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Pourquoi les rappeurs téléphonent-ils avec des liasses de billets ?

Pourquoi les rappeurs téléphonent-ils avec des liasses de billets ?

Dans le rap mainstream, difficile de trouver pratique plus absurde que le « money phone »…

La scène se passe en novembre 2018 dans la voiture de James Corden, l’animateur des célèbres Carpool Karaoke, cette pastille de son émission le Late Late Show au cours de laquelle des célébrités du monde de la musique se pressent pour venir chantonner leurs plus gros hits dans la bonne humeur.

Invités ce jour-là, les Migos ont non seulement livré une performance absolument mémorable à coup d’ad libs extraterrestres, pause shopping et tuto dab, mais ils ont également provoqué la stupéfaction de Corben lorsque sur Bad & Boujee, porté par son élan, Offset a sorti de son sac 210 000 dollars en liasses de 10 000.

Comme ça, pour le fun.

Perplexe à s’en faire tomber la mâchoire, Corben n’a alors pas pu s’empêcher de couper le moteur du véhicule pour demander au mec de Cardi B s’il était au courant de l’invention des distributeurs automatiques.

Si la question a immédiatement provoqué l’hilarité de ses compères Takeoff et Quavo pour qui il est tout fait normal de se trimballer avec assez de liquide pour se payer un appart’, il n’empêche qu’elle a dû traverser l’esprit de l’entièreté des téléspectateurs étrangers aux codes du rap à gros budget.

Sans rentrer dans une étude approfondie du pourquoi du comment d’un tel désir d’ostentation, bornons-nous à constater que depuis que le rap est rap les nouveaux riches du game n’ont eu de cesse d’exhiber leurs dollars de la manière la plus saugrenue qui soit pour le commun des mortels.

Aux chaînes et dents en or des débuts, se sont succédé des pochettes d’albums toutes plus outrancières les unes que les autres (coucou Pen & Pixels), des clips toujours plus fous tournés entre le concessionnaire automobile de luxe du coin et la villa de Tony Montana, puis avec la montée en puissance commerciale du mouvement, à une disparition pure et simple de la limite entre fiction et réalité avec des émissions du style MTV Cribs où le petit peuple était convié à venir se pâmer devant les possessions matérielles les plus délirantes.

C’est dans ce contexte que s’est popularisé le money phone.

Le concept ? Saisir une liasse de billets et de s’en servir face caméra comme d’un téléphone portable tout droit sorti des années 80.

Voir les exemples ci-dessous.

Bien que personne ne soit en mesure de dater avec précision la naissance de cette pratique (qui probablement existe depuis toujours pour peu qu’il y est des biftons posés sur un table et quelques joints qui tournent), il semblerait que la paternité du mouvement en revienne à 50 Cent et Floyd Mayweather.

C’est en tout cas ce qu’a affirmé l’auteur de Get Rich or Die Tryin’ lorsqu’en 2017 il a posté sur Instagram la photo ci-dessous en compagnie de son ancien poto.

Légende : « Just so you know where the Money to the ear thing came from. The Original TMT. »

À sa décharge, Fifty est depuis le départ un habitué de ce genre de pitreries lui qui à l’époque où il squattait les sommets des charts se mettait en scène à table avec son blé ou en train de remplir le coffre de sa Lamborghini de petites coupures.

Tout cela bien sûr sans oublier cette vidéo passée depuis à la postérité où lui et Floyd discutent par « téléphones » interposés.

« Le téléphone sonne, c’est l’argent au bout du fil »

Bon attention, bien que d’apparence simple comme bonjour à exécuter, le money phone obéit tout de même à quelques règles de bon aloi pour qui se montre un minimum soucieux des apparences.

De un, il est important d’avoir retiré assez d’oseille (l’idée étant d’avoir en main quelque chose qui ressemble plus à un talkie-walkie qu’à un iPhone), mais pas trop non plus au risque d’en faire tomber par terre – si jamais tel est le cas, rien n’interdit d’utiliser deux « téléphones » en même temps.

De deux, lesdits billets doivent être choisis avec soin. Le goût du neuf n’étant pas une option, ils doivent être aussi verts que lisses. Et soirées en strip club mises à part, les coupures de 1$ sont à proscrire, au risque de passer pour Bow Wow ou Soulja Boy.

De trois enfin, ne vous reste plus qu’à choisir qui appeler, avec en premier lieu les haters de tout bord, toutes celles qui avant le succès refusaient ne serait-ce que de vous donner l’heure, les Illuminatis ou encore votre banquier pour lui expliquer avec arrogance quelle mouche vous a piqué de vider ainsi votre compte épargne.

Rien d’insurmontable donc et ce d’autant plus qu’un rapide coup d’œil sur les réseaux sociaux des rappeurs de la nouvelle génération nous renseigne que tous ou presque se sont astreints avec délectation à ce quasi-rite de passage.

Jay-Z à la rescousse !

Allégorie de la réussite matérielle pour ses adeptes, le money phone n’en symbolise pas moins toutes les contradictions d’un rap un peu trop porté sur la frime pour être honnête.

Ou pour citer Shawn Carter sur The Story of O.J. en 2017 : « Tu veux savoir ce qui est plus important que de jeter de l’argent en l’air dans les clubs de striptease ? Les lignes de crédit »

Et de préciser ensuite sa pensée un couplet plus tard avec : « Vous êtes tous là sur le Gram’ à vous coller de l’argent sur l’oreille/Attends ça coupe, ici on n’appelle pas ça de l’argent »« Ya’ll on the Gram holdin’ money to your ear/There’s a disconnect, we don’t call that money over here »

Membre éminent de l’amicale des super riches, Hov’ jette ici une crotte de nez à toutes celles et ceux qui se sont cru en place avant même d’avoir remboursé leur première avance en leur rappelant que tous les money phones de la terre ne sont que de la poudre aux yeux comparés aux propriétés immobilières, aux collections d’art et autres portefeuilles boursiers.

D’ailleurs a-t-on jamais vu un Bill Gates et Warren Buffet en train de faire mu-muse avec son cash ou se pavaner en ceintures Gucci ?

Reste que si la pique est bien amenée, il est quand même difficile de ne pas imaginer le Jay Z des jeunes années, celui de la trilogie Life et des soirées champagne Roc-A-Fella, résister en 2020 au plaisir de dégainer son money phone.

Comme ça, pour le fun.

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