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Booba, comment gère-t-il l’après rap ? [DOSSIER]

Booba, comment gère-t-il l’après rap ? [DOSSIER]

20 ans que le Duc de Boulogne règne sur le genre, une longévité record pour celui qui nous prévenait déjà de son arrêt prochain en 2008 « J’arrête bientôt le rap je vous le garantis ». Ce retrait annoncé priverait le game de son principal arbitre, que ce soit par peur du vide ou par envie de renouveau…

La question fait débat et s’intensifie au fur et à mesure que Booba recule les limites de l’âge. Les observateurs ne sont pas les seuls à se torturer l’esprit, entre musique, sports et médias le principal intéressé prépare sa sortie, bien décidé à ce que « ses échecs restent des chefs-d’œuvre. »

Numéro 1 ou rien

Booba se définit comme un visionnaire, le « turfu » personnifié. Même s’il a réussi à traverser les époques, non sans un certain jeunisme, les années s’accumulent et le poussent inexorablement vers sa date de péremption autodeterminée : J’arrête le rap à 45 ans (prononce-t-il du haut de ses 39 ans). Certains diront qu’il n’existe pas de limite pour rapper, et Akhenaton, Gynéco, Joey Starr acquiesceront sûrement. C’est une vérité qui ne s’applique pas forcément à la vision de Booba. Quand Akhenaton ressort un album, même s’il en a perdu beaucoup en chemin, il arrive à atteindre ses fans de la première heure en faisant un rap cohérent vis-à-vis de l’ensemble de sa carrière. C’est ce qui permet au leader d’IAM de continuer à vivre de sa musique avec le respect de tous les auditeurs sans forcément s’attirer l’amour du jeune public. Booba, lui, a choisi une autre manière de vivre sa carrière, il est et se revendique numéro 1. Ce qui l’oblige à prendre des risques continuellement en innovant pour se renouveler à chaque projet (la recette commence à être rodée, voir ce qui marche chez les jeunes et le populariser). 20 ans plus tard, alors que beaucoup de rappeurs vendent plus que lui, il reste aux yeux de tous le numéro 1 du game. Comme dirait un certain Jésus « Y’a que quand je suis premier que j’reste à ma place ». Continuer sa carrière en faisant une croix sur cette place, mais en jouant sur la nostalgie de ses fans est exclu. Quelque soit le domaine, business ou musique, pour Booba c’est le monde ou rien.

Comme pour sa musique, il s’est inspiré des rappeurs américains pour développer des business en parallèle de sa carrière, avec plus ou moins de succès : sa marque Ünkut, le diamantaire Tony Blings. Mais ce n’est pas uniquement sur l’entrepreunariat que Booba pariait pour sa reconversion. Il s’est une nouvelle fois inspiré de pléthore d’artistes américains en tentant, dans ses interviews, des appels du pied au cinéma. Ce qui lui a valu plusieurs propositions qu’il a toutes refusées, car trop caricaturales pour lui (du mac violent au proviseur de lycée). Image trop forte ou talent trop faible ? En ces années Booba n’était pas reconnu pour son aisance face à la caméra, défaut qu’il a corrigé depuis. Le rappeur de Boulogne a préféré s’offrir le luxe de l’exigence pour continuer à maitriser son image. Il misera sur le business plutôt que les salles obscures pour la suite de sa carrière. Même son discours s’est modifié au fil des interviews mettant plus l’accent sur son côté entrepreneur qu’artiste (se définissant comme un artiste malgré lui), il résumera par ailleurs ses envies d’acteur dans le morceau Talion : « J’ai enfin eu mon premier rôle au ma-né-ci / C’est parce qu’on produit le me-fil« .

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« J’lui ai dit qu’j’suis dans le textile »

Son image, qui pouvait être une faiblesse au cinéma, est sa principale force. C’est en la comprenant qu’il a réussi à attaquer plusieurs marchés cohérents. Après Unkut en 2004, Booba se lance depuis 2014 dans les médias avec la galaxie OKLM et depuis 2016 dans le management sportif avec l’agence LifeTime Player (où seraient signés les footballeurs Maxime Pellican et Abdou Paye). Si se lancer dans le textile pour un rappeur est presque caricatural, prendre le pari de s’attaquer aux médias est un coup de maitre. Autant l’arrivée du site OKLM n’a pas forcément convaincu par son mélange entre articles Spi0n et vrai contenu rédactionnel ; autant le lancement mi-décembre de la webradio OKLM Radio, avec pour son slogan « #POURNOUSETPARNOUS », a vraiment suscité l’intérêt. Présentée comme une alternative à Skyrock, sans jouer dans la même cour, la radio a séduit les auditeurs en mal de bon rap et ayant déserté la FM. Quand, 15 jours plus tard, les chiffres d’audiences de Skyrock sont tombés, Booba a réussi à faire croire que c’était sa playlist-radio qui les avait fait chuter (plutôt que les attentats du 13 novembre). La force de Booba : sa communication et son image. La vraie implication de Booba dans chacune de ses marques est floue, Ünkut est, par exemple, géré par deux frères spécialistes du textile depuis 2011. C’est sûrement car il a su s’entourer que l’entreprise est aujourd’hui si florissante (les derniers montants font état de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013). S’il se se définit comme un entrepreneur, Booba compte toujours sur des hommes de l’ombre et cultive la confusion (comme Jimmy Iovine pour Dr Dre).

Ceux qui achètent Ünkut ne sont pas forcément des fans de Booba

Nous sommes allés interroger Birame N’Diaye le gérant de la franchise FootKorner, une chaîne spécialisée dans le foot mais « qui aime le streetwear ». FootKorner est un magasin apprécié des rappeurs, qui y font régulièrement des dédicaces, y compris Booba. « On a commencé à travailler Ünkut en 2010 on a été amenés à se rencontrer à travers les showcases. Ce qui fait le succès de la marque Ünkut c’est déjà qu’elle existe depuis 2004, on l’oublie souvent. La marque a explosé avec la sortie de Lunatic et Futur.
Bien sûr la marque va survivre à Booba, en France elle est vue comme sa marque mais y’a pas écrit Booba dessus, on la voit dans le sport, si Booba veut que ça devienne une marque de sport ça deviendra une marque de sport. Ceux qui achètent ne sont pas forcément des fans de Booba. Le chiffre d’affaires augmente c’est à dire que le public s’élargit, Ünkut a plusieurs segments sports, modes… Y’a une équipe solide derrière. »
Pour Birame le message est clair : « La marque survivra sans Booba, enfin sans Booba dans le rap«  (précise-t-il).

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L’image de Booba est à la fois un atout et un point faible qu’il tente de minimiser en investissant des business suffisamment autonomes pour permettre leur émancipation. Même s’il met toujours autant en avant Ünkut il n’apparaît plus sur les photos du site et multiplie les égéries. Pour OKLM, si les différents médiums lui permettent de se mettre en avant (et inversement en dévoilant des exclusivités), il a ouvert au maximum la ligne éditoriale (jusqu’à playlister Grand Médine et sa réponse à la polémique Booba/Palestine). Tout en étant la figure de proue de la marque, cette dernière pourra lui survivre. La progression d’OKLM Radio (qui vient d’atteindre un million de téléchargements et produit des émissions spécialisées), ou encore le lancement très récent d’une chaine télévisée OKLM TV bientôt disponible chez tous les opérateurs, attire sans doute l’oeil des groupes médias traditionnels aujourd’hui incapables de parler aux jeunes générations. Si OKLM Radio et TV confirment les espoirs placées en eux, le combat est grand pour vraiment s’installer dans les habitudes des auditeurs, il ne serait pas étonnant de voir Booba empocher quelques millions d’euros pour la revente de ses parts, à la Dr Dre.

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Quand va-t-il arrêter ?

On arrive aisément à imaginer l’avenir de Booba, mais on n’élucide toujours pas la question du coup de sifflet final. Continuer le rap signifie s’exposer à un risque, un échec musical suffirait à écorner son image et par répercussion celle de son empire. On peut continuer à nouveau l’analogie avec Dr Dre, le producteur phare de NWA a pendant plus d’une décennie reculé la sortie de son album Detox. En parallèle de la réalisation de cet album il s’est lancé dans les affaires avec la marque audio Beats (revendue depuis 3 milliards de dollars à Apple). Il renoncera officiellement à Detox qu’en 2015 (pensée pour Soprano qui rappait déjà en 2009 : « une connexion plus attendue que Detox »), un choix probablement justifié par l’énorme attente autour du projet qui, en cas de déception, aurait pu atteindre sa stature de génie musical et ternir l’image de Beats.

Booba ne peut pas déjà se priver du rap, sa présence est trop indispensable pour qu’il quitte définitivement le game sans que ses affaires en pâtissent. Il doit continuer à occuper le terrain, pour cela deux solutions s’offrent à lui : rester influent musicalement et/ou devenir un « people ». Pour rester influent musicalement, il peut se contenter de sortir des clips et morceaux événements tout en promotionnant ses produits (après les exclusivités OKLM, on a eu OKLM Radio et aujourd’hui OKLM TV). Son influence musicale il la travaille aussi en se lançant dans des guerres sans pitié contre d’autres rappeurs ou en distribuant les bons et mauvais points en interview (celui des Inrocks pour l’album DUC est un modèle du genre). Quant à la partie people, Booba peut compter sur les réseaux sociaux en particulier Instagram. Lui qui s’était fait si discret sur sa vie privée durant toutes ses années a effectué un virage à 360°. Quasiment quotidiennement il dévoile sa vie privée aux 1,2 millions de followers de son compte Instagram où l’on peut suivre ses aventures de jeune papa. Des informations que l’on retrouve ensuite sur tous les meilleurs sites de journalisme français (Melty, Public, Voici, Non Stop People…) qui ne parleront jamais de Panthéon.

Et Tallac Records dans tout ça ?

Booba est un détecteur de talents, difficile de savoir si c’est juste une question de fibre artistique ou si son influence est telle qu’un tweet suffit à créer l’engouement du public. Alors qu’on lui doit la meilleure punchline de motivation « C’est bandant d’être indépendant » on ne peut qu’exprimer du regret de ne jamais l’avoir vu développer son label Tallac Records (fondée en 2004). Un label qui, en dehors de la discographie de Booba, ne livrera que le premier album solo de Mala (Himalaya, un album qui a sûrement bercé l’ingé son de PNL). Pourtant de nombreux artistes talentueux auraient pu y transiter de Nessbeal, Despo, Dosseh, en passant Niro ou Kaaris. Une écurie qui laisse songueur, mais le rappeur de Boulogne déclarait n’avoir aucun attrait pour le métier de producteur.

Fin 2014 la donne change (juste après avoir laissé filer Kaaris ?) et Booba relance un label : 92i. Signé dans une filiale d’Universal (chez Capitol où se trouve Booba lui-même) le label se compose de Shay, Siboy, Damso, Gato et Benash. Ce revirement de situation, en se concentrant sur des artistes en développement, est-il le moyen qu’a trouvé Booba pour continuer à occuper le terrain musical quand il aura quitté le game ? Que les ratpis se rassurent, aucun de ces artistes n’est sur le point d’avoir l’influence de leur boss (à leur décharge, ils n’ont pas encore sorti d’albums). Booba risque de devoir rempiler pour quelques albums avant que les élèves dépassent le maitre.

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Finalement, que ce soit à trainer son cul sur les bancs de la fac invité pour parler de son expérience d’entrepreneur, ou à compter ses billets violets, Booba aura de quoi s’occuper lors de sa retraite. Pour le cinéma on repassera, quoique rien ne l’empêche de produire un biopic sur sa propre histoire (et nous faire oublier le lamentable Kopp) exploitant à fond le concept #PourNousParNous. Une chose est certaine, il espère choisir le moment de dire Game Over : « J’arrêterai quand il le faut, je ne ferai pas l’album de trop« . Pour Booba, le rap est plus que jamais un (en)jeu sérieux. Dab.

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