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Les Rois sans couronne du Rap Français [DOSSIER]

Les Rois sans couronne du Rap Français [DOSSIER]

La carrière d’un rappeur est souvent partagée entre son ambition purement artistique d’une part, et ses rêves de gloire et de zéros sur le compte en banque d’autre part. Parfois, les deux sont conciliables, mais bien souvent, les artistes qui choisissent de préserver l’intégrité de leur musique au détriment de singles radiophoniques ou d’un positionnement grand public se voient contraints de se contenter d’un simple succès d’estime. Les compliments nourrissent l’égo et la fierté, certes, mais ils ne remplissent pas le frigo.

A l’heure où les certifications tombent chaque semaine sur le rap français, à tel point qu’on se demande si le disque d’or a encore un sens, certains rappeurs considérés comme de véritables légendes n’ont jamais eu l’occasion d’accrocher au mur de leur chambre un joli trophée délivré par la Snep. Qu’ils soient en activité ou retraités, ces artistes ont marqué l’histoire du rap, et continuent, pour la plupart, de le faire. Nessbeal, Despo Rutti, Seth Gueko … retour sur la carrière de ces Rois sans couronne.

Nessbeal

Pourquoi il n’a jamais obtenu de disque d’or : un positionnement handicapant

Considéré comme l’un des grands espoirs du rap français pendant la première moitié des années 2000, après ses premières collaborations avec Booba et Lunatic, et l’album HLM Rezidents avec son groupe Dicidens, Nessbeal ne démarre réellement sa carrière solo qu’en 2006, avec un premier album aujourd’hui considéré comme un classique. Si le succès critique est évident, Nessbeal n’atteint pourtant jamais des sommets sur le plan commercial : malgré quatre albums en cinq ans, il n’obtient aucun disque d’or.

Avec un peu de recul, on se rend finalement compte que Nessbeal est arrivé à la mauvaise période. Pendant la deuxième moitié des années 2000, le rap vend moins, et le positionnement de Nessbeal se révèle handicapant : malgré la qualité de son écriture et l’importance donnée à ses textes, il reste focalisé sur un rap très street, entrant en opposition avec le rap dit « conscient », qui a le vent en poupe à l’époque (s’en prenant notamment à Médine et Youssoupha). Sans véritables singles radiophoniques, sa médiatisation reste limitée, et malgré une solide réputation, son succès populaire reste très relatif.

La vraie couronne de Nessbeal : le succès critique

Malgré une frustration évidente liée à la réception commerciale mitigée de ses projets, Nessbeal ne cherche jamais à réorienter sa position artistique, et continue à livrer des albums de qualité jusqu’au début des années 2010. Sa discographie constitue donc un sans-faute, puisqu’aucune ligne ne fait tâche. Quinze ans après ses premières apparitions, Nessbeal est quasiment considéré comme une légende du rap français, et son retour continue de faire frissonner les auditeurs.

Despo Rutti

Pourquoi il n’a jamais obtenu de disque d’or : trop sombre et trop torturé

Despo a toujours été un peu à part. Après le succès critique du street-album Les Sirènes du Charbon en 2006, ses collaborations avec Seth Gueko, Dosseh ou Lalcko, ses apparitions sur Hostile 2006 puis Autopsie Volume 3, sa réputation grandissante aboutit sur un album édité par Because. Alors qu’il aurait certainement pu exploser et devenir l’un des poids lourds du rap français du début des années 2010, Despo choisit alors de livrer un album sombre et torturé, sans le moindre single radiophonique, et avec pour seul featuring Nessbeal, un autre « roi sans couronne », sur un titre à la thématique particulièrement clivante. Malgré un succès critique indéniable, l’album ne décolle pas dans les bacs.

Après cinq années troubles durant lesquelles Despo se perd aussi bien artistiquement que psychologiquement, son grand retour en 2016 est accompagné de nombreuses polémiques : brouille avec son label, attaques directes envers certains rappeurs, propos très particuliers sur de nombreux sujets… Majster est un disque qui divise, provoque autant d’amour que de haine, frôle aussi bien le génie que la folie, mais ne peut malheureusement pas assurer à Despo un véritable retour sur le devant de la scène.

La vraie couronne de Despo : il n’a jamais fait la moindre concession

Dans le monde du rap, authenticité et capacité à garder son falzar sont les deux qualités les plus appréciées, et celles qui font de vous un homme respecté. Malgré toutes les polémiques et les brouilles, on retiendra donc de Despo qu’il n’est jamais allé chercher une chanteuse RnB pour lui assurer un refrain radiophonique, qu’il n’a pas couru après Booba suite à son apparition sur Autopsie, et qu’il a toujours assumé chacune de ses positions, même les plus discutées.

Mac Tyer

Pourquoi il n’a jamais obtenu de disque d’or : des choix qui ont brusqué son public

Aujourd’hui considéré comme l’un des groupes phares du début des années 2000, dont de nombreux titres sont retenus comme d’authentiques classiques, le succès critique de Tandem n’a malheureusement pas été suivi sur le plan commercial, la faute à un suivi médiatique insuffisant pour espérer viser des ventes à la hauteur de la qualité des différents projets du duo. Sans grande réussite populaire avec son groupe, Mac Tyer tente alors sa chance en solo. Dans un premier temps, son revirement vers le dirty brusque son public, habitué aux sonorités plus sombres de Tandem. Par la suite, une série de choix hasardeux et un positionnement pas toujours très clair l’empêchent de toucher les sommets, et le laissent à mi-chemin sur la route du succès.

La vraie couronne de Mac Tyer : sa longévité et son statut

S’il n’obtient pas le fameux graal du rap français représenté par une certification délivrée par la Snep, Mac Tyer parvient tout de même à faire perdurer sa carrière depuis plus de quinze ans. Véritable vétéran du game, il est aujourd’hui l’un des seuls à pouvoir appeler un album « Je suis une légende » sans aucun risque de se ridiculiser ou de paraître présomptueux, ce qui, franchement, vaut tous les disques d’or du monde.

Salif

Pourquoi il n’a jamais obtenu de disque d’or : un style trop rue, puis des prises de risques déroutantes

Enième représentant des années 2000, qui semble décidément être une décennie maudite, Salif n’a jamais semblé courir après une quelconque récompense, préférant par exemple se concentrer sur des projets avec son groupe Nysay aux périodes où il était au plus haut de sa popularité en solo, et multipliant les prises de risques déroutantes, comme sur son dernier projet, Qui m’aime me suive, qui a particulièrement troublé son public au moment de sa sortie. Parfois trop rue, parfois complètement déconnecté du game, Salif n’en a toujours fait qu’à sa tête -ce qu’on ne pourra clairement pas lui reprocher. Sans atteindre les scores phénoménaux de Booba, Rohff ou Diams, le rappeur boulonnais a tout de même réussi quelques jolies performances tout au long de sa carrière, réussissant à écouler jusqu’à 50 000 exemplaires de ses albums Tous Ensemble et Curriculum Vital – à une époque où les seuils de certifications de la Snep étaient cependant plus élevés.

La vraie couronne de Salif : son statut de légende absolue

C’est ce qui arrive quand un rappeur prend définitivement sa retraite : on ne retient plus que les choses positives réalisées pendant sa carrière, et on met sur un piédestal chacun de ses projets, et chacune de ses vieilles interviews. Dans le cas de Salif, avec cette retraite finalement jamais annoncée officiellement, et ce silence médiatique total, c’est particulièrement édifiant : même ceux qui crachaient sur lui il y a dix ans seraient prêts à payer très cher pour le voir revenir.

Alkpote

Pourquoi il n’a jamais obtenu de disque d’or : de très légers excès de vulgarité de temps à autre

La raison la plus évidente au fait qu’Alkpote n’ait jamais pu prétendre au trône du rap français est à trouver dans son vocabulaire, certes, très riche, mais surtout très fleuri. On a ainsi longtemps pensé que l’utilisation des mots « pute » et « suce » comme de simples outils de ponctuation était un handicap pour toucher le grand public, mais les succès de La Fouine dans un premier temps, puis de Kaaris et Damso ensuite, ont permis d’inverser la tendance.

Au-delà de cette facette du personnage d’Alkpote, son style reste tout de même très particulier. En effet, son amour des multisyllabiques, ses références déconcertantes (Framboisier, Tristan et Lucile, Jack Abbott …), sa faculté à aller explorer des univers musicaux à l’opposé du sien, et ses positions franches sur des sujets délicats (le sionisme, l’homosexualité), font de lui un rappeur difficile à aborder pour un néophyte, qui ravit les connaisseurs mais peut créer le malaise chez un public non-averti.

La vraie couronne d’Alkpote : Daron de tous les jeunes rappeurs

S’il rappelle régulièrement qu’il se sent violé lorsqu’il voit d’autres rappeurs s’inspirer de lui, nul doute que la position de géniteur de bon nombre de nouveaux rappeurs représente tout de même un joli trophée : sa musique a désormais sa propre descendance, ce dont très peu de rappeurs peuvent se vanter, et Alkpote est respecté par la quasi-totalité du rap game pour sa carrière et la maîtrise de son art.

La Rumeur

Pourquoi il n’ont pas obtenu de disque d’or : Parce qu’ils misent sur autre chose

A priori, c’est surtout parce qu’ils n’en ont rien à foutre. Il est même probable que si ça devait arriver, La Rumeur deviendrait le premier groupe de l’histoire à refuser de recevoir un disque d’or. Il faut savoir que chez La Rumeur, les ventes de disque ne sont que la partie visible du business : concerts, site internet, films, le groupe est bien plus qu’un simple trio de rappeurs.

Malgré une certaine importance médiatique, le positionnement de La Rumeur explique tout de même que ce groupe soit rarement cité comme l’un des plus influents du rap français : en marge du game, avec une posture souvent virulente vis-à-vis des gros médias ou des cadors de l’industrie, Hamé, Ekoué et Le Bavar n’ont pas fait une seule concession en vingt ans de carrière.

La vraie couronne de La Rumeur : un falzar bien en place, et une longévité incroyable

Si l’on salue un rappeur solo lorsqu’il atteint les dix ans de carrière, que dire d’un groupe qui dure depuis deux décennies complètes ? Alors que l’immense majorité des formations ne tiennent pas plus de quelques années, la faute à des guerres d’égos, des inimitiés, des conflits financiers, ou des ambitions solos, La Rumeur est restée soudée comme au premier jour.

Seth Gueko

Pourquoi il n’a pas obtenu de disque d’or : un style trop peu family-friendly

« Faire disque d’or avec du rap hardcore, c’est dur comme deboucher des chiottes avec un cintre » : du point de vue de Seth Gueko, le problème semble être sensiblement le même que celui d’Alkpote. Trop vulgaire, trop focalisé sur les métaphores impliquant des organes génitaux, Seth n’est pas le genre de rappeur que l’on écoute en famille ou en voiture avec sa petite amie.

Le cas de Seth Gueko est tout de même assez édifiant : il a toujours réussi des scores honorables, sans jamais flopper, mais sans jamais faire de véritable carton. Une constance qui prouve que sa fan-base reste solide et fidèle, mais que son public peine à s’élargir.

La vraie couronne de Seth Gueko : longévité et constance

S’il n’a jamais réussi à atteindre le disque d’or (ce qui pourrait tout de même arriver à l’avenir), Seth Gueko peut aujourd’hui se vanter d’avoir maintenu ses velléités hardcore pendant plus de dix ans, avec plus d’une dizaine de projets à son actif. Surtout, il a su se renouveler régulièrement, passant d’un style très caillera à des influences manouches, avant de se tourner vers un style plus potache, puis de miser sur sa posture d’expatrié en Thaïlande, et de changer de look en mettant en avant son côté loubard.

Médine

Pourquoi il n’a pas obtenu de disque d’or : des prises de positions clivantes et une image pas franchement sexy-raffinée

Entre ses prises de position parfois volontairement provocatrices, et parfois juste très mal comprises par les différents observateurs, Médine a depuis toujours été un rappeur clivant, créant la polémique, et suscitant le débat. Une position intéressante, mais qui a pu le desservir sur le plan commercial : certains médias n’ont ainsi pas voulu se mouiller en le mettant en avant, et le public n’a parfois entendu parler de lui que sur des sujets extra-musicaux. De plus, son étiquetage « rap conscient », voire même « rap de bibliothèque » selon certains rappeurs qui l’ont directement pris à partie, n’ont pas forcément aidé à rendre son image plus sexy auprès des auditeurs.

La vraie couronne de Médine : Son apparition dans certains manuels scolaires

C’est lui-même qui le dit : « Je passe mon temps à exhorter les gens à se documenter, je considère cela comme le véritable sens de ma carrière, pour mieux comprendre l’histoire. C’est mon disque d’or ! »

Ali

Pourquoi il n’a pas obtenu de disque d’or : trop spirituel pour le public rap

Ok, Ali a bien obtenu un disque d’or, mais c’était avec Mauvais Oeil, un album réalisé en duo avec Booba. En solo, Ali n’a jamais pu reproduire les fastes de l’époque Lunatic, et malgré sa longévité, sa carrière n’a jamais semblé pouvoir réellement décoller. Ses textes particulièrement empreints de spiritualité, et ses albums très majoritairement dominés par des thématiques religieuses, ont amené une frange du public à se désintéresser de ses oeuvres, à une époque où le rap mettait de plus en plus en avant le matérialisme ou le pur divertissement.

De plus, Ali est typiquement le genre de rappeur qui écrit des textes très pointus, extrêmement référencés, et fourmillant d’informations pas toujours évidentes à comprendre dès la première écoute. En somme : les albums d’Ali sont de véritables bijoux, mais ils sont plutôt difficiles d’accès.

La vraie couronne d’Ali : Une belle longévité et des albums de qualité

Visiblement peu attiré par la gloire, la richesse, ou les millions de vues, Ali semble parfaitement heureux avec ce qu’il a. Surtout, il peut s’estimer fier de ses oeuvres, toutes très différentes, mais tirant toutes dans la même direction.

Alpha 5.20

Pourquoi il n’a jamais obtenu de disque d’or : Positionnement indépendant et attitude trop gangsta

Deuxième retraité officiel de notre liste, Alpha 5.20 a été pendant plus d’une dizaine d’années le fer de lance de l’indépendance, à une époque où la mainmise des majors et des grandes radios rendait la tâche particulièrement compliquée. Si le mode de distribution alternatif développé par le Ghetto Fabulous Gang, qui écoulait ses disques directement sur un stand à Clignancourt, ne permet pas de quantifier précisément les ventes effectuées pendant la période d’activité d’Alpha, il est certain qu’aucun disque d’or ne lui a été remis.

Avec des influences américaines parfois très pointues, et surtout en décalage avec le reste du marché français, Alpha 5.20 s’est longtemps heurté à un public hermétique aux sonorités trop west, ou trop south, selon ses projets. De plus, ses attaches au gangsta rap, à une époque où le rap français était encore très puritain, et les contradictions de son discours (« Juste après la prière on remet nos cagoules ») ont contribué à créer une certaine distance entre le grand public et le rappeur.

La vraie couronne d’Alpha 5.20 : un beau statut de légende du rap

A l’image de Salif ou de Fabe, il a suffit qu’Alpha disparaisse du paysage du rap français pour que son statut grimpe quelques marches et qu’il soit considéré comme une légende, un mec qui manque à tout le monde, et qu’on aimerait tant voir encore sur le devant de la scène (alors que la moitié de ses nouveaux fans ne feraient même pas attention à lui s’il était encore actif).

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