Actualités Musique

Ce qu’il faut savoir sur l’achat de streams

Ce qu’il faut savoir sur l’achat de streams

Au-delà des fantasmes, à quoi ressemble vraiment l’achat de streams ?

« How many faking they streams? / A lot / Getting they plays from machines? / A lot / I can see behind the smoke and mirrors. » Dans A Lot, la superstar d’Atlanta 21 Savage dénonce en compagnie de J. Cole la pratique des achats de streams. Véritable révolution de l’industrie musicale, le streaming a en effet vu son image ternie depuis quelques années par des rumeurs sur l’emploi massif d’écoutes frauduleuses pour mettre en avant des artistes et propulser leur carrière.

Dans l’urbain français, des artistes majeurs comme Maître Gims, Lartiste ou encore Hayce Lemsi se sont prononcés à ce sujet et ont porté le débat auprès d’un public indigné mais pas toujours très bien renseigné. Au-delà des fantasmes, qu’en est-il vraiment de l’achat de streams, et surtout pourquoi cette pratique est susceptible de nuire durablement à l’industrie musicale sur le plan financier ? Suivez le guide…

À LIRE AUSSI 
Un rappeur trolle Spotify en créant des feats avec Damso, Booba ou PNL

L’achat de streams, une pratique en constante évolution

De toutes les industries culturelles, la musique est certainement celle qui a accordé le plus d’importance aux chiffres à toutes les étapes de son développement, au point d’établir des certifications pour notifier les seuils de consommation atteints par un morceau ou un album. Comme tout système, les charts ont donné lieu à des détournements à toutes les époques : annonce de placements en magasin pour masquer un démarrage décevant, voire achats massifs d’albums pour apparaître dans les tops… Une pratique qui s’est vite adaptée au support numérique pour prospérer. Dès les premiers succès du streaming musical au milieu des années 2010, des services ont commencé à proposer d’augmenter artificiellement les écoutes d’un titre.

Dans un premier temps, cette pratique s’est appuyée sur des bots gérés depuis ordinateur sur un modèle très simple : des écoutes de 31 secondes réalisées à partir de playlists créées pour l’occasion. Un système facilement détectable, mais encore mal appréhendé par les labels et les plateformes de streaming, qui sont confrontés à la croissance exponentielle d’un nouveau mode de consommation. À la clé pour un artiste, un bénéfice d’image évidemment, mais aussi un référencement amélioré, une meilleure prise en compte par les algorithmes de suggestion d’écoutes, des placements en playlist… Et dans certains cas, un levier de négociation pour une signature ! La pratique se popularise en l’espace de quelques années, au point d’alarmer les plateformes de streaming qui mettent progressivement en place des systèmes de détection des fausses écoutes basées sur certaines données (type d’appareil, temps moyen d’écoute, pics d’écoutes). En réponse, les services concernés développent des stratégies de contournement. Ils ont désormais recours à des batteries d’appareils mobiles faisant tourner plusieurs comptes simultanément (les fameuses « fermes à clics »).

On constate depuis l’année dernière une régularisation des écoutes frauduleuses

Autre pratique courante, celle des comptes piratés qui permet de contourner les méthodes de calcul des ventes excluant ou réduisant le poids des écoutes gratuites en France et aux Etats-Unis. Fin 2018, Spotify met en place la campagne « Wrapped » permettant aux utilisateurs d’accéder à leur historique d’écoutes de l’année ; certains découvrent alors avec étonnement des noms inconnus dans la liste de leurs artistes préférés ! Toujours pour éviter d’être repérés, les sites d’achat de streams recommandent aux utilisateurs d’étaler les écoutes achetées sur de longues plages de temps, de manière à rester en dessous du volume compris entre 10 et 15 pourcents de fausses écoutes au-delà duquel elles sont détectées par les plateformes. Pour autant, on constate depuis l’année dernière une régularisation des écoutes frauduleuses, mieux appréhendés par les différents acteurs de l’industrie musicale et surtout de plus en plus souvent considérés comme disqualifiants.

Concrètement, qui achète des streams et pourquoi ?

En l’espace de quelques secondes, n’importe quel moteur de recherche recrache une liste de centaines de services permettant d’accroître artificiellement les vues ou impressions d’un morceau sur les plateformes de streaming musical ou vidéo. Ceux qui ont pignon sur rue prétendent s’appuyer sur un « réseau de partenaires » pour augmenter la popularité des artistes. Une affirmation volontairement floue qui vise à les faire passer pour de simples services de promotion musicale : placements en playlist, mise en avant sur les plateformes… Des activités qui sont, dans les faits, remplacées par l’utilisation d’écoutes frauduleuses.

Un service honnête de promotion musicale, peu importe son importance, ne garantira jamais de résultats chiffrés et surtout ne s’engagera jamais à réaliser des placements en playlists sans limites de volume. Une part non-négligeable des usagers de ces services ne sont pas forcément conscients de réaliser une transaction frauduleuse, il s’agit généralement d’artistes amateurs désireux de se faire connaître auprès d’un public plus large, mais desservis par leur manque de connaissance des rouages de l’industrie musicale. Pour autant, il est probable que la majeure partie des achats de streams sont réalisés en connaissance de cause… D’autant que les services qui opèrent directement depuis les réseaux sociaux ont tendance à être beaucoup plus francs sur leurs activités que les géants du secteur.

tout ou presque est personnalisable sur les plateformes d’achat de streams

Pays de provenance, dans certains cas durée de visionnage, nombre d’écoutes garanti : tout ou presque est personnalisable sur les plateformes d’achat de streams afin de laisser le moins de traces possibles. Autrefois ciblées sur Spotify, les fausses écoutes peuvent désormais provenir de plateformes entièrement payantes comme Apple Music. En France, cela s’avère particulièrement avantageux parce qu’elles offrent d’avantage de visibilité dans les charts pour des volumes plus réduits. Cette pratique par définition irrégulière attire des profils extrêmement variés : artiste en développement désireux d’étendre sa visibilité ou effrayé de sous-performer commercialement, manager à la recherche d’arguments de négociation pour une éventuelle signature en label, chef de projet tenu de présenter des résultats concrets à sa hiérarchie… Selon le cas de figure, l’ensemble des acteurs qui travaillent sur l’artiste n’en sont pas nécessairement informés. Il est même possible que certains d’entre eux y soient opposés par principe ! D’autant que la pratique s’avère coûteuse si la cible a déjà un minimum de notoriété : le prix d’un million d’écoutes françaises sur Spotify se chiffre en milliers d’euros. Cependant, des têtes d’affiches internationales y ont déjà eu recours, c’est le cas de Jay-Z, accusé d’avoir augmenté les volumes d’écoutes de The Life of Pablo de Kanye West et de Lemonade de Beyoncé sur sa plateforme de streaming Tidal…

Au-delà des charts, quel est le vrai problème de l’achat de streams ?

Dans leur écrasante majorité, les auditeurs reprochent aux achats de streams de fausser les chiffres de ventes et plus globalement les charts musicaux. Reproche justifié ? Oui, dans une certaine mesure… Mais cet aspect des choses est loin d’être le principal défaut de cette pratique. Selon Louis Posen, fondateur du label californien Hopeless Records, les fausses écoutes représenteraient 3 à 4 % du volume global ; soit une perte de plus de 300 millions de dollars pour les différents acteurs de l’industrie musicale. Selon d’autres sources, le chiffre serait sensiblement plus élevé. Comment expliquer cette perte ?

Les principales plateformes de streaming distribuent les revenus générés par les écoutes suivant un modèle similaire appelé « platform centric ». Après avoir prélevé leur part, les plateformes de streaming divisent leur chiffre d’affaires national par le nombre d’écoutes réalisé sur la même période. Plus le nombre d’abonnés payants est important, plus le chiffre d’affaires sera élevé. À l’inverse, plus le nombre d’écoutes est élevé, moins les revenus par écoute seront importants. Les écoutes frauduleuses ont un double effet : elles le contribuent pas à augmenter le chiffre d’affaires, mais elles augmentent le volume d’écoutes et donc diminuent les revenus des artistes.

Les fausses écoutes augmentent le volume d’écoutes sans contribuer au chiffre d’affaires

Comment empêcher que cela ne se produise ? En juin 2019, les représentants des principaux labels, de plateformes de streaming et d’organisations dédiées à la représentation de la filière musicale ont co-signé un code de conduite destiné à réduire l’achat de streams. Si cet événement démontre que le contrôle de cette pratique est devenu un enjeu majeur pour les acteurs des industries culturelles, il n’a pas tardé à être critiqué par les observateurs : non-contraignant, il fixe sur le papier des modes d’action déjà mis en place par la plupart des signataires… Pour freiner l’achat de streams pour de bon, le fondateur de Music Business Worldwide, Tim Ingham, suggère deux décisions nécessaires. La première consisterait à limiter la consommation de musique par un utilisateur au prix de son abonnement ; il ne devrait pas être possible de générer plus de revenus que l’on verse d’argent et un tel cas de figure est factuellement extrêmement rare pour un simple auditeur. La seconde consisterait à passer du « platform centric » consistant à diviser le chiffre d’affaires généré au niveau national par le nombre d’écoutes sur la même période par un modèle de rémunération « user centric » consistant à diviser le prix de l’abonnement d’un auditeur par son nombre d’écoutes. Autrement dit, chaque auditeur financerait exclusivement les artistes qu’il écoute. En septembre dernier, c’est Deezer qui a lancé une campagne en faveur du modèle « user centric », que la plateforme française souhaiterait adopter à l’avenir…

Top articles

Dossiers

VOIR TOUT

À lire aussi

VOIR TOUT