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Gringe, l’enfant lune [PORTRAIT]

Gringe, l’enfant lune [PORTRAIT]

Alors que son premier album solo, Enfant lune, vient de sortir, nous retrouvons Gringe dans un centre commercial du 13ème arrondissement de Paris. Un lieu tout droit sorti des années 80, qui lui rappelle son enfance…

Crédits Photos : Antoine Ott.

« Je crois que je suis l’incarnation du mot galérer », ansi commence l’album de Gringe, par un Mémo qui résume les épisodes précédents. Plusieurs fois, l’album a été repoussé, et « à force de le sur-teaser », Gringe semble s’être mis lui-même dos au mur. Rétrospectivement, il se dit qu’il avait peut-être besoin de ça, pour lutter contre sa tendance à la dispersion et rester concentré sur son projet. Mais peut-être aussi parce que pour la première fois, il se retrouvait seul, en première ligne : « En vérité sur cet album, j’étais au four et au moulin. Mes potes n’étaient pas là, ils sont partis en tournée et je me suis retrouvé tout seul avec mon ingé son. Donc j’ai tout fait tout seul, j’ai fédéré une équipe de taf, j’ai fait des rencontres qui m’ont tiré vers le haut. C’est la première fois de ma vie que je travaille, en vérité. »

Se sentant dos au mur, il traverse des moments où il a envie de tout arrêter. « A la fin de l’été, je me suis dit qu’il fallait que j’arrête de poster. Il y avait des gens qui se désabonnaient, ou qui m’envoyaient un message pour me dire que j’étais une de-mer. »

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De Cergy à Paris

Originaire de Cergy-Pontoise, il commence à rapper au lycée, à la fin des années 90, avec sa bande de potes entre deux parties de foot. A l’époque il écoute Diable Rouge (présent sur la légendaire compilation Time Bomb) et LSO, « les grands de Youssoupha » : « Y avait un son qui s’appelait L’impasse que je saignais, ça faisait « et dans l’impasse, ça passe ou ça casse », quoi que tu fasses ». Ça c’était la première baffe qui m’a donné envie d’écrire.

Déménageant avec ses parents à Caen, il découvre alors un autre contexte, nécessitant un petit temps d’adaptation : « J’étais un vrai petit con de banlieue, pour moi les gens, c’était des bouseux (rires). Avant que je découvre les gens, que je me mette à les adorer ». C’est là qu’il va faire quelques rencontres déterminantes, notamment celle avec un certain Aurélien Cotentin.

On connaît la suite : un premier buzz avec le morceau Saint-Valentin, en duo avec Orelsan, va susciter l’intérêt des maisons de disques. Orelsan va prendre un peu d’avance avec ses premiers albums, mais sans oublier son ami. A l’âge de 27 ans, il va emboîter le pas de son pote Orel et rejoint la capitale. Il se fait « un peu chier », encore dans les études, mais apprécie de revenir dans la région : « Le retour à Paris m’a fait du bien, parce qu’il m’a redonné une dynamique dont j’ai besoin. Passif comme je suis, je peux m’éteindre parfois. Et être dans une ville qui bouillonne comme ça, ça te maintient un peu en mouvement ». A cette époque, il est déjà « dans le ciné », même si c’est seulement pour déchirer les tickets à l’entrée. Il fait ça huit mois, peut-être le seul taf qu’il garde aussi longtemps. On connaît la suite : Orelsan et Gringe sont les Casseurs Flowters en 2013, Comment c’est loin, bande originale du film du même nom, romance leur parcours.

J’étais un vrai petit con de banlieue, pour moi les gens, c’était des bouseux (rires). Avant que je découvre les gens, que je me mette à les adorer

Quand Orelsan lui propose de l’accompagner sur la tournée du Chant des sirènes, il doit se trouver un appart’, juste histoire de poser ses valises : « Je me retrouve à l’entrée d’Ivry, avec des cafards, un 20 m2, j’y reste deux ans, et je vis à l’hôtel, dans une rue derrière. Il y a un Ibis qui donne sur le périph, et je claque mes premières thunes dans un Ibis (rires). J’ai une chambre au dernier étage, que je loue presque à l’année, parce que je suis mieux dans un hôtel. Je vis la nuit, j’ai un truc un peu romantique où j’écris la nuit, je kiffe, mes potes passent ». Un mode de vie de rockstar, qui le voit alterner entre l’Ibis budget et le Novotel, quoiqu’ « avec vue sur le périph’, rock star low-cost un peu », ponctue-t-il dans un éclat de rire.

Des rencontres déterminantes

Après s’être fait « péter salement par les impôts », Gringe essaye de mettre un peu d’ordre dans sa vie, de tempérer ses inconstances et sa sale manie de ne pas se projeter. Il entretient son espoir de continuer à progresser un peu plus entre les quartiers parisiens, pourquoi pas « jusqu’à Bastille » ou « au bord du canal de l’Ourcq », sa « pyramide de Maslow » à lui.

A 38 ans, il livre donc aujourd’hui son premier album solo, Enfant lune. La noirceur, qu’on pouvait déjà deviner dans un titre comme Le mal est fait, se révèle rapidement à l’écoute. Dès le premier son éponyme, le ton est donné, sur une prod’ de Heezy Lee, accompagnée des scratchs de Dj Pone : « Trois piges de psychanalyse, pour que la psy m’annonce que je suis bien trop dépressif, et tu l’es aussi, si quand tu m’écoutes t’as l’impression de regarder dans un miroir ». Si l’album connaît des passages légers et pleins d’ironie, (tel par exemple Qui dit mieux ?, véritable carré magique avec Orelsan, Vald et Suikon Blaz AD), la matière première d’Enfant lune est plutôt sombre.

Il nous dit devoir beaucoup à certaines rencontres déterminantes. Comme trop longtemps bloqué, il a comme l’impression de démarrer enfin sa vie d’adulte. Avec quelques angoisses viscérales, dont il semble avoir appris à s’amuser : « Je suis incapable de m’installer dans ma vie, il faut que je reste en mouvement. Ça fait deux ans que je suis dans un appart’, je n’ai pas déballé mes cartons. Je sais que c’est complètement fou, mais moi, c’est ma norme. »

Je suis incapable de m’installer dans ma vie, il faut que je reste en mouvement. Ça fait deux ans que je suis dans un appart’, je n’ai pas déballé mes cartons

Dans ce travail de construction de l’album, une rencontre va être plus déterminante que les autres : celle avec Léa Castel, qu’il croise alors qu’elle cherche des auteurs pour son nouvel album, et pour qui il écrit. Une collaboration qui va amener Léa Castel à jouer les bonnes fées pour Gringe. Sollicitée d’abord comme coach vocal, elle va l’inciter à faire évoluer doucement sa musique, l’incitant par exemple à opter pour des compositions plus organiques sur certains titres. Elle lui présente même des musiciens, prenant alors un rôle plus large, assurant une sorte de direction artistique officieuse, au-delà des deux titres sur lesquels elle est créditée, Pièces détachées et Scanner. Deux pièces rares, qui se présentent un peu comme l’aboutissement de « L’enquête de Gringe sur Gringe », évoquée dans le dossier de presse. Vers la fin de l’album, ces titres livrent quelques clés à l’auditeur.

Combattre ses démons

L’expression enfant lune désigne les porteurs d’une maladie rare, qui doivent fuir le soleil pour sauver leur peau. Une allégorie pour l’inspiration de Gringe, nocturne. C’est là qu’il dit trouver ses meilleures sensations, mieux connecté avec lui-même : « Les gens m’oppressent de manière générale. Donc forcément, la nuit, tu croises moins ton vis-à-vis ».

Scanner fut pour lui le plus « dur à décoffrer ». Un titre évoquant la maladie de son frère, diagnostiqué schizophrène : « Je l’écrivais par bribes, et un jour, j’ai fait un puzzle général. Mais c’est mon morceau pivot, celui auquel je suis le plus attaché. Ce n’était pas évident, mais je voulais le faire en restant pudique. J’ai mis du temps, et j’y ai laissé des plumes, j’ai réveillé certains démons ».

Un vécu dont il avait à cœur de parler, souvent dissimulé derrière les souffrances et les peurs que charrient les maladies psychiques : « C’est des gens qu’on met sous sédatifs, qu’on parque dans des HP, et de l’extérieur, tout ce qui est différent inquiète les gens ». Un morceau dont la première prise fut embuée de larmes. Celles-ci sont essuyées par des titres plus lumineux, qui parachèvent l’album. Le prix d’une intensité incroyable, allégée doucement par une mélodie éthérée, portée par la voix de Léa Castel.

Les gens m’oppressent de manière générale. Donc forcément, la nuit, tu croises moins ton vis-à-vis

Il y a certes « laissé des plumes », du fait d’avoir « réveillé certains démons », peut-être le prix à payer pour offrir tant d’intensité dans ces titres. Revenu de « périodes darkos » qui l’ont vu jouer avec les drogues, et dont il donne un aperçu dans LMP, Gringe a tellement condensé ses énergies, qu’il en est ressorti avec un vrai « baby blues ». En point d’orgue à l’album, deux titres ramènent le périple vers des terres plus sereines. Karma, où il invite le poétique Diamond Deuklo, puis Enfant lune, question ultime sur le monde « vu d’en haut ». Parions que cela n’est qu’une amorce, pour un décollage musical de longue portée.

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