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De Barlou à Barlou : lettre ouverte à Seth Gueko

De Barlou à Barlou : lettre ouverte à Seth Gueko

Plutôt Original Barlou qu’Original Gangster, Seth Gueko a fait ses adieux au rap game avec l’album Mange tes morts. Tout ça valait bien un hommage épistolaire de forain. 

C’est une nouvelle page qui se tourne pour les fans de rap des années 2000-2010 : quelques semaines après le chant du cygne de Sinik, c’est Seth Gueko aka le plus barlou des rappeurs français qui a annoncé tirer sa révérence. Histoire de sortir par la grande porte, il a tout de même livré à son public un ultime album, le treizième de sa carrière en solo et intitulé Mange tes morts

Au-delà de la mention « dernier album » explicitement mentionnée sur la pochette des éditions physiques de projet, le titre, Mange tes morts, ne fait pas dans la dentelle, mais en dit long sur le sentiment de ras-le-bol qui pèse sur les épaules du rappeur originaire de Saint-Ouen-l’Aumône. Avant de défoncer les portes de sortie du rap game avec une ultime patate de forain, il a fait part des raisons de son départ d’une façon plus courtoise et terre-à-terre sur ses réseaux sociaux en déclarant ceci : « Je ne retrouve plus les valeurs qui m’ont attiré au début de ma carrière. » Tout simplement.

Avec au total treize albums solo, des collaborations à la pelle, des classiques en veux-tu, en voilà et des punchlines toutes plus mémorables que les autres, Seth Gueko a clairement laissé son empreinte au Panthéon des meilleurs rappeurs français. Sans figurer parmi les plus gros vendeurs de disques, il a su tenir le rythme sur la longueur tout en restant incontestablement LE meilleur punchlineur de l’histoire du rap français. Professeur, en l’honneur de tout ce que tu as accompli et représentes pour le mouvement, voici quelques mots. De Barlou à Barlou. 

A toi Seth Gueko, Barlou, Schneck Guex, Shrek Gueko, Mr le Bigard du rap, mais surtout le bien nommé Professeur Punchline.

Pour commencer, permets-moi de t’exprimer tout mon respect. Simplement parce que pour s’octroyer et prétendre au titre de Professeur Punchline, il fallait oser et être solidement burné. En même temps comment te donner tort ? Quel autre MC peut s’asseoir à ta table et dire « je balance des punchlines aussi folles que toi » ?

Soyons clairs, si le mot figurait dans le dictionnaire, il faudrait coller ton blaze et une photo de ta face tatouée à côté de sa définition. D’ailleurs, puisqu’on en parle, toi qui en a plein le cul de ce foutu rap game, ne trouves-tu pas qu’aujourd’hui dans le rap, le mot punchlines est utilisé à tort et à travers ? A ceux qui osent ranger les vieilles citations de lover d’artistes R&B dans la même case que tes punchs, permets-moi de leur rappeler ce qu’est vraiment l’art de la punchline. Rassure-toi, pour illustrer le propos, pas besoin de Larousse, tes punchs parlent d’elles-mêmes :

  • J’ai tatoué courage sur ma queue car je prends mon courage à deux mains
  • Suis-je métrosexuel si j’enc*le un contrôleur ? 
  •  Le comble de la Diablesse c’est d’avoir le paradis entre ses cuisses 
  • Les meufs c’est comme les Big Mac, c’est jamais comme sur la photo 
  • Le Husky c’est un chien de traîneau, le Chihuahua c’est un chien de traînée 
  • Cherche pas Mehdi à 14h, il est au café du coin 
  • La musique de nos grands frères est devenue celle de vos p’tites sœurs
  • N*que ta mère t’auras des Nike Air. Nikoumouk t’auras des Reebok 
  • Avec la chiasse que j’ai, j’suis pas prêt d’leur céder l’trône
  • Mon rap c’est de la drogue dure, il suffit d’une ligne 
  • Ils ont une punchline par artiste, j’en ai mille par album 

Mille punchs par album ça fait beaucoup donc je me contenterais de ces quelques exemples. De toute façon, on va pas tortiller du cul pour chier droit, si on devait réaliser une sélection objective de tes meilleures punchs, il faudrait carrément écrire un livre entier. En tout cas, à chaque fois que je prends une tarte en écoutant tes sons, je me pose la même question : mec, comment tu fais pour balancer de telles frappes avec autant de finesse et de facilité ? C’est quoi ton secret pour que depuis vingt ans, tes punchlines, qu’elles soient violentes, hardcores, poétiques, potaches ou plus imagées, fassent toujours mouche ?

D’autant plus qu’au-delà de leur vulgarité apparente, tes punchs et plus largement tes couplets, en plus d’être toujours teintés d’humour, illustrent une maîtrise à la fois fine, habile et déconcertante de la langue française. En fait quand on y pense, ton rap est à l’image des burgers du Barlou Burger : c’est un régime hyper protéiné fait de rimes multi-syllabiques, d’hyper-rimes, d’anagrammes et autres figures de style toujours plus riches. Un cuisinier de la rime qui a préféré faire ses études dans le rap plutôt que face aux fourneaux d’une école hôtelière.  

Aussi, quel MC maîtrise mieux que toi le langage des oiseaux ? Ce procédé lexical qui consiste à donner un sens autre à des mots ou à une phrase, soit par un jeu de sonorités, soit par des jeux de mots, ou par le recours à la symbolique des lettres. Bistouflex, Barlou, Liquette, Ya-baa, Défourailler, Cabochard, Zdededex, Calvas, Frenegonde, Couillasse… Bref, je ne compte plus les mots que tu as inventés et qui ont pleinement intégré notre vocabulaire de tous les jours. S’ils le savaient, les académiciens français auraient sûrement le démon, mais c’est ça qu’est bon Barlou !

Cette richesse verbale, elle te vient assurément de ton parcours et de tes origines. Quand on est un enfant du rock, un Français de banlieue d’origines italo-russes et qui plus est a vécu près d’une dizaine d’années en Thaïlande, forcément qu’on est rapidement conditionné à l’ouverture sur le monde. 

Du coup, je ne suis franchement pas surpris que tu puises tes inspirations dans tous les langages, cultures et communautés de la planète. Oui, ton verbe est métissé. C’est le mélange parfait entre le lexique des banlieues, le verlan, le vieil argot parisien de Michel Audiard, le vocabulaire gitan, corse et manouche, celui des loubards, des camionneurs et des bikers, avec quelques notions en serbe, portugais, lingala, arabe, créole et franglais. Avec tout ce bagage linguistique et culturel dans ta besace, tu peux être fier d’avoir semé des fidèles partout dans le monde.

C’est bien simple, les seuls êtres humains qui ne nourrissent pas ton phrasé, ce sont les cons et les fachos. Tout simplement parce qu’en tant que contraire personnifié du racisme, tu représentes tout ce qu’ils détestent : le peuple dans toute sa diversité, sa richesse et sa marginalité. Après tout, n’est-ce pas toi qui sous les traits de Kratos disait très justement « On veut pas d’la France de Jean Messiah ». Sur ça, on est d’accord Barlou et j’espère que si l’extrême droite arrivait un jour au pouvoir en France, tu serais là pour lui mettre une grosse patate de forain de la gueule, histoire de remettre les idées en place à ces ordures.

Quand bien même tes tatouages et ton physique de loubard baraqué ferait fuir n’importe quelle tête à claque du RN et du clan d’Eric Zemmour loin de moi l’idée de vouloir uniquement te cantonner à ce personnage de mâle alpha viriliste, macho et bourrin destroyer que tu incarnes depuis le début de ta carrière. Quiconque aura croisé ta route au moins une fois dans sa vie pourra en témoigner : Humanité et vibes positives sont bien là !

En tout cas, en dépit des bons moments passés dans ce foutu rap game, tu as jugé qu’il était temps de tirer ta révérence après plus de vingt ans de bons et loyaux services. Dieu merci, ceci n’est pas un adieu puisque tu as d’ores et déjà assuré que si tu ne comptais plus sortir d’albums au sens strict du terme, tu étais loin d’en avoir terminé avec la musique.

Tu as bien  dit et répété, ce que tu souhaites toi, c’est faire du rap gastronomique, être flex et à l’opposé de la production « fast food ». J’imagine qu’il faut comprendre par là que si un jour tu as une nouvelle fulgurance et que te vient spontanément l’envie  de sortir un son, tu ne vas pas te gêner. Au même titre que tu ne te priveras pas de poser des couplets au compte-gouttes sur les projets des MC’s que tu en juges dignes. 

Avec le recul, je ne peux que comprendre et respecter ta décision de quitter le game, ce « sport de zouaves » où tout n’est que calcul, buzz, chiffres et pression… Après tout, comment s’y retrouver quand comme toi on défend une vision authentique et sincère de cet art magnifique qu’est le rap ? C’est donc par pure honnêteté intellectuelle que tu préfères te barrer la tête haute. Et c’est tout en ton honneur.

D’autant plus que tu as déjà tout accompli dans cette jungle musicale. Si tu n’as jamais obtenu toutes les certifications que tu méritais, tu es parvenu à t’imposer comme l’un des artistes les plus respectés de la discipline. Ce n’est pas pour rien qu’en plus de deux décennies d’activité, tu peux te vanter d’avoir collaboré avec tout le gratin du rap français. Cela inclut les MC’s de ton époque d’abord, mais aussi les anciens qui t’ont validé ainsi que ceux de la nouvelle géné qui sont fidèles à tes valeurs. 

Dans un contexte de clivage persistant entre l’ancienne et la nouvelle école du rap français, réussir  à mettre tout le monde d’accord apparaît assurément comme une véritable prouesse. D’un point de vue individuel, c’est surtout la preuve ultime que ton œuvre musicale et tes talents de rappeur ont su marquer et fédérer plusieurs générations d’artistes. Et rien que pour ça, je te tire mon chapeau barlou.

Ceci dit, tu l’as sans doute constaté, mais l’annonce de ta  mise en retrait de l’industrie musicale n’a pas manqué de faire réagir. De nombreuses personnes qui ne te connaissaient pas se sont spontanément intéressés à ton art pendant que d’autres qui t’avaient lâché en cours de route se sont immédiatement replongés dans ta discographie. D’ailleurs, sans mentir, ce fut mon cas aussi. Quand j’ai compris que Mange tes morts serait ton dernier album, j’ai eu un pincement au cœur et j’ai réécouté successivement tous tes disques. Les récents, mais aussi et surtout les plus anciens. J’inclus dans le lot certaines mixtapes de l’époque Néochrome, des projets que je confesse, je n’avais encore jamais pris le temps d’écouter en intégralité. 

Habitant à Marseille, je me suis même arrêté manger pour la première fois au Barlou Burger, d’un air coupable en me demandant pourquoi je ne m’y étais pas rendu plus tôt. Comme quoi, le célèbre adage dit vrai : c’est quand on perd quelqu’un ou quelque chose pour de bon qu’on se rend compte de sa véritable valeur.

Bon, on approche lentement mais sûrement de la fin, mais avant de poser ma signature en bas de cette lettre, j’aimerais parler un peu plus en détails de ton dernier album. Car au-delà de son titre explicitement provocateur et de ses invités prestigieux rassemblés pour l’amour de la rime et de la punch bien faite, Mange tes morts représente pour moi ton art sous sa forme la plus complète et aboutie

Comme tu l’as dit, tu as pris trois ans pour coudre tes plus belles rimes, pondre tes meilleures punchlines, inviter des tueurs en feat et pour dénicher des prods de folie. Trois ans, c’est long, mais selon moi, l’attente en valait la peine puisque tu nous as sorti un projet à consommer, ou plutôt à savourer sans modération. Évidemment, tes punchlines sont toujours aussi folles et crois-moi, j’ai littéralement failli faire une sortie de route quand je t’ai entendu lâché dans le plus grand des calmes : « Peut-on dire que je remplis le lave-vaisselle, si j’prends la femme de ménage en levrettе ? »

Les punchs mises à part, ce qui m’a le plus frappé avec cet ultime disque, c’est la façon dont tu es parvenu à te mettre à la fois à nu humainement et en danger artistiquement. Sans parler de tes nombreuses fulgurances lyricales sur un panel d’ambiances musicales toutes très différentes les unes des autres… Quelle claque on prend en écoutant Le tigre qui pleure en clôture le projet. 

Je ne vais pas spoiler pour ceux qui ne l’auraient pas encore écouté, mais ce morceau est d’une puissance émotionnelle et d’une sincérité à couper le souffle. Il m’a immédiatement rappelé ton cri du cœur issu de l’album La ChevalièreUn couple impair. Au départ, j’ai naïvement pensé que tu t’en irais par la grande porte en passant symboliquement le flambeau à ton fils Stos, mais avec un tel outro, laisse-moi te dire que tu as refermé le livre de ta carrière d’une jolie manière.

De mon côté, je n’ai pas la prétention d’être un aussi bon punchlineur que toi. C’est pourquoi plutôt que de terminer cette lettre par une punch qui ferait à coup sûr l’effet d’un flop, en attendant de tes nouvelles sur le terrain musical, je me contenterai de te souhaiter bon vent pour la suite de tes projets ma couillasse. Plus sérieusement, en tout et pour tout ce que tu as fait pour le rap français, le plus sincèrement du monde : mes respects, Monsieur le Professeur !

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