Actualités Musique

Interview Smeels : « J’aime prendre des risques, quitte à décevoir le public »

Interview Smeels : « J’aime prendre des risques, quitte à décevoir le public »

Le 12 avril, Smeels a signé un retour remarqué avec GLOF, une pièce de compréhension de son univers et surtout une nouvelle pierre singulière dans sa discographie bien remplie. À chaque sortie de projet, le rappeur franco-camerounais prend ses auditeurs à contre-pied. En effet, Smeels trouve son bonheur dans ce besoin constant de renouvellement artistique. GLOF est le résultat d’un travail d’orfèvre mené par Smeels, Twinsmatic et Paul Dumas. Pour l’occasion, Booska-P est parti à la rencontre de Smeels afin de décrypter le projet.

  • Curtis Macé : Comment vas-tu quelques semaines après la sortie de GLOF

Smeels : Trop bien, merci. Les retours vis-à-vis de GLOF sont positifs. On m’a pas mal félicité pour la qualité de la production. C’est grave satisfaisant car on a énormément travaillé. 

  • CM : Avant de parler en profondeur de GLOF, tu as sorti trois albums instrumentaux et conceptuels (UCKME, Let The Silence et THE END) en 2023. Peux-tu m’expliquer la démarche et ton objectif à travers ces projets ? 

S : Je n’avais pas vraiment un objectif. En réalité, j’avais plusieurs prods sur le côté, non sélectionnées pour GLOF. Je ne voulais pas les jeter donc je les ai partagées, sans aucune promotion. 

Cover de UCKME
  • CM : Sur UCKME, des beatmakers sont présents (ARAM, YXNDO, YOLKIN, THOMS PN, WAVY SZN, PAUL STRAND, Melo Beats et Black Eagle Beats). Pour Let The Silence Speak et THE END, tu es le seul crédité. Tu as donc produit les deux en solo intégralement ? 

S : Exactement. 

  • CM : C’est marrant, car en 2019 tu disais pour Interlude : « Je ne sais pas faire de prods personnellement, parce que je n’ai pas la patience d’en faire ». Quel a été ton déclic ?  

S : J’ai eu la patience (rires). J’ai trouvé que c’était une activité difficile, mais accessible. Pour la plupart des morceaux, on m’a un peu aidé. Dans la production globale, j’ai tout géré. J’avais envie d’envoyer du son, sans forcément m’exprimer oralement. Je voulais que tout soit concentré dans GLOF. Je suis allé au bout de ma démarche. 

  • CM : Quels retours as-tu eus de ces projets ? 

S : Je n’ai rien lu (rires). Si je peux les imaginer, il doit y avoir de la déception et de l’incompréhension. À vrai dire, j’ai réalisé ces projets pour moi. 

  • CM : Passons sur GLOF. Considères-tu GLOF comme ton premier album, une mixtape ou un EP ? 

S : C’est un EP. 

  • CM : Pourquoi GLOF comme nom ? 

S : En anglais, ça signifie « Glacial Lake Outburst Flood ». C’est un phénomène naturel qui intervient sous la forme d’une vidange brutale d’un lac glaciaire. Tu ne sais pas quand le phénomène apparaît. Le youtubeur Seb avait fait une vidéo sur le sujet (ndlr : SEB AU KIRGHIZISTAN). En visionnant son documentaire, tout est apparu comme une évidence dans ma tête. Je trouvais le concept archi fort, en rapport avec l’univers de mon projet. GLOF, c’est donc une métaphore sur l’incertitude. Cela faisait longtemps que je n’avais rien sorti. Comme un GLOF, on est réapparu sans prévenir personne. 

  • CM : Tu as pris ton temps pour concevoir GLOF. Ton dernier long-format Par amour et pour le geste étant sorti en avril 2021. Comment expliques-tu cette absence ? Tu avais besoin de te renouveler ?

S : J’ai eu de nombreuses affaires personnelles à gérer. Je n’aime pas faire de la musique quand j’ai la tête ailleurs. Cela me dessert complètement. J’attendais d’être stable pour me remettre au boulot. Le temps est passé trop vite, je ne m’en suis pas rendu compte. Sur les trois ans qui se sont écoulés depuis la sortie de Par amour et pour le geste, j’ai dû prendre une bonne année à gérer ma vie perso. En parallèle, je faisais de la musique, mais je n’étais pas productif. 

  • CM : Peux-tu me parler de l’importance de twinsmatic, Paul Dumas et Owen dans la conception du projet ? 

S : Ils ont été essentiels. Sans eux, il n’y aurait pas eu de GLOF. À la base, d’autres morceaux devaient sortir. J’avais finalisé un EP intitulé Smeels et Wesson. Avec les gars, on s’est fait une écoute en novembre 2022. Ce ne sont pas des « yesman ». C’est-à-dire qu’ils m’ont dit clairement ce qu’ils pensaient du projet. C’était dur à entendre. Je ne pouvais pas leur en vouloir car c’était pour mon bien. twinsmatic trouvait que le niveau était en dessous de ce qu’il avait déjà écouté en studio. C’est la première fois que j’ai pris en considération un avis extérieur. On a comparé avec le morceau « Eden », produit avec Paul Dumas. C’était la bonne direction, donc on a jeté tout le reste. Je suis trop content de les avoir rencontrés. C’est grâce à eux que je capte enfin ce que je veux faire précisément. Ils ont été une extension de moi-même. 

  • CM : Justement, à la sortie du projet, tu as dit sur Instagram : « Merci à @twinsmatic, @pauldumas_ et @owen.gineered de m’avoir écouté et suivis quand je parlais comme un fou, merci d’avoir mis en musique ce que j’avais en tête et d’avoir respecté ma sensibilité artistique ». Peux-tu me définir ta sensibilité artistique ? 

S : Je ne sais pas si c’est quelque chose qui se définit, mais plutôt qui se ressent. J’ai un rapport à la musique allant au-delà du refrain catchy et de l’ambiance générale. Par exemple, je ne choisis pas les prods en fonction du nom des beatmakers. Je fais de la musique avec mon âme, au feeling. Paul Dumas et Twinsmatic sont les seuls à avoir capté mon délire et ne pas m’avoir pris pour un fou. 

  • CM : As-tu participé au mix comme sur tes projets précédents ? 

S : Oui, toujours. Je suis comme un zinzin avec mon casque à tout checker. Le moindre clap, je le reprends. Je suis un taré du mix (rires). Ils en peuvent plus de moi. Quand je travaille avec des gens, je ne leur donne aucune directive afin de laisser passer leur créativité. Je réajuste par la suite. 

  • CM : Sur GLOF, tu as convié MarJ sur « JANVIER ». Comment s’est faite la connexion ? 

S : Je l’ai rencontré au studio, via twinsmatic. Je la connaissais déjà. J’écoutais ses morceaux sur Soundcloud à l’époque. Lors d’une session, on m’a fait écouter une de ses tracks. J’ai pris une gifle. Hasard des choses, elle arrivait quelques minutes plus tard. À ce moment-là, j’étais sur la conception du morceau « Pression ». Depuis, on a continué à travailler ensemble. Elle est trop forte. J’aime son empreinte vocale et l’émotion qu’elle transmet. Il faut savoir que j’ai forcé de fou pour avoir MarJ sur « JANVIER ». 

  • CM : C’est le seul featuring de GLOF. Encore une fois, tu collabores peu. Est-ce possible de te voir inviter d’autres artistes pour les prochains projets ? 

S : Peut-être. Il faut savoir que je ne refuse pas les featurings. En général, je termine mes morceaux, sans ressentir le besoin d’avoir un invité dessus. J’aime souvent mes seconds couplets (rires). Je n’ai pas cette vision commerciale de la collaboration pour aller chercher de nouveaux auditeurs. 

  • CM : Avec qui aimerais-tu réaliser un featuring à l’avenir ? 

S : J’aime beaucoup Dinos, Zamdane, Houdi, La Fève, Green Montana, J9ueve, TIF ou encore Khali. Il y a aussi Makala. J’adhère totalement au personnage arrogant. 

  • CM : GLOF est homogène avec une structure finement pensée. Comment as-tu trouvé le bon équilibre ? 

S : Quand tu commences à capter ce que tu veux faire, tout devient facile et évident. Au début de la conception d’un projet, c’est impossible de savoir dans quelle direction tu veux aller. La vision arrive avec le temps. Pour GLOF, il nous a fallu trois morceaux pour comprendre et avoir une structure solide (« JAMAIS SOUS L’EAU », « EDEN » et « LE FIL »). À la base, GLOF était un huit titres. On a rajouté « L’AUDACE » et « JANVIER ». 

  • CM : Depuis le début de ta carrière, on ressent ton besoin de casser les frontières du rap et de t’affranchir des étiquettes des genres. En 2018, tu nommais même ton projet Toujours pas un rappeur. Avec GLOF, penses-tu avoir enfin trouvé ta couleur musicale ? 

S : Oui, peut-être. En revanche, je ne pourrais pas mettre un genre ou un nom dessus. 

  • CM : Pour la seconde partie de notre discussion, je voulais m’attarder sur tes lyrics. Sur GLOF, j’ai le sentiment que tu t’es davantage investi dans l’écriture. Est-ce le cas ? 

S : Ton retour me fait plaisir. Comme j’ai réussi à faire la musique que je souhaitais, l’écriture s’est améliorée naturellement. Quand je suis devant une feuille, je fais parler mes sentiments et mes ressentis. Ma parole est plus libérée qu’auparavant. Je n’ai plus les mêmes filtres. Je maîtrise davantage certains sujets. La musique est un exutoire pour moi, une sorte de journal intime où tout le monde a une clé d’accès

  • CM : Globalement, le propos de GLOF est assez sérieux. Cependant, il y a quand même une part de second degré comme sur « L’AUDACE » avec la punchline : « Et puis ton chat qui m’câliné. J’espère qu’il m’en veux pas, j’l’ai pas trop câliné ». Est-ce essentiel pour toi de conserver cet aspect dans ta musique ? 

S : Oui parce que je suis un mec drôle dans la vraie vie (rires). Je ne peux pas être sérieux tout le temps. « L’AUDACE », c’est un morceau délire. Je voulais créer un contraste entre une prod douce et des propos forts, tout en conservant un côté second degrés. 

  • CM : Encore une fois, les femmes sont omniprésentes dans le projet, mais elles sont introduites de manière plus subtile et moins évidente qu’auparavant. Par exemple, tu évoques leurs besoins dans « GOLDIE », les nombreux rapports que tu entretiens avec et les relations tendues avec la belle famille sur « L’AUDACE » ou encore la rupture sur « SANS MOI ». Comment cette thématique parvient-elle à toujours autant t’inspirer ? 

S : C’est un sujet intemporel. Il y aura toujours des femmes et de l’amour. Tant que tu n’es pas posé et focus, tu es obligé de vivre des expériences différentes. Cela enrichit ton inspiration. En revanche, je ne suis jamais très explicite dans mes lyrics. Par exemple pour « GOLDIE », je raconte une histoire personnelle, sans trop rentrer dans le vif du sujet. 

  • CM : Il y a aussi plusieurs phrases à propos de l’industrie comme sur « GOLDIE » ou tu dis : « Les mythos, les cappeur, les prouveurs, l’industrie : j’vois tout ». Quel rapport as-tu avec ce milieu de l’industrie musicale ? 

S : Moins tu as d’intermédiaires, mieux c’est. Malheureusement et heureusement pour certains, tu as toujours besoin de l’industrie. La musique coûte cher, donc il ne faut pas cracher dessus. En revanche, l’oseille ne fait pas ton art. Il ne faut pas tout mélanger. J’ai du mal à matcher avec l’industrie à ce niveau. Je suis indépendant, car cela me correspond davantage. Durant une courte période, j’ai eu un producteur. J’ai rapidement compris que ce n’était pas fait pour moi. Je préfère prendre moins d’argent et être tranquille. 

  • CM : Sur « LE PRÉSENT IL MENT », tu dis : « Non for real, la monnaie a changé mes amis en opps ». Depuis que tu vis de ta musique, as-tu senti un changement négatif de ton entourage à ton égard ? Si oui, as-tu perdu des amitiés ? 

S : Le changement est négatif parce que j’ai voulu le voir de la sorte. Je fais un métier anormal. À contrario, quand tu vas voir des amis qui ont des vies plus « classiques », il va y avoir cette once de jalousie. Ils ne vont pas te le dire directement, mais tu vas le sentir via des actes. J’ai des proches qui ne partagent pas ma musique par souci d’égo. 

  • CM : Pour rester sur ce titre, préfères-tu le passé, le présent ou le futur ?

S : Le présent à 100 %. Je suis dans une énergie que je connais. Le futur représente l’incertitude. Par exemple, je pourrais être une mauvaise personne. Tout est possible. Je préfère mon moi du présent, qui est travailleur. Le passé est un boost pour le présent. Il te permet d’être plus vigilant.

  • CM : Dans « LES MÉTAUX », tu dis « je paye le loyer de la daronne, il me faut un gros métaux ». Est-ce une fierté pour toi de subvenir aux besoins de ta mère via la musique ? 

S : C’est la moindre des choses de rendre la pareille à sa famille. J’essaye de les soulager au maximum. Cela dépend de l’éducation. 

  • CM : Peux-tu me parler du sens de la cover réalisée par bagarre.studio ?

S : C’est une reproduction à l’identique d’une scène d’un film dont je n’ai plus le nom (rires). Pour la cover, on cherchait une image marquante avec une attitude nonchalante. C’est pour cette raison que je fume un cigare. Je voulais créer un paradoxe entre le fait de prendre du bon temps et les deux cadavres en fond. On a fouillé toute la France pour trouver une chambre d’hôtel semblable à celle dans le film à Toulouse. Sur place, on a réservé quatre chambres pour être sûr d’avoir la perle rare. J’aime beaucoup la cover, mais elle ne colle pas au nom et à l’univers de GLOF. Je suis allé au bout de mon idée. Je ne voulais pas spoiler le projet avec la pochette. 

  • CM : Quel est le bon moment dans une journée pour écouter GLOF selon toi ? 

S : Certains l’écoutent le matin, mais je ne comprends pas (rires). Personnellement, je dirai le soir après ta journée. Dans les transports, GLOF passe bien aussi. 

  • CM : Quel est ton morceau favori de GLOF

S : J’en ai deux : « EDEN » et « JAMAIS SOUS L’EAU ».

  • CM : As-tu prévu de faire vivre le projet sur le long terme et surtout de le défendre sur scène ? 

S : Oui. On est en pleine négociation pour des scènes. Il y aura peut-être une tournée en fin d’année. Je pense que l’on va également rajouter quelques titres à l’EP et sortir des versions lives. 

  • CM : Qu’est-ce que je peux te souhaiter pour la suite ? 

S : Que du bon et de la prospérité. Je n’ai pas forcément envie de percer. Je n’aime pas finir le jeu. J’aime la longévité. Parfois, je me suis auto-saboté pour ne pas brûler les étapes. Je suis angoissé face à une trop grande exposition. J’aime prendre des risques, quitte à décevoir le public. C’est ce qui me fait kiffer le plus dans la musique. Je ne veux pas m’enfermer dans une case précise. Quand tu t’en fiches de l’avis des autres, tu vis le truc à fond. Il faut faire de la musique pour soi avant tout, sinon tu es mort. 

GLOF est disponible sur toutes les plateformes de streaming. Il contient dix titres et un featuring avec MarJ.

Top articles

Dossiers

VOIR TOUT

À lire aussi

VOIR TOUT