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Pourquoi Supreme les rend tous fous ? [DOSSIER]

Pourquoi Supreme les rend tous fous ? [DOSSIER]

Dans le monde du streetwear, il y a Supreme, et puis il y a tous les autres. Décryptage d’un phénomène rouge et blanc tant générationnel que marketing…

À chaque nouvelle collection/ collaboration/ capsule, c’est la même rengaine : campements de fanatiques devant les échoppes, cohues à l’ouverture des portes, intervention de la police pour contenir les débordements, épuisement des stocks en quelques minutes (en quelques secondes sur le net) et explosion des prix sur le marché de la revente (peu importe la pièce, comptez minimum trois fois le tarif initial).

Et cela fait plus de 20 ans que ça dure.

Peut-être plus encore que la Jordan Brand, Supreme cristallise comme personne les passions dans le monde de la mode, allant jusqu’à se confondre avec une sorte d’Apple du textile.

Et comme le Jumpman ou la Pomme, pour comprendre cette frénésie il est nécessaire de dépasser le simple cadre des produits proposés : Supreme n’est plus depuis longtemps une marque, c’est un mythe.

Ce que Supreme a que les autres n’ont pas

Retour à New-York aux débuts des années 90. Si le rush des eighties n’est déjà plus qu’un lointain souvenir, la ville n’est pas encore devenue cette mégalopole pasteurisée par l’ère tout sécuritaire du futur maire Rudy Giuliani.

C’est dans ce New-York là que James Jebbia, un anglais débarqué une décennie plus tôt au pays de l’Oncle Sam, va puiser en grande partie l’ADN de sa marque : le New-York punk rock no future des Kids de Larry Clark, le New-York cru et dépouillé du Wu Tang, le New York rugueux et défensifs des Knicks de Patrick Ewing, le New York où l’épidémie du HIV tue la jeunesse comme jamais, le New-York où le skate sert à beaucoup d’exécutoire.

Bien que lui-même ne soit jamais monté sur une planche de sa vie, Jebbia réussit à capter et retranscrire l’air de ce temps. C’est toujours aujourd’hui cette identité qui perdure et rend Supreme unique, quitte à provoquer pas mal d’incompréhensions chez les non-initiés.

Bon nombre des acteurs du film Kids travaillaient au shop Supreme avant le tournage

Pour nous et par nous

Après avoir ouvert une première boutique de fringues en 1989, puis collaboré deux ans plus tard au lancement du magasin Stüssy NYC, Jebbia rassemble 12 000$ d’économies et fonde Supreme en 1994 en ouvrant un store du même nom rue Lafayette à Manhattan.

Point de ralliement de skateurs de Washington Square Park, l’enseigne joue à fond la carte de l’immersion et de l’authenticité, un état d’esprit qui n’est pas sans conséquences sur ses choix créatifs.

Si dans les rues la mode urbaine est en pleine effervescence, les skateurs qui en sont ses plus ardents ambassadeurs ne se retrouvent paradoxalement pas toujours dans l’offre proposée par les innombrables skate shops de la ville.

Trop grands, pas assez fittés, de qualité passable… les vêtements s’adressent principalement à un public adolescent.

Jebbia comprend instinctivement qu’un rider entrée dans sa vingtaine souhaite certes avoir l’air cool en plaquant des tricks, mais aussi paraitre son âge et plaire aux filles.

« C’est parce que nous n’avions pas à nous soucier des gosses de 14 ans déambulant dans les centres commerciaux que nous avons pu prendre tout notre temps pour faire les choses bien. Nous n’avions pas à niveler notre produit vers les bas – nous fabriquions uniquement ce que nous aimions. »

Dans la mode, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme : le logo rouge et blanc rectangulaire de Supreme « s’inspire » du travail de l’artiste conceptuelle Barbara Kruger

Porter du Supreme se mérite

Supreme crée ainsi ses premiers t-shirts, sweats et hoodies, avant de décliner dans la foulée casquettes, vestes, sacs et planches.

Dès le départ les quantités produites sont modestes, l’idée étant de prendre le moins de risque possible en limitant les stocks.

Si initialement cette politique ne répond pas à un plan marketing précis, elle se révèle un atout majeur pour bâtir l’aura de la marque. Plutôt que de créer l’exclusivité par les prix (encore aujourd’hui ces derniers n’ont rien d’excessifs), Supreme crée du désir par la rareté.

Chaque collection n’est ainsi commercialisée qu’une seule et unique fois. Et une fois épuisée, elle ne revient pas.

Mieux on ne trouve du Supreme que chez Supreme, aucun autre point de vente n’est autorisé à écouler ses modèles. Et avec seulement dix magasins disséminés de par le monde (New York, Los Angeles, Paris, Londres, trois à Tokyo, Nagoya, Osaka et Fukuoka), dégotter la moindre pièce relève du parcours du combattant.

Si James Jebbia se défend d’attiser tout élitisme, le fait est que celui-ci joue à bloc. De telles contraintes conduisent assez naturellement les adeptes de la marque à former dès la fin des années 90 une sorte de club fermé, une tribu en marge réservée aux « cool kids » – ou du moins à ceux qui aiment à s’imaginer comme tels.

Cet aspect social et compétitif explique pourquoi certains sont prêts à dédier six mois de leur vie et à dépenser un smic en dollars pour un t-shirt avec une simple variation de logo Soprano là où le reste du monde ne voit qu’un vulgaire bout de tissu.

« Si vous ne connaissez pas Supreme, peut-être est-ce parce que vous n’êtes pas censé connaitre Supreme » pourrait-on presque résumer ici.

La hype comme moteur

Cette manière de toujours tenir son public en alerte permet à la marque de rester pertinente près d’un quart de siècle après ses débuts, quand beaucoup ont fini par lasser (Bape ou Isabel Marant pour ne prendre que ces seuls exemples).

Aux sirènes du mainstream et à la tentation des profits à court terme (multiplication des franchises, accroissement des stocks…), Supreme préfère ainsi continuer d’alimenter cet entre soi qui lui sert de rente.

D’une certaine façon, la marque a créé un cercle vertueux où le buzz autour du buzz alimente le buzz. Ou comme a coutume de le répéter Jebbia : « Pour survivre, Supreme doit rester cool ».

Et quel meilleur moyen que de rester cool que d‘associer son image aux gens les plus cool ?

Très tôt Supreme comprend tout le bénéfice de collaborer avec d’autres marques. D’abords en se rapprochant de ses partenaires naturels (Vans, North Face, Clarks…), avant d’élargir ses horizons (Nike, Levi’s, Comme Des Garçons…), puis de lorgner vers le monde de l’art contemporain (Jeff Koons, Murakami, Damien Hirst fans de skateboard ? Sérieusement ?).

Si Supreme collabore avec absolument tout le monde (des binouzes Budweiser à Kermitt la grenouille), rien ne parait jamais vraiment forcé. Encore plus remarquable, fort de son particularisme c’est toujours Supreme qui prend l’ascendant sur son partenaire, et ce quand bien même il est du calibre de Chanel, A.P.C. ou Lacoste.

Même son de cloche niveau starpower : tout ce que la planète compte de modeux, hipsters, it-girls a vu un jour sa tête collée sur un t-shirt (Kid Cudi, Lou Reed, Raekwon, Dipset, Lady Gaga, Terry Richardson, Mike Tyson…).

Alors qu’à ses premières heures la marque plagiait la pop culture (en collant des stickers sur les publicités Calvin Klein mettant en scène Kate Moss, en repompant le monogramme Louis Vuitton sur ses planches de skate…), elle a fini par devenir aujourd’hui une incarnation de cette même pop culture – Jebbia n’hésitant pas au passage ironiquement à racheter ou à poursuivre tous ceux qui s’inspirent d’un trop près de ses collections.

Chemin faisant Supreme a certes beaucoup évolué, mais à l’image de son logo la marque n’a pourtant pas fondamentalement changé. Et rien n’indique qu’elle le fera.

Le business du cool a encore de beaux jours devant lui.

Retrouvez toute l’actualité de Supreme sur Booska-p.com en cliquant ici.

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