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Comment Médine est-il devenu un rappeur cool ? [DOSSIER]

Comment Médine est-il devenu un rappeur cool ? [DOSSIER]

A quelques heures de son premier Zénith, Médine semble enfin avoir acquis une belle cote de sympathie auprès du public rap le plus large. Un statut qui n’était pourtant pas gagné d’avance…

Il y a encore moins d’un an, Médine n’était qu’un rappeur parmi les rappeurs, respecté par le milieu pour ses quinze années de carrière, mais loin d’être le premier nom que l’on associerait à l’idée d’artiste bankable. Pourtant, il s’apprête aujourd’hui à monter sur la scène de son premier Zénith parisien, après avoir produit un single devenu numéro 1 des ventes la semaine de sa sortie, tout en ayant réussi à s’attirer la sympathie de la plupart de ses vieux détracteurs. Aussi improbable que cela puisse paraître, Médine est donc devenu un rappeur cool. Comment un rappeur longtemps catalogué comme l’incarnation du rap conscient à la française -un genre pas franchement synonyme de « cool »- a-t-il fini par devenir ce mec sympa, souriant et drôle capable d’envoyer Marine Le Pen dans les cordes en une pinata et un tweet ? Prévenez Apolline de Malherbe, faites reluire votre barbe, et embarquez avec nous dans cette enquête.

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Un rappeur clivant depuis ses premiers disques

Si le Zénith et le succès du single KYLL en featuring avec Booba constituent bien évidemment la partie visible du nouveau statut de Médine, un tas d’autres indices tendent à prouver sa sympathie actuelle, aussi bien auprès des plus jeunes générations que des auditeurs plus anciens. A titre d’exemple sa répartie pleine d’humour face à Marine Le Pen il y a quelques semaines a rapidement été relayée par la majorité des médias spécialisés, et les internautes s’en sont même inspirés pour créer un jeu-vidéo intitulé Kyll the Pinata. Rien de forcément révolutionnaire, mais ce genre de détail démontre que Médine entre désormais dans la case des rappeurs dont l’image est reprise et détournée dans la bonne humeur par le public, signe d’une certaine popularité -tout le monde n’a pas forcément droit à son propre jeu vidéo suite à un simple tweet.

Médine entre désormais dans la case des rappeurs dont l’image est reprise et détournée dans la bonne humeur par le public

Outre cette popularité, c’est surtout le capital-sympathie de Médine qui a fait un pas en avant spectaculaire ces derniers mois. Au-delà de la question de son discours sur les plans politiques ou sociétaux, la simple problématique de son positionnement vis à vis du rap a longtemps été beaucoup trop clivante pour faire de lui autre chose qu’un rappeur destiné à rester marginal au sein de son propre milieu musical. Sans forcément s’enfermer volontairement dans un rôle de gardien du temple, Médine a en effet longtemps semblé s’inscrire dans la caste de ces rappeurs conscients très autocentrés, refusant de s’ouvrir aux autres courants du rap. Dans cette position, il a pu, d’une part, paraître rébarbatif aux yeux de la frange du public plus attirée par une vision du rap axée sur le divertissement, et d’autre part, être catalogué comme l’un des noms engageant le rap à rester figé dans des codes qui devenaient archaïques. A la fin des années 2000, le clivage qui existe entre Médine et une part de l’auditorat est cristallisée par les piques envoyées par Nessbeal envers le « rap de bibliothèque ».

Un esprit plus ouvert qu’il n’y paraît

Etonnamment, la critique ne pousse pas Médine à s’enfermer dans ses principes et à défendre coûte que coûte sa vision artistique, mais bien à évoluer. Quelques années après la fléchette de Nessbeal, il avouera en interview avoir « pris en compte les critiques » du rappeur Val-de-Marnais, faisant preuve d’une ouverture d’esprit que l’on ne lui prêtait pas forcément. Très inspiré par les éléments historiques et par les questions géopolitiques jusqu’ici, Médine ne change pas de discours, mais évolue petit à petit sur le plan artistique.

Jusqu’à la fin des années 2000, le rap de Médine a en effet une dimension presque rigoriste, et se caractérise par une voix très forte, presque criée, et une interprétation musclée. Si le rappeur est bien appliqué à construire des schémas de rimes solides et bien imbriqués, des couplets bien référencés, tout en traitant des sujets que personne d’autre ne semble vouloir évoquer, l’ensemble est tellement sérieux et appliqué qu’il devient presque martial. Petit à petit, Médine va donc finir par évoluer sur le plan de la forme, en s’ouvrant par exemple à une certaine dose d’humour et d’autodérision dans ses textes, et en acceptant d’intégrer progressivement les sonorités les plus récentes dans ses albums. En 2015, il surprend ses fans les plus sectaires en affirmant devant la caméra de Booska-P que « la trap est en train de sauver le rap ». Sans effectuer de revirement total, ou s’engouffrer dans le pur opportunisme, Médine ajuste petit à petit l’angle de tir et évite l’obsolescence artistique.

Plus détendu face à ses détracteurs, plus drôle et ouvert sur les réseaux sociaux, Médine semble enfin détaché

Sur le plan de l’image, en revanche, Médine reste un rappeur clivant. A titre d’exemple, son positionnement fluctuant vis à vis de Skyrock peut à la fois être vu par le public comme un retournement de veste spectaculaire ou au contraire comme une preuve de sagesse de la part d’un artiste ayant su prendre du recul. Que la vérité se trouve ici ou là, la finalité est la même : Médine divise les auditeurs, et reste donc loin de pouvoir devenir un véritable rappeur populaire. Par ailleurs, ses réactions parfois très premier degré, notamment sur les réseaux sociaux, face à une critique qui n’est généralement que bête et méchante, ne l’aident pas à faire exploser sa côte de sympathie. De la même manière qu’il avait su évoluer suite aux critiques de Nessbeal sur le « rap de bibliothèque », qu’il avait accueilli l’arrivée de la trap avec les bras ouverts, ou qu’il avait revu son jugement sur Skyrock, Médine a donc pris le temps d’analyser ce qui pouvait poser souci dans sa communication, et semble avoir revu sa stratégie sur ce plan. Plus détendu face à ses détracteurs, plus drôle et ouvert sur les réseaux sociaux, Médine semble enfin détaché, une condition indispensable pour enfin devenir un mec cool.

Une polémique malvenue mais bien gérée

On ne passe cependant pas du statut de rappeur clivant à celui d’artiste populaire en l’espace de quelques selfies souriants. L’épisode de la polémique du Bataclan, sur laquelle personne n’a réellement envie de revenir, a joué un rôle inattendu dans le changement de statut de Médine au sein du rap game. Pris à parti par une armée entière de tâcherons se rêvant en Charles Martel, Médine avait toutes les chances de laisser sa carrière derrière lui et de voir 15 ans de labeur réduits en fumée en quelques semaines. Presque heureusement pour lui, il est tombé sur tellement de mauvaise foi, S/O Apolline de Malherbe, que même ses pires haters dans le monde du rap ont fini par se ranger de son côté et par le défendre. En revanche, là où Médine devait faire face à des rappeurs à la vision artistique divergente, ou à des internautes au chômage, il doit désormais composer avec des détracteurs un brin plus déterminés : ciblé par un projet d’attentat planifié par un groupuscule d’extrême droite, Médine semble être devenu -au moins pendant quelques semaines- l’ennemi public numéro 1 de la frange la plus débile de la population, un bel exploit pour un rappeur resté marginal au sein de son propre genre musical pendant tant d’années. Surtout, il réagit plutôt bien -publiquement, en tout cas- à une annonce aussi effroyable en prenant le parti de l’humour.

Sorti sans trop de casse d’une polémique potentiellement désastreuse pour sa carrière, Médine peut finalement regarder dans le rétro et compter les vétérans restés sur le carreau. Parmi les rappeurs s’étant lancé à la même époque que lui, seuls quelques noms ont en effet poursuivi leur route jusqu’à aujourd’hui, et parmi eux, une extrême minorité peut encore se vanter de placer des titres au numéro 1 du top Itunes ou Spotify. Toucher pour la première fois cette place après 15 ans de carrière est finalement une belle récompense, d’autant que la longévité du Havrais n’était franchement pas gagnée au départ, puisqu’il faut rappeler qu’on parle d’un rappeur provincial attaché d’une part à l’indépendance et d’autre part à des thématiques peu consensuelles et peu communes dans le rap.

Le rappeur a fait entrer son public dans son quotidien afin de lui permettre de l’appréhender sous un jour nouveau

Evidemment, la présence de Booba sur KYLL est la raison principale au succès de ce titre, qui n’aurait pas autant fonctionné sur les classements qu’un featuring avec un rappeur moins médiatique et moins habitué à truster les tops. Reste que les mérites de Médine sur la réussite du morceau sont nombreux. Premièrement, on ne compte plus les rappeurs ayant eu l’occasion de collaborer avec Booba, mais incapables ensuite de transformer l’occasion en tremplin pour leur carrière ; ensuite, la combinaison fonctionne réellement, et bien qu’assez improbable sur le papier, le titre est à la fois cohérent et réussi ; pour finir, il est parfaitement exploité, notamment par le biais du clip, avec ce petit coup de pub involontairement offert par Marine Le Pen. Le fameux tweet d’excuse à « toutes les pinatas du monde », qui a tant été relayé, par ailleurs d’une décomplexion assez neuve de la part de Médine sur les réseaux sociaux, comme en témoignent ses stories quotidiennes avec femme et enfants.

Beaucoup plus discret et réservé sur sa vie privée par le passé, le rappeur a fait entrer son public dans son quotidien afin de lui permettre de l’appréhender sous un jour nouveau, celui d’un père de famille qui se fait charrier par ses enfants. Une manière d’humaniser son personnage, de lui faire perdre de cette austérité qui a pu le desservir au début de sa carrière, et de montrer au peuple que derrière cet islamiste radical présumé se cache en réalité un homme qui apprend des gros mots à ses enfants et fait danser sa fille sur Zoo de Kaaris.

On s’éloigne toujours plus de la question purement artistique pour s’orienter vers de la pure gestion d’image, y compris sur le plan de la vie privée, et on finira peut-être alors par se demander si gestion de carrière dans le rap et dans la politique n’ont pas, finalement, les mêmes tenants. Toujours est-il la conjecture est globalement très bonne pour Médine : on n’est plus face à un rappeur qui se cherche, pas encore face à un vétéran qui a fait son temps, mais bien face à un artiste expérimenté, qui en a vu passer, a su prendre du recul et faire évoluer fond et forme, et déroule aujourd’hui avec plus d’envie de se faire plaisir que par le passé. A deux doigts du hors-piste avec la polémique de juin 2018, il est aujourd’hui parfaitement revenu en piste, et devrait donc pouvoir savourer au mieux cette nouvelle popularité sur la scène du Zénith.

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