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San-Nom sort de l’anonymat [PORTRAIT]

San-Nom sort de l’anonymat [PORTRAIT]

Rencontre avec l’artiste à l’occasion de la sortie de sa nouvelle mixtape, « Rien ».

En l’espace de quelques années, San-Nom est passé de rappeur amateur cuisinant toutes sortes d’étranges sauces dans sa chambre à un rappeur confirmé signé en maison de disques (chez RCA, filiale de Sony Music France). Toutefois, dans sa grande évolution, il n’a rien perdu de sa folie : il a simplement réussi à la cadrer et à en tirer profit. Preuve en est son premier projet en label, une mixtape nommée Rien qui va bien au-delà de la simple carte de visite : entre métaphysique, chanson française et écriture corrosive, San-Nom signe un premier projet pétri de caractère. A l’occasion de la sortie de cet opus, le jeune rappeur est passé dans nos locaux pour le défendre… à sa manière.

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De Reims à « Rien »

Originaire de Reims, San-Nom a toujours fait de la musique. Simplement, ce n’est que tard dans sa vie qu’il a croisé le chemin du rap : « Ca fait quatre ans maintenant. J’ai toujours fait de la musique dans ma vie mais ça fait quatre ans que je fais du rap. » Avant ça ? Le jeune homme a exploré tous les horizons de la musique accompagné de sa guitare. Toutefois, c’est le rap qui l’a finalement séduit : genre anarchique, il permet de poser sur tout. « J’ai fait de la guitare à la base. J’ai fait plein de styles musicaux différents et ça m’a amené au rap à la fin parce que ça regroupe un peu tout ce qu’on veut : on peut rapper sur tout style de musique. »

Le catalyseur de sa relation désormais ténue avec le rap, c’est son grand-frère. Mordu de hip-hop, il a pris du temps avant de transmettre sa passion contagieuse à son cadet. Le déclic est arrivé en fin d’adolescence : âgé de 16 ans, San-Nom est traîné par le bras à un concert de rap. Le reste n’est que magie… et potion. « C’est mon frère qui a toujours écouté énormément de rap. Moi j’aimais pas spécialement ça à la base. J’étais habillé en cowboy à cette époque là, j’avais des santiags, et un jour, – il m’a dit « je t’ai pris une place pour Joke ». Je lui ai dit que je m’en foutais complètement et il m’a forcé la main. J’ai bu des coups, j’ai fumé un peu et je me suis pris une claque. A partir de là j’ai écouté du rap à mort. »

De nature studieuse, San-Nom ne s’est pas contenté de prendre la vague du rap actuel : il en a étudié les fondamentaux. Des artistes classiques que sont NTM, IAM ou encore Doc Gynéco jusqu’à l’épopée Neochrome, il a traîné son oreille partout. « J’ai tout déconstruit plutôt qu’écouter que les récents trucs. J’ai fait un peu toute l’histoire du rap pour essayer de comprendre pourquoi le rap existe sous cette forme aujourd’hui. » Parmi ceux qui ont le plus retenu son attention, l’incontournable Alkpote. « Celui qui m’a le plus inspiré, c’est Alkpote. Il t’apprend à rimer – c’est Vald qui disait ça pour le coup et c’est hyper vrai. Il a ce côté très pédagogue dans sa façon de rapper, de rimer. C’est avec lui que j’ai compris le principe du flow. Au début tu écris des trucs mais tu n’as pas cette idée de flow et grâce à lui, j’ai capté. » Adepte des rappeurs à la plume affûtée, il confie également son affection pour Lino : « En termes de lyrics je me suis vraiment buté à Lino. C’est une leçon : quand tu l’écoutes, tu apprends. »

Un style construit ex nihilo

Dans le rap depuis quatre ans, San-Nom a multiplié les expérimentations. Pas satisfait des type beats qui pullulent sur YouTube, il a rapidement pris en main son art en crackant FL Studio, un logiciel de beatmaking. Extrêmement créatif, il ne se pose pas de limite dans son art : preuve en est un de ses anciens morceaux qui samplait La Marseillaise, rien que ça. Toutefois, le jeune rookie était rigide sur sa manière de poser. Hors de question pour lui de chanter ne serait-ce qu’une ligne sur ses morceaux… jusqu’à un nouveau déclic. « Je refusais de mettre une once de mélodie, de chant ou quoi que ce soit dans ma musique. Puis un beau jour, j’ai découvert Kekra et je me suis dit que j’allais faire des mélodies tout le temps ! Grâce à lui, j’ai évolué et fait de la musique de moins en moins énervée dans le sens où je suis moins gueulard. »

Désormais, le rappeur s’est éloigné des machines maintenant qu’il a à disposition des beatmakers de son propre aveu bien plus forts que lui. Toutefois, il reste largement impliqué dans la conception des productions et aiguille ses collaborateurs pour décloisonner au maximum sa créativité. « J’ai ce côté beatmaker dans le sens où je sais comment ça marche mais je ne suis pas un bon beatmaker. Aujourd’hui, j’ai dans les pattes des beatmakers incroyables : je leur dis juste « il me faudrait un truc un peu dans cet esprit, tu prends ce sample » et ils me font des trucs que j’aurais jamais fait. »

Cette tâche en moins lui permet de se focaliser sur l’écriture, l’autre grande force de sa musique. Elle lui est largement due à son amour pour la chanson française, qui le berce depuis son plus jeune âge. « C’est quelque chose que j’ai toujours écouté. J’ai découvert Renaud à trois ans puis Serge Gainsbourg, Jacques Higelin… J’ai toujours écouté ça et la chanson « engagée » en soi, même si je ne pense pas faire un rap engagé spécialement. Moi je suis dégagé à fond (rires). » Inspiré par les chansons engagées, il reproduit quelque peu ce procédé dans sa musique, à une différence fondamentale près. « Je n’ai pas ce côté engagé pour un parti ou une cause. Je ne fais pas la morale. Dans mes projets je dis « on est tous des merdes, moi le premier ». Je ne représente personne, le projet s’appelle Rien parce que je ne représente rien d’autre que moi-même. »

Le néant au coeur de « Rien »

Justement : le 10 juillet dernier, le rappeur envoyait sa mixtape Rien sur toutes les plateformes de streaming, des ambitions et des rêves plein la tête. Sûr de son art, il n’a fait aucune concession dans ce projet à l’écriture dense et aux productions qui forment un tout homogène et éclectique à la fois qui, disons-le franchement, a été pensé comme un album. « Sur tous mes projets précédents il n’y avait pas de construction et j’avais l’impression qu’on me prenait pour un personnage. J’ai voulu déconstruire ça à fond : c’est pour ça que le projet s’appelle Rien, parce que je considère que je ne suis rien, je ne suis personne. » C’est en révélant un peu plus de lui-même que San-Nom a mis à mal son personnage. Même sa mère l’a reconnu pour la première fois dans sa musique… « Je ne suis plus un personnage, je suis totalement sincère. Même ma mère me l’a dit : « j’ai écouté le projet, je t’ai reconnu à 100 % c’est vraiment toi ça te représente, un mélange de colère et de tendresse ! » (rires) »

Coupé en deux, l’opus laisse entrevoir une première partie exaltante avant de plonger dans les affres de la conscience de son auteur : une preuve supplémentaire que cette mixtape a des ambitions d’album. « Le projet commence avec Je vous déteste et finit quasiment avec Je nous déteste. C’est comme un écoulement naturel : dans la première partie je suis irrévérencieux, très taquin et egotrip. Puis dans l’interlude, je dis « c’est bien t’insultes tout le monde mais est-ce que t’es mieux que les autres ? » avant d’enchaîner avec des morceaux plus personnels, plus introspectifs. A la fin, j’en viens à la conclusion que vous êtes tous des merdes mais moi aussi, je suis pas mieux que vous. » Un constat très nihiliste que San-Nom assume totalement.

Vous n’entendez rien de ce que je raconte c’est génial

L’autre aspect de son projet que le Rémois assume totalement, c’est le côté ésotérique de son écriture. Âgé de 20 ans, il fait s’abattre sur les productions une pluie de références culturelles qui pourraient calmer les ardeurs de son public. Lui ne le voit pas de cet oeil : malgré toute l’application qu’il consacre à ses textes, il juge que les lyrics sont moins importants dans le rap aujourd’hui. « Je ne fais pas mes morceaux en me disant « est-ce qu’ils vont comprendre ? », je les fais, tout simplement. Puis en vrai, aujourd’hui, si la mélodie est bonne… les gens écoutent de moins en moins les paroles, ils s’en foutent. Il y en a plein sur Genius qui mettent des paroles qui ne sont pas du tout les vraies : vous n’entendez rien de ce que je raconte c’est génial (rires) ! A la rigueur, si quelqu’un écoute et qu’il tique, il se renseignera et ça lui fera un petit point culture. Mais attention, je ne suis pas là pour montrer à quel point j’ai de la culture, pas du tout. »

Malgré des textes denses pétris de références de tous les horizons, San-Nom l’affirme : il parle majoritairement de rien. C’est de ce constat qu’est né le titre de sa mixtape. « Ce concept de « rien » est venu plus tard. Je n’avais pas spécialement d’idée de nom et en réécoutant le projet je me suis rendu compte que je dis « rien » tout le temps. Après j’ai trouvé des intermèdes de gens qui parlent et où il y a « rien » dans ce qu’ils disent. J’ai eu un débat avec un pote l’autre jour : ça veut tellement tout dire alors que c’est rien, ça peut représenter tellement de choses, ce mot me fascine. » Plus absurde que philosophe, il prépare déjà l’avenir : « J’ai envie de faire une suite qui s’appellerait De rien. » Avant une trilogie nommée Trois fois rien ?

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