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La petite histoire des Timberland Boots dans le monde du rap [DOSSIER]

La petite histoire des Timberland Boots dans le monde du rap [DOSSIER]

Ou comment ces chaussures portées initialement sur les chantiers et dans les forêts ont conquis la mode urbaine…

Des pantalons de travail Dickies, aux cirés nautiques Helly Hansen en passant par les bérets de golf Kangol ou les jerseys Mitchell & Ness portés par les basketteurs NBA, la liste est longue de ces vêtements destinés de base à un public bien déterminé avant d’être transformés en mode à grande échelle par les rappeurs.

L’une des pièces, si ce n’est la pièce la plus emblématique de ce phénomène de réappropriation est la Timberland original 6-inch boot.

Plus connue sous le nom de « Timb’ » ou « yellow boot », cette paire de chaussures fête en 2018 ses 45 ans d’existence, dont presque déjà trente passés comme incontournable du vestiaire urbain.

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Timberland n’a pas toujours été Timberland

L’histoire de la marque commence en 1918 dans la région de Boston, aux États-Unis quand Nathan Swartz, un jeune immigré d’origine russe de 16 ans, décide de devenir cordonnier.

Engagé en 1933 par l’Abington Shoe Company, il finit par racheter la moitié des parts de l’entreprise en 1952, avant d’en devenir le seul et unique propriétaire trois ans plus tard. Ses fils Herman et Sidney le rejoignent ensuite.

Désireuse de minimiser les coûts de fabrication, la famille Swartz abandonne en 1965 la couture manuelle des semelles au profit du moulage mécanique par injection. Moins onéreuse, cette technique permet en sus de rendre chaque chaussure imperméable.

Très vite, les carnets de commandes se remplissent et les locaux deviennent trop exigus. La société déménage alors plus au nord à Newmarket, une petite ville de l’état de New Hampshire.

C’est là, dans cette région de la Nouvelle-Angleterre au climat rugueux et glacial, que Sidney Swartz se met en tête de créer une botte en cuir étanche à l’attention des ouvriers du bâtiment et des bûcherons qui travaillent en extérieur.

39 composants, 80 étapes dans la chaîne de fabrication, une semelle en polyuréthane conçue par le fabricant de pneu Goodyear et quelques tests plus tard (dont plonger un soir la botte dans les toilettes de l’entreprise) naît en 1973 la Style #10061 comme elle est appelée au sortir d’usine.

Ne reste plus qu’à trouver un nom à ce modèle aussi inédit qu’atypique : ce sera la Timberland® – une contraction des mots « timber » (qui signifie « bois », mais qui renvoie aussi au cri lancé pour avertir de la chute d’un arbre) et « land » (terre).

Pas peu fiers de leur trouvaille, les deux frangins vont désormais non seulement utiliser ce nom pour désigner l’ensemble de leur gamme de produits, mais ils vont également l’assortir d’un logo reconnaissable entre mille, le fameux chêne américain.

Cette nouvelle orientation plaît tant et si bien, qu’en 1978, c’est toute la société qui est rebaptisée The Timberland Company.

Si la robustesse de la 6 inch explique grandement son succès (aujourd’hui encore le modèle n’a quasiment pas changé, seule une semelle interne plus confortable a été ajoutée), le marketing n’est cependant pas à négliger avec là aussi plusieurs innovations au compteur.

Outre le branding (et le fait que dès le départ contrairement à la concurrence le logo apparaît à l’extérieur de la chaussure), Timberland dégaine dès 1976 la carte de la publicité, avant de devenir en 1987 le premier fabricant de bottes à s’offrir une campagne télé.

En avance sur son temps, la firme la joue également écolo-responsable avant l’heure en mettant en avant une image verte qu’elle veut en accord avec son offre, tout en mettant un point d’honneur à apparaître dans les classements des boites où il fait le mieux travailler (comme lorsqu’elle accorde cinq jours rémunérés à ses employés désireux de faire du bénévolat).

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Du workwear au streetwear

Concentré uniquement sur l’aspect fonctionnel de sa chaussure, Timberland n’en a jamais soupçonné le côté esthétique.

Pour l’anecdote, la fameuse couleur jaune blé procède d’ailleurs d’un choix pratique et rien d’autre : pouvoir être vu et reconnu dans la forêt.

C’est donc non sans surprise que la compagnie reçoit en 1979 sa première commande à l’international : un italien du nom Giuseppe Veronesi souhaite acquérir 600 paires pour les importer, non pas dans des quincailleries et chez les équipementiers professionnels, mais dans des enseignes les plus trendy de la botte.

Si Sydney Swartz le prend alors pour « un fou », Veronesi n’en reste pas moins le premier à avoir senti tout le potentiel fashion de la yellow boots.

Une décennie plus tard, ses employés apprennent avec la même stupeur si ce n’est plus que leur produit phare a hérité d’un nouveau surnom : les « butters » (les « beurres »).

À mille lieux des cols bleus ouvriers de la Nouvelle Angleterre, les Timbs sont devenues l’accessoire en vogue des ghettos noirs newyorkais.

La légende veut qu’elles aient été introduites en milieu urbain par les drugs dealeurs alors à la recherche de chaussures gardant leurs pieds au chaud et au sec durant les longues heures d’attente dans la nuit – sans compter que le coloris noir sur noir permet de passer inaperçu de la police… tout en se mariant à merveille avec « un machin automatique » dixit le Roi Heenok.

Les premiers rappeurs à les populariser sur scène furent ensuite le Boot Camp Clik qui intègrent la Timberland 6″ à leurs uniformes « all-camo-everything ». Le Wu-Tang Clan s’empare ensuite de la tendance, ces membres n’hésitant pas à les porter même en été.

Côté textes, Notorious B.I.G. ou Nas name droppent la paire que ce soit sur les classiques Hypnotize (« Timbs for my hooligans in Brooklyn ») ou sur The World Is Yours (« Suede Timbs on my feet makes my cipher complete »).

Viennent ensuite Mobb Deep, Jay Z, Will Smith dans Le Prince de Bel-Air, Aaliyah, Timbaland, Missy Elliot…

Les rappeurs sont séduits tant par l’aspect viril et durable de la paire que par son authenticité, à tel point qu’on la croirait conçue spécialement pour le lifestyle très « jungle de béton » newyorkais. Niveau look, les Timbs s’adaptent à tous les styles ou presque, une versatilité accentuée par la palette de coloris proposé (en rose quelqu’un ?).

Fortes de cette impulsion nouvelle, les ventes triplent entre 1990 et 1994 ! Fait plutôt amusant, la marque au chêne est alors plus populaire que la Jordan Brand auprès de consommateurs.

Malgré cette embellie, quelques sérieux nuages pointent toutefois à l’horizon

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Le chêne plie, mais ne rompt pas

Fort de cette popularité nouvelle, Timberland doit faire face à des problématiques d’un genre nouveau.

La firme se voit reprocher de ne pas assumer son nouveau public, à la fois en communiquant des chiffres à la baisse quant au véritable volume de ses ventes dans les ghettos et en ne reflétant pas cette diversité nouvelle dans ses campagnes de publicité afin de ne pas « dévaloriser la valeur de la marque ».

Plus grave, Timberland est accusé de mettre à distance certains de ses acheteurs noirs et latinos en limitant volontairement les stocks, voir en supprimant des points de distribution dans certains secteurs géographiques.

Après avoir réagi en 1992 avec la campagne d’affichage Give Racism the Boot, Jeffrey Swartz, vice-président et petit-fils du fondateur, accorde une interview au New York Times sur ce sujet… interview où il enchaîne pour son plus grand malheur les déclarations des plus maladroites.

Concernant l’afflux de « cette nouvelle clientèle dont sa société ne savait même pas qu’ils existaient », il affirme que le cœur de cible de Timberland sont « les gens travailleurs et honnêtes », une expression qui va lui valoir moult accusations de racisme.

Et de continuer en lançant « ne pas vouloir construire son business sur de la fumée (…), les hip-hop kids et les femmes portant des robes d’été constituant une clientèle plutôt éphémère ».

« Si vous souhaitez acheter nos produits et que vous n’appartenez pas à notre clientèle, nous n’avons pas de point de distribution en rapport avec votre style de vie », et de conclure « c’est au hip hop de venir à nous ».

Plus qu’un basique, un classique

Si Swartz s’est complétement planté sur le côté éphémère de l’engouement, le temps ne lui a pas complétement donné tort sur un point : le monde du rap continue de venir chez Timberland.

Peu importe les déconvenues (en 2006, la société a failli mettre la clef sous la porte), peu importe les nouvelles orientations que se donnent la marque (des très hype collaborations avec Colette, Supreme, Black Scale, Stussy…), peu importe les déclarations des uns et des autres, peu importe les modes (baggy, traillis, skinny…), peu importe le rap lui-même et son évolution… La yellow boot reste la yellow boot, les nouvelles générations se transmettant à tour de rôle le témoin (Kanye, Drake, A$AP Rocky, Rihanna…).

Gageons que cette histoire d’amour devrait durer encore de longues années.

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