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Rap & Afrique #5 : La révolution rap en Afrique du Nord [DOSSIER]

Rap & Afrique #5 : La révolution rap en Afrique du Nord [DOSSIER]

A travers une série de dossiers, Booska-P vous propose de découvrir ou redécouvrir les rappeurs qui font le hip-hop africain. Parlons de l’Afrique du Nord !

La révolution arabe a permis de redistribuer les cartes en Afrique du Nord, que ce soit dans la politique ou dans la musique. Cette ère d’indépendance et de liberté va permettre au rap de faire sa révolution là où il peinait à exploser. Il a quand même fallu plusieurs années pour que le rap devienne une musique grand public en Afrique du Nord. Si des rappeurs « Made in bled » du Maroc ou d’Algérie comme French Montana, La Fouine ou Lacrim arrivent à exploser à l’étranger, les talents locaux vont prendre conscience qu’ils peuvent aussi faire parler d’eux dans un genre catégorisé d’underground dans la région.

On a ceux qui ont lutté et qui se sont engagés pour voir émerger le mouvement hip-hop en Afrique du Nord au risque de perdre leur vie, et à côté il y avait ceux qui étaient à cheval entre raï et rap, écumant salles de concert et festivals, et qui avaient cette facilité à collaborer avec les rappeurs français.

Le Printemps arabe ou la révolution du rap maghrébin

Au début des années 2000, le rap marocain n’avait pas le retentissement d’aujourd’hui. Quelques noms meublaient l’industrie à cette époque tels que Fnaïre ou H-Kayne. Ce dernier est un groupe qui faisait plutôt dans le rap cru, proche de la rue, c’était le groupe à connaître, les premiers à exporter le rap marocain et à jouer au Bataclan. Leur style était assez différent de celui de Fnaïre qui était dans un genre beaucoup plus doux issu d’un mélange de R’n’B et de musiques traditionnelles du bled. Parmi les pionniers du rap « vert rouge » on retrouve aussi L7a9ed, Muslim ou le groupe Casa Crew qui s’identifiaient plus à un rap très énervé.

La culture du hip-hop et le rap vont être des moyens importants d’expression pour les jeunes maghrébins avec des rappeurs qui se servent de leurs chansons pour parler de la vie quotidienne, des problèmes individuels et socio-politiques. Dans le rap engagé, on pouvait compter sur Don Bigg qui se définissait par une plume incisive et des textes rebelles. Ses différents projets de qualité sur lesquels on pouvait retrouver La Fouine ou Fredwreck (le beatmaker de Snoop Dogg) ont largement contribué à sa notoriété sur le sol marocain.

Pour la plupart, les textes étaient écrits en une multitude de langues qui reflètent le multilinguisme du Maghreb. Au Maroc, bien que francophones, la plupart des rappeurs préféraient utiliser « la darija » (la langue arabe, dialecte local) dans leurs morceaux. Ce n’est toutefois pas un frein pour le mouvement rap. Les difficultés se retrouvent plus avec l’influence d’internet dans une industrie où les mentalités n’étaient pas encore préparées. Au début, le rap va se développer plutôt difficilement au Maroc et dans toute l’Afrique du Nord face aux différentes mutations sociales et politiques et, de surcroît, le problème généralisé du piratage de la musique.

https://www.youtube.com/watch?v=yaMov67_r24

Il a fallu que l’Afrique du Nord connaisse une importante révolution culturelle à partir de 2010. Cette révolution, qualifiée de Printemps arabe, est définie comme un véritable chamboulement artistique. Cette révolution a permis à une panoplie d’artistes de pouvoir s’exprimer librement et de casser les codes. Le mouvement était très populaire et de nombreux rappeurs d’Egypte, de Tunisie ou de Libye s’y retrouvèrent. On parle des Tunisiens El General, Psyco-M, les Égyptiens Ahmed Mekki, Ramy Donjewan, Arabian Knightz ou les Libyens Emad Abbar et Hamza Sisi. Au Maroc, on trouvait toutefois des rappeurs encore en marge de ce mouvement tels que Sif L’San, HB2 et Ter-Hoor qui étaient soutenus par le roi du Maroc.

Comment l’arrivée de la trap a boosté le rap marocain ?

Avant 2014, le rap marocain était loin d’être à la mode dans son propre pays. Les mélomanes préféraient le rap US ou le rap français. Lorsque la trap explose au Maroc, une scène musicale d’une vitalité incroyable fait son éclosion avec des artistes en pagaille. Ils ont retenu la leçon et s’ouvrent, s’inspirent des vibes américaines, et dans leur style ils font plutôt penser à de la trap House sous codéine. Les influences New-Yorkaises de Dizzy Dros, rappeur de Casablanca (ville du Maroc), son énergie et son flow dynamique donnent un dosage très apprécié. C’est d’ailleurs un remix d’All The Way Up qui va lui permettre de connaître le buzz.

Toujours à Casablanca, un autre kickeur rappelle Sch. Voix ténébreuse, utilisation abusive d’autotune, cheveux longs, tatouages, apologie de la drogue, 7liwa, véritable tête brûlée du rap maghribi va développer un univers sombre mais d’une efficacité redoutable. « Avec un autre art, il peut y avoir des limites mais pas avec le rap. Tu peux mal parler, parler de religion. Au début on me disait que mes textes étaient trop tranchants, que j’allais grandir et perdre ces mauvaises habitudes, je ne cherche pas à être anti-système, j’ai pris quelques risques. Voilà tout ».

Ils seront nombreux à s’incruster dans l’univers rap avec un style résolument tourné vers les USA afin d’apporter de la fraîcheur dans le paysage musical. Un autre de cette file est Komy, originaire de Rabat, c’est un amateur de crunk qui traite beaucoup plus des problèmes de la société marocaine. Zap Tharwat comptant parmi les rappeurs les plus adulés d’Egypte est aussi de cette galaxie des rappeurs attachés aux questions sociales. « Je suis venu au hip-hop par intérêt pour les problématiques sociales plus que par amour des grosses basses ». La mouvance trap a son arrivée au Maroc a pu compter aussi sur le duo Shayfeen composé de Small X et Shobee.

Ils font dans la trap brute, une ambiance assez colorée et planante qui connaît un véritable succès auprès des auditeurs du royaume et de tout le Maghreb. Ils sont branchés et productifs comme beaucoup d’autres. Entre polyvalence et ouverture artistique, ils développent des ambiances hip-hop hallucinées et rétros très efficaces. Le tunisien Katyb pousse sur le vocodeur le plus possible avec des rythmes rétros, c’est un spécialiste de cloud rap rappelant PNL ou ASAP Rocky. En 2018, Madd est le phénomène à suivre de près, le rookie se démarque avec des mélodies modernes, un style soigné et des toplines efficaces.

Si internet a été à la base des difficultés du mouvement rap dans la région nord de l’Afrique, c’est l’internet qui sera aussi à la base du développement du genre via les réseaux sociaux. Facebook, Twitter et Youtube permettent de toucher facilement le grand public puisque la majorité des jeunes sont sur ces plateformes. Les réseaux sociaux ont donc été un bon tremplin pour ces rappeurs dans une région où certains pouvaient être interdit de télévision ou de concerts. Malgré les contextes sociaux ou politiques parfois difficiles, les rappeurs d’Afrique du Nord ont toujours cette particularité de nourrir une grande fierté vis-à-vis de leurs racines, de leur culture et de leur musique.

Fierté culturelle et désir de s’exporter

Le peuple algérien est très connu pour la fierté de ses origines. Dans son titre DZ Mafia extrait du projet #JesuispasséchezSo, Fianso lance des punchlines « je dors dans mon drapeau » ou « je n’j’ai pas choisi d’être algérien, frère, j’ai juste eu de la chance ». La plupart des rappeurs algériens écrivent dans cet état d’esprit, ceux de la diaspora, que ce soit Lacrim, LIM ou Rimk, n’hésitent jamais à déclarer leur flamme à leur pays d’origine. Avant de s’imposer en France, Soolking était une véritable star en Algérie.

Le prodige signé chez Sofiane est le symbole d’une nouvelle génération rap maghrébine qui ne fait pas les choses à moitié et est prête à franchir les frontières. C’est aussi le cas du collectif Bizzmakers, signé sous le label Néochrome, il sort plusieurs morceaux qui réussissent bien en France. West, l’un des membres du groupe va décider de continuer sa carrière en solo en tentant sa chance dans l’univers musical français.

Le mouvement rap en Afrique du Nord n’est donc pas né de la dernière pluie et a su se construire progressivement mais c’est un rapgame qui mérite encore plus de visibilité. Arrivé à l’âge de 13 ans aux États-Unis, Karim Kherbouch alias French Montana aujourd’hui figure incontournable de la scène hip-hop américaine, reste un natif de Rabat, un symbole pour les jeunes, une preuve évidente que l’Afrique du Nord pourrait bien être championne dans la discipline.

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