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Rap & Afrique #2 : L’Afrique centrale et ses talents [DOSSIER]

Rap & Afrique #2 : L’Afrique centrale et ses talents [DOSSIER]

A travers une série de dossiers, Booska-P vous propose de découvrir ou redécouvrir les rappeurs qui font le hip-hop africain. Deuxième étape : l’Afrique centrale !

Les ambiances africaines comme la rumba, le soukous, ou le n’dombolo du Congo ont créé dans le passé une dynamique culturelle et une succession de tendances, au moment où l’industrie du rap était encore embryonnaire dans la région centrale de l’Afrique. La rencontre avec les influences urbaines modernes va donner des mélanges très efficaces.

Lorsqu’ils se mettent à l’œuvre, les rappeurs ne manquent pas de créativité et de productivité. Du côté du Gabon, Ba’ponga, les groupes Raaboon et Movaizhaleine dans les années 2000, servaient déjà de très bons cocktails urbains, une fusion entre rap américain et musiques traditionnelles gabonaises. Négrissim’ du Cameroun, pionniers dans leur pays adoptaient une authenticité musicale plutôt naturelle et un verbe travaillé, on qualifiait leur rap de « hip-hop de la brousse ». La plupart des rappeurs d’Afrique centrale au début étaient éloquents, soignaient leurs textes mêlant français et langues locales sur des beats hip-hop ou instruments samplés. Krotal s’installa en figure très respecté au Cameroun, il fut l’un des précurseurs du mouvement hip-hop.

Un peu plus au sud, au Congo, les lyrics étaient rappés en français, les refrains en lingala (la langue la plus parlée au Congo), les instrumentaux hip-hop pouvaient laisser de temps à autre la place à des mélodies de guitare rumba. Des férus de hip-hop vont envahir très vite les capitales africaines. De Kinshasa à Libreville, le rap devient très vite à la mode. Au départ, la plupart étaient dans la dénonciation, la révolte. Il y avait aussi les activistes et ceux qui voulaient être la « voix du quartier ».

Les rappeurs africains et l’engagement

L’engagement politique s’est manifesté sous une forme très dynamique en Afrique centrale, d’abord avec le congolais Lexxus Légal, un artiste hip-hop hors-pair, qui prônait l’unité dans son pays. Il reprenait un titre de Tiken Jah Fakoly, Le temps de la paix interprété en lingala. D’autres rappeurs engagés étaient également reconnus dans la sous-région comme Baloji ou Oliverman, véritable kinois (habitant de Kinshasa) qui a su mêler les ambiances de son pays à ses textes engagés. L’industrie était précaire et très peu structurée, mais cela n’empêchait pas l’émergence de rappeurs engagés dans d’autres pays : en Centrafrique, Obob Montana et Docteur Nitro firent les belles années du rap engagé banguissois (terme issu de Bangui, capitale de la Centrafrique).

L’Afrique centrale est une région où les démocraties battent de l’aile, les rappeurs qui ne sont pas forcément engagés se sentent aussi concernés. Koba Building à base de belles rimes et de couplets charismatiques se révolte contre le système en place au Gabon. Figure incontestable du rap africain, depuis 2005, il porte fièrement le titre de meilleur artiste hip-hop africain, mais plus de 10 ans plus tard, c’est un tout autre Koba, révolté contre la guerre dans son pays qui s’installe en France et lâche le titre Odjuku, morceau plutôt révolutionnaire. D’autres sont moins tempérés, en Guinée Equatoriale, Adjoguening est dans une démarche beaucoup plus radicale, il dénonce la corruption et les privilèges de la caste politico-économique du pays.

C’est une région qui regorge de rappeurs engagés comme des rappeurs à vocation plus festive qui exposent subtilement leur mécontentement. C’est le cas de Malhox le Vibeur ou Jovi. Ce dernier explique : « Quand, dans un clip, j’ouvre un robinet et que l’eau qui en sort est marron, les Camerounais comprennent bien ce qu’on veut dire. Quand je dis que je n’ai pas d’électricité ou que j’ai pu mettre mon diplôme au placard parce que je ne trouvais pas de travail, c’est clair aussi. Je n’invente rien et les gens le savent. Le message passe même s’il n’y a pas d’attaque politique directe ».

De la rime vulgaire à la dénonciation des faits de société

Lorsque Jovi arrive en 2011, il popularise le pidgin (mélange d’anglais et de la langue locale très parlée) au Cameroun, c’est l’un des rappeurs les plus appréciés des provinces anglophones du Cameroun pour son style sobre et direct loin des artifices du bling-bling. Il est dans la mise en scène des malaises de la société africaine sur un ton très festif. Les rappeurs de Yaoundé à Douala aspirent à l’avènement d’un rap africain authentique mettant en évidence les charmes des accents africains, bien loin des clichés occidentaux. Pour Jovi, les rappeurs africains doivent arrêter d’être dans le simulacre occidental :

« Notre marque de fabrique est d’utiliser sans distinction toutes les langues parlées au Cameroun. On peut prendre un mot chez les bamilékés à l’Ouest et lui donner du sens dans tout le pays, chez les anglophones ou chez les francophones. On utilise une culture globale, un dictionnaire qui va au-delà de l’anglais, du français ou même du pidgin. C’est une question d’authenticité, d’originalité et de rejet du tribalisme ». A côté de profil comme Jovi, on a des spécialistes du storytelling comme Mink’s ou d’autres beaucoup plus crus, limite vulgaires et audacieux dans leurs textes, histoire de mieux se faire comprendre et de ne pas se cacher derrière un rap trop formel. Mahlox Le Vibeur a fait son nom au Cameroun avec un style décomplexé et sans filtre qui lui vaut d’être considéré comme « promoteur de désordre », aujourd’hui il est parmi les meilleurs d’Afrique centrale.

La nouvelle génération, rap bling-bling et très médiatisé !

L’industrie du rap camerounais évolue très vite et ouvre une nouvelle génération de rappeurs jeunes, funs et très enthousiastes. Parmi les figures à suivre, le Cameroun a Stanley Enow auto-proclamé « King du rap en Afrique Centrale ». Tournées de New-York, à Washington DC, apparitions aux Grammy Awards et aux South by SouthWest de Dallas, le mc à la voix imposante est de ces rappeurs hors normes en réussite actuellement dans cette région comme Locko ou Magasco.

Ce dernier est aussi un kickeur originaire de Bamenda (commune du Cameroun) comme Stanley Enow. Il affûte ses armes en groupe avant de passer en solo et rejoindre le label de Pit Baccardi qui produit aussi X Maleya et Duc Z. « Ce qui m’a motivé, c’est de voir tous ces talents qui manquaient de structure, de vision, de dynamique et de financement », expliquait Pit Baccardi au site Justraprnb. Celui-ci, qui a connu ses succès dans le rap hexagonal, est installé maintenant au Cameroun et contribue au développement de l’industrie musicale là-bas.

La qualité des arrangements, le mariage d’instrumentaux modernes aux mélodies traditionnelles fait danser tous les âges et les jeunes talents ne tarissent pas de créativité. Bouillant et audacieux, le jeune Ténor à sa manière impose ses codes du « rap camer » : couplets à couper le souffle et gestuelle exceptionnelle. De Locko à Ng Bling, c’est le symbole d’artistes qui ne s’enferment pas : à chaque projet, ils cherchent à afficher davantage leur africanité !

Entre flou identitaire et manque de soutien

Avec le travail et la recherche de l’authenticité, les rappeurs sont de moins en moins dans le calque occidental ou américain. Malgré cela, dire que le « rap africain » a trouvé son identité n’est pas évident. Pour rechercher l’originalité, de nombreux rappeurs de Dakar à Kinshasa privilégient le mélange de l’argot avec les langues européennes. « Le rap africain est en train de se trouver une identité, et ça passe forcément par incorporer notre langage quotidien. J’ai été très inspiré par les sénégalais qui rappaient en wolof, cela m’a aidé à me défaire du « calque français » qui fragilise encore beaucoup le rap dans mon pays. » explique Dareal, rappeur camerounais. A côté, les impératifs de la musique commerciale peuvent pousser le rap africain à « se dévergonder » et perdre son authenticité. En 2018, les rappeurs engagés se comptent sur les bouts des doigts au moment où le rap festif, commercial et branché connaît son apogée.

Le rap « festif » symbolise toutefois le continent africain : la fête, les danses, c’est un genre qui peut facilement être médiatisé, alors les rappeurs s’y engouffrent. C’est une génération du rap africain qui n’attend plus les promesses de financement utopiques, elle se prend en charge. Le travail paie pour ceux qui persévèrent. Avec une carrière amorcée depuis 2003, Franko est l’exemple concret : le succès planétaire en 2015 de Coller la Petite va lui permettre d’être certifié disque d’or en France. Des rappeurs africains décrochant des disques d’or en France, c’était inimaginable, aujourd’hui l’expérience prouve que le rap du centre de l’Afrique a encore un énorme potentiel d’évolution pour encore faire parler de lui.

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