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Gangster et Robin des Bois : la légende de Jimmy Hoffa

Gangster et Robin des Bois : la légende de Jimmy Hoffa

Jimmy qui ?

Imaginez en 2019 un Mark Zuckerberg ou un Bill Gates disparaître du jour ou lendemain, comme ça, sans laisser la moindre trace. Imaginez simplement l’impact qu’aurait une telle nouvelle tant dans les médias qu’auprès du grand public

Et bien en 1975 c’est exactement ce qui s’est passé quand Jimmy Hoffa, 62 ans, s’est volatilisé le 30 juillet en début d’après-midi à la sortie d’un restaurant.

Considéré par certains articles de presse de l’époque comme « aussi célèbre qu’Elvis Presley », il n’était pourtant ni patron de startup multimillionnaire, ni star du rock, mais ancien président du puissant syndicat des conducteurs routiers.

Si une telle popularité semble aujourd’hui difficilement concevable, dans l’Amérique de l’ancien monde où plus d’un tiers de la classe ouvrière était encartée et où la politique était discutée à tout bout de champ, Jimmy Hoffa était bel et bien l’un des visages les plus familiers du pays.

Personnage haut en couleurs, son nom est depuis associé aux plus grandes énigmes du 21ème siècle au même titre que de savoir qui a tué Kennedy ou ce qui se passe vraiment dans la Zone 51.

Retour sur un destin entremêlé de luttes sociales, jeux dangereux avec la mafia et années de prison.

La vie dure

Né de parents d’origines allemandes et irlandaises en 1913 à Brazil, une cité minière de l’Indiana, James Riddle Hoffa est très vite confronté aux dures réalités de la vie lorsqu’à force de respirer du charbon à pleins poumons, son père décède d’un cancer l’année de ses 7 ans.

Quatre ans plus tard, sa mère prend la décision d’émigrer avec ses quatre enfants du côté de Detroit. Peinant à joindre les deux bouts, Jimmy arrête l’école à 14 ans afin de subvenir aux besoins de sa famille.

Engagé comme manutentionnaire dans un entrepôt, à charger et décharger des wagons de marchandises tous les jours de la semaine pour un salaire de misère, il commence à s’interroger sur sa condition et celle de ses collègues de travail.

À 19 ans, excédé par le manque de considération de la chaîne d’alimentation Kroger qui profite sans vergogne du chômage de masse provoqué par la crise de 29 pour sous-payer ses effectifs, il organise au débotté une grève éclair : tandis qu’une cargaison de fraises est livrée, il convainc plusieurs employés de cesser toute activité.

Craignant de perdre sa marchandise, la direction ouvre alors immédiatement des négociations avant d’accepter de revoir à la hausse sa grille de rémunération.

Arrachée non sans panache, cette modeste victoire attire l’attention du Local 299, la section locale de l’International Brotherhood of the Teamsters, le syndicat des conducteurs routiers américains qui comme son nom ne l’indique pas représente non seulement les intérêts des transporteurs, mais aussi ceux des travailleurs de l’automobile, de l’industrie laitière et du domaine de l’entreposage.

Affecté au recrutement, Hoffa axe ses efforts sur le démarchage individuel (du genre aller tracter sur les parkings de nuits pendant que les routiers sont en pause), non sans en parallèle continuer de mettre en place des actions de coup-de-poing.

Le succès aidant, il s’investit très vite à temps complet dans cette nouvelle occupation.

Jimmy président !

Grimpant un à un les échelons de la hiérarchie, Hoffa qui n’a jamais conduit un camion de sa vie finit par être nommé à 23 ans président du Local 299 en décembre 1946.

En 1952, l’élection d’un nouveau président à la tête des Teamsters, Dave Beck, lui permet d’accéder à des responsabilités de premier ordre à l’échelle nationale en décrochant l’un des quatre postes de vice-président.

Désormais numéro 2 officieux du syndicat (il est celui que l’on consulte en priorité), Hoffa profite du déménagement des locaux d’Indianapolis à Washington pour élargir encore un peu plus son réseau d’influence.

Et quand empêtré dans les problèmes judiciaires (le Sénat l’accuse d’avoir piqué 332 000 dollars dans les caisses des Teamsters), Beck renonce à se représenter en 1957, il laisse là un boulevard à son bras droit pour grimper sur la plus haute marche.

Très populaire dans ses rangs, son style mélangeant âpreté dans les négociations et clientélisme à gros sabots (pour s’arroger primes et contrats mieux vaut été syndiqué) lui vaut d’obtenir de solides résultats. En interne il réussit à doubler les effectifs en moins de dix ans pour les porter à plus de deux millions de membres, en externe il obtient du patronat des améliorations substantielles des conditions de travail (allongement des temps de repos, hausses des salaires…).

Reste que loin de faire l’unanimité, Jimmy Hoffa s’attire bon nombre de détracteurs. Et parmi eux, un qui s’est juré sa perte : Robert F. Kennedy.

Le bras de fer perdu avec les Kennedy

Sitôt rentré en fonction début 1961, le 35ème président des États-Unis John Fitzgerald Kennedy s’empresse de nommer son frère Bob, 35 ans, au poste de procureur général, l’équivalent du ministre de la Justice chez nous.

Déjà à la manœuvre en tant que conseiller juridique au sein de la commission d’enquête dans l’affaire Beck, il fait de la lutte contre le crime organisé sa priorité lui qui peu de temps auparavant déclarait que « dans certaines villes, les forces locales du maintien de l’ordre sont entièrement aux mains de la pègre (…) Les gangsters se sont emparés du contrôle complet de certaines industries pour s’y tailler un monopole ».

Directement visé par ses propos, Jimmy Hoffa devient du jour au lendemain l’homme à abattre.

Suspecté d’entretenir des liens avec les parrains de l’époque (Sam Giancana, Santo Trafficante Junior, Carlos Marcello…), « le second homme le plus influent d’Amérique derrière le président » dixit Kennedy fait à partir de là l’objet de toute une série d’enquêtes.

Hoffa a beau mépriser dans les grandes largeurs le très idéaliste et très bien né Robert Kennedy dont il ne perd pas une occasion de moquer l’hypocrisie en privé (son père Joe a bâti sa fortune durant la Prohibition), il doit se résoudre à répondre de ses zigzags avec la loi en 1964 lors du procès de Nashville.

Accusé d’avoir supervisé tout un montage financier permettant à la mafia italo-américaine de Chicago de blanchir son argent en se servant directement dans les caisses de retraites des Teamsters (et par la même de faire construire en toute légalité des casinos de Las Vegas), le syndicaliste est tout d’abord condamné à huit ans de prison et 10 000 dollars d’amende pour avoir tenté d’acheter les membres du jury.

Sur le fond, les témoignages de certains de ses collaborateurs aidant, il écope ensuite de cinq ans pour fraude et conspiration.

Hoffa enchaîne alors appels sur appels avant de se résoudre en 1967 à purger ses deux peines dans l’établissement pénitencier de Lewisburg en Pennsylvanie.

La magistrature suprême à la rescousse

Toujours est-il que malgré sa lourde peine, la popularité de Jimmy Hoffa ne se dément pas.

Contrairement aux hommes politiques convaincus de corruption, ses partisans soutiennent qu’aucun enrichissement personnel n’a été constaté, qu’il a certes un peu trop flirté avec la ligne rouge mais que le bilan de son action est éminemment positif pour les travailleurs – ou pour citer le député démocrate Elmer Holland : « Jimmy Hoffa a mis plus de beurre dans le quotidien des Américains que tous ses adversaires réunis. »

Preuve de son aura encore intacte, en 1968, alors qu’il croupit au fond de sa cellule, les Teamsters lui font l’honneur de le reconduire son mandat… ce qu’il accepte volontiers !

La chose ne passe d’ailleurs pas inaperçue aux yeux du nouveau président des États-Unis Richard Nixon. Désireux de s’assurer le soutien du vote ouvrier en vue de sa réélection 1972, il réduit en décembre 1971 la peine de Hoffa de treize à quatre ans à la condition expresse que ce dernier abandonne tout engagement militant jusqu’en 1980 – date à laquelle il aurait dû sortir.

Ravi de retrouver sa liberté, l’ancien leader ambitionne malgré tout de revenir sur le devant de la scène, notamment en exerçant divers recours administratifs pour faire casser cette clause.

Et c’est dans ce contexte que le fameux 30 juillet 1975 Jimmy Hoffa est vu pour la toute dernière fois à la sortie du Machus Red Fox, un restaurant de la banlieue de Detroit (en photo ci-dessous).

Si encore aujourd’hui le déroulé des événements n’est pas clairement établi, il est globalement admis qu’il se soit rendu sur place pour rencontrer deux capitaines mafieux, Anthony ‘Tony Pro’ Provenzano (un ancien Teamster du New Jersey) et Anthony ‘Tony Jack’ Giacalone – ce que les deux hommes ont toujours nié.

Inquiète de ne pas voir son mari rentrer en fin d’après-midi comme convenu, sa femme Joséphine avertit les autorités le lendemain matin.

Privilégiant dans un premier temps la thèse du kidnapping, les policiers échouent néanmoins à trouver le moindre indice pour expliquer cette disparition soudaine (aucune trace d’agression, zéro témoin…).

Sept ans plus tard, en 1982, Jimmy Hoffa est ainsi déclaré « légalement mort », quand bien même aucun élément nouveau n’a permis d’étayer l’enquête.

À qui profite le crime ?

Évidemment au fil du temps moult récits sont apparus pour expliquer cet abracadabrantesque fait divers.

Pour ce qui est des motifs, on peut sans trop prendre de risques avancer qu’Hoffa constituait de facto une menace bien trop importante pour la pègre, que ce soit de part par l’étendue de ses secrets (il est très portable que son procès n’ait mis en lumière qu’une infime partie des relations qui unissaient la mafia, les syndicats et la sphère politique) , et de l’autre par sa volonté affichée de reprendre le contrôle des Teamsters (président depuis 1971, le plus effacé Frank Fitzsimmons faisait figure de parfait homme de paille).

Pour ce qui est de l’identité des tueurs ou de l’endroit où a été enterré le corps, c’est en revanche plus compliqué, ne serait-ce que parce qu’aucune des personnes présentes aux alentours ce jour-là ne se « souvient » de rien.

Avec les années les langues se sont toutefois déliées, et plusieurs hommes de mains se sont attribués la paternité de son meurtre.

En 1982, un certain Charles Allen a tout d’abord suggéré que le corps a été démembré puis éparpillé dans les marais de l’état de Floride. Quelques années plus tard, l’un de ses confrères, Donald ‘Tony the Greek’ Frankos, a suggéré qu’il avait été enterré sous le stade de l’équipe de football des New York Giants.

En 2001, des cheveux dont l’ADN correspond à celui de Hoffa ont été retrouvés par le FBI dans la voiture que conduisait le 30 juillet 1975 son ami et associé de longue date Charles ‘Chuckie’ O’Brien. Suspecté dès le départ d’avoir joué un rôle dans l’affaire, O’Brien n’est cependant pas inquiété par la justice.

Le cas Irishman

Adaptation du livre I Heard You Paint House écrit par l’avocat Charles Brandt, le récent film de Martin Scorsese retrace en partie la vie de Frank Sheeran, un tueur à gages (ou supposé tueur à gages) aux ordres de la famille Bufalino.

Désireux de laver sa conscience avant de partir (il est décédé en 2003), Sheeran explique être allé chercher Hoffa au Machus Red Fox pour l’emmener ensuite dans une maison abandonnée plus au nord de la ville et lui loger deux balles dans la tête.

Le motif du crime ? Le syndicaliste aurait menacé un peu trop ouvertement son boss Russell Bufalino de balancer ses combines avec les Teamsters s’il s’opposait à sa prochaine candidature.

Si sur grand écran cette version tient la route, sa crédibilité prend vit du plomb dans l’aile à l’épreuve des faits.

Passe encore que Sheeran ait lui-même déclaré en 1995 ne rien à voir avec cette affaire ou que I Heard You Paint House regorge d’anecdotes farfelues (il confesse également le meurtre du capo Joey Gallo), les tests ADN effectués dans ladite maison abandonnée suite à la sortie du livre se sont révélés négatifs.

Qui a dit que le mystère Jimmy Hoffa restait entier ?

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