de différentes interviews, le manque à gagner que peut constituer la production d’un concert. Eh oui, se représenter sur une scène, ça coûte de l’argent. Entre les nombreuses étapes de préparation, la mise en place d’un show spectaculaire et la logistique, la facture peut très vite gonfler.

Des sommes faramineuses

Le concert, c’est l’occasion pour l’artiste de rencontrer son public, de partager des moments avec ses fans. Le concert, c’est un échange entre le rappeur et ceux qui sont venus le voir, prêts à passer de longs moments dans une salle à s’égosiller sur ses sons. Pour remercier ses auditeurs les plus fidèles et les plus engagés, le rappeur se doit de proposer un show mémorable. Mais pour proposer un show mémorable, il faut sortir le chéquier.

Dans son interview avec Le Chroniqueur Sale diffusée à la fin du mois d’août, Booba évoque le manque à gagner que constitue un concert au Stade de France. Sans forcément rentrer dans les détails, le rappeur explique que se représenter dans l’enceinte sportive de 80 000 places, avec toute la symbolique que cela implique, n’est pas forcément l’événement le plus prolifique de sa carrière sur l’aspect financier : « Bien sûr je vais faire de l’oseille. […] Mais ce n’est pas un hold-up. »

Ces propos de Kopp entrent en résonance avec ceux de Vald et Merkus tenus dans une interview à Rapelite en février dernier. Au micro de Kerch, le rappeur et son manager se sont longuement épanchés sur le coût du concert du V à Bercy qui a eu lieu en novembre 2019. Les deux compères ont parlé d’argent mais pas pour se vanter d’en avoir à foison, bien au contraire. S’il est rare d’entendre les rappeurs parler des difficultés qu’ils peuvent rencontrer, Vald et Merkus n’ont pas fait semblant.

Dans une transparence totale, le manager a dit les termes : « Sur la soirée, on est en déficit d’un demi-million d’euros. On fait approximativement 750 000 euros de chiffre d’affaires et on perd 500 000 euros. Ça veut dire qu’on est à 1.2 million d’euros de dépenses. Pour être à l’équilibre il aurait fallu qu’on dépense 750 000 euros. Sauf qu’on en a dépensé 1.2 millions. » Il continue dans un sourire : « C’était un show de fou malade, on a tout niqué mais on a aussi niqué le budget. »

En effet, pour arriver à de tels montants, il faut bien saisir que Vald a proposé un show époustouflant. Alors que Ce Monde est Cruel venait de sortir, les équipes de l’artiste ont choisi de marquer le coup, comme l’explique Merkus au Monde :  « On a tout mis : porte-avion, toutes les lumières possibles et imaginables, pyrotechnie, CO2, boule à facette, confettis, ptérodactyle, dinosaures, écran immense, antenne parabolique, canons, énormément d’acteurs…»  Tous ces dispositifs coûtent très chers. Mais il faut aussi prendre en compte « l’envers du décor » comme l’explique le manager. « Même le rideau de Bercy coûte 4 200 euros » se désole-t-il.

Qu’est-ce qui coûte autant ?

Pour proposer un show mémorable, il faut sortir le chéquier mais surtout (bien) se préparer. En amont du grand soir, les équipes du rappeur réfléchissent à tous les aspects qui doivent être pris en compte pour que tout roule au moment où l’artiste met les pieds sur scène

Le gros du travail consiste à gérer la pré-production. En priorité, il faut définir la scénographie, c’est-à-dire tout ce qui est en rapport avec le spectacle proposé dans la salle. Quand PNL décide de planter un arbre en plein milieu de la fosse par exemple. Ou quand Jul choisit de se pointer sur scène en conduisant un scooter.

Quand tout cela est pensé et bien imaginé, il faut définir le coût de plateau. Comme son nom l’indique, cela correspond au calcul du prix de toute l’équipe artistique (DJ, backeurs, musiciens) et de l’équipe technique. Sur le plan purement artistique, après avoir établi tout cela, l’artiste passe à l’étape des répétitions. Dans un premier temps, elles ont lieu en studio. L’équipe du rappeur prépare la setlist (c’est-à-dire les morceaux qui seront chantés lors du show) et réadapte certains titres pour le live. Ensuite, c’est l’heure de la résidence, la répétition en condition réelle. L’artiste s’exerce dans une salle de concert, installe le matériel et réunit tous les techniciens.

Pour s’organiser, les rappeurs font appel à des sociétés de production comme Yuma Productions. Rémy Corduant, le directeur adjoint, en détaille les missions : « On intervient sur toutes les facettes [d’un concert], que ce soit de la pré-production, la production, la billetterie, la mise en vente. On fait tout. L’artiste qui veut une tournée des zéniths, il vient nous voir et il nous demande ce qu’on peut lui proposer. On définit un planning, on lui propose une scénographie, une mise en scène, des techniciens. »

Et la pré-production, ça coûte un paquet d’argent. Rémy Corduant, qui s’occupe des tournées de très gros artistes comme SCH actuellement ou Damso prochainement, donne des chiffres éloquents : « Une pré production d’une tournée des zéniths ça coûte entre 500 000 et 1 million d’euros pour une quinzaine de dates. » A l’intérieur de cette pré-production, la vidéo est un aspect qui troue les caisses : « Il y a des choses qui coûtent très cher aujourd’hui, notamment la vidéo. La création vidéo sur une tournée zénith par exemple ça te prend au moins 10 à 20 % de ton budget global de scénographie. »

Enchaîner pour mieux rentabiliser 

Les dépenses à concéder pour se produire en concert sont monumentales. Pourtant, les rappeurs continuent d’en faire, encore et encore. D’abord, parce que c’est une question d’image. Même si le Bercy de Vald a été un gouffre financier, Merkus n’hésite pas une seconde : « En termes de gestion de carrière et d’image, si on devait le refaire, je le refais tous les jours. Ceux qui sont venus reviendront et ceux qui n’ont pas pu y être voudront y être. »

Mais les bénéfices ne sont pas toujours suffisants. Comme Booba le dit si bien au Chroniqueur Sale, « je ne fais pas de bénévolat ». L’argent reste le nerf de la guerre. Et il existe des configurations où la monnaie rentre quand même. Celle où l’artiste enchaîne les dates. 

C’est ce qu’aurait dû faire Vald, afin de rentabiliser son concert à Bercy : «  S’il y avait eu la tournée, si t’es full sur tes dates et que t’as tes festivals, t’amortis tes dépenses » explique Merkus à Rapelite. L’artiste abonde : « T’as le temps d’étaler les frais ou avec une tournée des zéniths. »

Même si « c’est de plus en plus compliqué de dégager des bénéfices » selon Rémy Corduant, enchaîner les concerts permet d’étaler les coûts de production dans le temps. A condition de remplir les salles et de faire tourner la billetterie à plein régime, qui est la principale source de revenus. « Si la tournée affiche complet partout ou que le taux de remplissage monte à 90-95 % chaque soir, l’argent entre » confie le directeur adjoint de Yuma Productions.

De quoi se dire qu’on n’a pas fini de trainer nos guêtres en concert, de lancer quelques pogos et de garder un tas de souvenirs sur le cloud de nos téléphones…

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