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« Kids », le vrai film culte de la génération 90

« Kids », le vrai film culte de la génération 90

Toujours aussi culte et toujours aussi controversé…

19 juillet 1995, la comédie adolescente Clueless d’Amy Heckerling sort aux États-Unis. Sorte de parodie des séries en vogue à la Beverlly Hills 90 210, le film conte les mésaventures de la très blonde Cher (Alicia Silverstone), une fille à papa des beaux quartiers de Los Angeles aussi insupportable qu’adorable, qui passe ses journées à faire du shopping et à rêver de Luke Perry.

Hasard du calendrier, une semaine plus tard, le 26 juillet, débarque en salle Kids de Larry Clark. Là encore, il est question d’ados qui ont un peu trop de temps devant eux, de skateboard et de virginité. Là encore, le film est avec le temps devenu culte.

La comparaison s’arrête pourtant là.

Dans Kids, personne n’a les dents parfaitement blanches et alignées, personne ne parle un anglais ne serait-ce que correct, et personne n’imagine qu’il existe un monde en dehors du Lower East Side de Manhattan.

Énoncé de la sorte, Kids peut sonner comme le sempiternel « film coup de poing » qui questionne droit dans les yeux l’Amérique, blablabla… Sauf que non, Kids n’est pas un film de plus.

Des plus âpres et des plus glauques, depuis 27 ans il n’a d’ailleurs rien perdu de son intensité. Bien au contraire.

Supreme

Le scénario qui n’en est pas vraiment un (il s’agit plutôt d’une succession de scènes de groupes) raconte une journée d’été de Telly (Leo Fitzpatrick) et Casper (Justin Pierce), deux petits mecs de 16 ans complètement désœuvrés qui errent dans les rues New-York avec un seul but en tête : se défoncer toujours un peu plus pour Casper, dépuceler un maximum de filles pour Telly, lui qui n’aime rien tant que de faire l’amour sans plastique.

Chemin faisant, ces deux ados qu’aucun parent ne voudrait comme enfant, ou même comme ami de ses enfants, parlent de sexe, volent à l’étalage, traînent de squat en squat, parlent de sexe, matent des vidéos de skate, tabassent un type à un contre vingt, parlent de sexe et se demandent quelle sera leur prochaine soirée.

En parallèle, il y a Jennie (Chloë Sevigny), Ruby (Rosario Dawson) et leurs copines. Elles aussi zonent et parlent de sexe sans filtre, à ceci près que Jennie, la plus douce de la bande, apprend qu’elle a été testée positive au VIH.

N’ayant couché qu’avec Telly dans sa courte vie, elle tente alors de le retrouver avant qu’il ne contamine d’autres proies.

No future

Bon attention, Kids ne se confond absolument pas avec une campagne de prévention contre le Sida ou une quelconque propagande. Zéro morale, zéro direction, la caméra se contente de suivre dans un style quasi documentaire (pellicule à gros grains et plans resserrés) ces jeunes garçons et ces jeunes filles qui ne sont ni particulièrement brillants, ni particulièrement charismatiques.

Le choix en avait à l’époque scandalisé plus d’un. À commencer par la critique.

Quand chez nous Libération se demandait ce que pouvait bien être Kids (« Un cours de rattrapage intensif à l’usage des parents largués ? Un essai de sociologie adolescente ? Un tract pédophile ? »), de l’autre côté de l’Atlantique, le Washington Post l’accusait carrément de flirter avec « la pornographie infantile ».

À leur décharge, Kids ne manque pas de créer le malaise (d’autant plus pour qui l’a vu à l’âge des protagonistes et qui le revoit aujourd’hui), à commencer par cette scène d’ouverture qui montre Telly au lit avec une fille qui doit en avoir treize tout au plus.

Et puis il y a ces corps filmés sans retenue, ce flot d’obscénités qui nourrit chaque conversation, les crachats, les bouteilles de 40 qui se vident les unes après les autres, ces rapports entre filles et garçons toujours à la limite du consentement… mais là n’est peut-être le plus gênant.

Ce qui dérange le plus au fond, au point de ressentir le besoin d’aller prendre une douche sitôt que défile le générique de fin, c’est de contempler le naufrage de ces presque enfants.

Victimes de l’absence de cadre familial, victimes de l’hédonisme prôné par la génération qui les a précédés (pas d’interdit, pas de limite), ils évoluent en cercle fermé dans un univers sans repères, sans adultes (à deux ou trois interactions près, aucun n’apparaît à l’écran). Se croyant invincibles, ils consument là sans le savoir leurs dernières parcelles d’innocence.

Casper n’a pas encore le corps déglingué d’une alcoolo. Telly n’est pas encore sous traitement. Les alloc’, le planning familial et les drogues dures n’ont pas encore pointé le bout de leur nez.

Mais tout cela arrive bien plus vite qu’ils ne le croient.

La liberté, l’idée de la liberté

À la manœuvre, Larry Clark (à gauche sur la photo ci-dessus) a du mal à cacher sa fascination pour cette jeunesse sans lendemain.

Âgé de 52 au moment du tournage, cet ancien photographe s’était auparavant immergé trois dans durant au sein de la contre-culture du skate newyorkaise. Après avoir appris à tenir sur une planche et plaquer quelques tricks, il se mit en tête d’en faire la toile de fond de son premier long métrage.

Fort de sa proximité avec la troupe d’acteurs débutants débauchée pour l’occasion, cet oncle un peu chelou capture leur quotidien avec un mélange de voyeurisme et de distance qui brouille constamment les pistes.

À l’évidence nostalgique de ce temps passé trop vite, s’il évite de tomber dans l’écueil de l’imagerie publicitaire, celui de la complaisance n’est jamais très loin.

« Je voulais faire un film sur ce qui passe vraiment. Avec des acteurs amateurs qui vivaient cette vie. Je voulais que Kids soit aussi réel que possible. »

Sauf que malgré son vernis d’authenticité, Kids tient plus du fantasme qu’autre chose. Tout ne sort pas certes du chapeau de Clark, mais tout ça relève plus de la fiction qu’autre chose

Ou pour reprendre les mots de Leo Fitzpatrick en 2015 dans RollingStone : « Nous jouions tous des rôles. Nous avions tous très peu d’expérience au lit. Moi-même, je n’avais couché qu’avec qu’une fille auparavant, et encore. Sur le plateau, je n’avais aucune idée de ce que je faisais. »

Comme d’ailleurs avec Clueless, c’est au fond ce paradoxe qui explique l’attrait de Kids. Chacun dans leur genre, ces deux teens movies plongent le spectateur dans des mondes qui exacerbent son imaginaire et ses pulsions.

Cher comme Telly, c’est cette vie dégagée de toutes contraintes (Cher est libre de s’inventer ses problèmes, Telly est libre de fuir les siens). Celle que l’on rêve de vivre adolescent, celle que l’on regrette de ne pas avoir vécue une fois adulte.

Kids, c’est du soufre et de la mélancolie. Pas de la sociologie.

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