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Les certifications, des récompenses en chocolat ?

Les certifications, des récompenses en chocolat ?

Qu’elles soient d’or, de platine ou de diamant, les rappeurs n’attendent pas l’ouverture de la saison pour chasser les certifications. Aux yeux du public, décrocher ce Graal est la consécration ultime pour un artiste et viennent couronner le succès d’un projet ou d’un single. Véritable objet de convoitise réservé à un cercle restreint de rappeurs dans la dernière décennie, l’avènement du streaming a redistribué les cartes au point de peut-être dévaloriser la performance. Alexandre Lasch, directeur général du SNEP, et Arnaud Fraisse, journaliste à Mouv’, décryptent le phénomène. 

L’histoire d’amour entre les rappeurs et les certifications a été conflictuelle avant de s’améliorer dernièrement. Cependant, l’intérêt pour ces récompenses n’a pas bougé d’un poil entre les différentes époques et Arnaud Fraisse a pu le vérifier. Le journaliste de Mouv’ réalise, en binôme avec Vikram Gounassegarin, l’émission Le Roro sur la chaîne YouTube de la radio dans laquelle les artistes évoquent la certification dorée. Le constat est sans appel, ils en parlent tous avec des étoiles dans les yeux qu’ils soient de l’ancienne génération ou de la nouvelle. “Personne ne le dévalorise, au contraire il représente quelque chose de fort chez eux et pour leur entourage. C’est encore plus le cas pour les artistes qui ne l’ont pas obtenu d’entrée comme Kaaris ou Youssoupha. Ils ont douté et se sont réinventés après des années de carrière pour trouver la bonne formule”, explique Arnaud Fraisse.

Obtenir une certif’ est synonyme de laisser son empreinte dans la grande Histoire de la musique. Ces récompenses ont vu le jour dans les années 50 et depuis, elles ont traversé les âges pour être glanées par des Michael Jackson, Tupac, Jay-Z. Marcher dans les pas des idoles est donc un symbole de réussite, indéniablement. L’année 2020 a marqué l’explosion du « rap de niche » aux yeux du grand public avec Laylow, Dinos, Freeze Corleone et Alpha Wann obtenant un disque d’or pour la première fois. Un grand accomplissement pour ces rappeurs, étiquetés à être des éternels rois sans couronne de la nouvelle génération comme l’étaient Salif ou Nessbeal, selon certains. Ces disques d’or sont venus valider le travail de longue haleine de ces artistes en leur ouvrant de nouvelle porte. “Le public fera toujours la distinction entre ceux qui l’ont et les autres sans certification. C’est limite un diplôme qu’on délivre au bon élève. Les codes ont beau avoir changé avec le streaming, car la façon de consommer la musique est différente, le disque d’or reste un moment marquant dans une carrière”, d’après le journaliste. Preuve de cette fierté, nombreux sont les artistes à s’afficher avec leur trophée à la main.

Chacun à sa manière : Soso Maness a symboliquement plastronné le disque de diamant de Petrouchka devant la porte des Beaumettes entouré par ses autres trophées en août dernier. D’autres la jouent plus simple comme PNL avec Le Monde Chico en 2016. Le groupe du 91 venait de recevoir à cette époque son premier disque d’or pour l’album qui a lancé leur carrière. Attachés à leurs racines, les deux frères avaient ramené le trophée à la maison, c’est-à-dire au quartier de Corbeil-Essonnes là où tout a commencé.

Le streaming, le sauveur des récompenses

Les années 2000-2010 ont été marquées par la fameuse crise du disque. Le nombre de certifications était en chute libre, notamment pour les singles, impacté par le téléchargement illégal. La prise en compte du stream’, un marché en pleine croissance à cette époque, a donné le coup de pouce nécessaire et a permis au secteur musical de connaître un nouvel âge d’or. Pour rappel, chaque pays a son propre organisme de distribution. En France, ces distinctions sont émises par le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) et l’Union des producteurs phonographiques français Indépendants (UPFI). Un artiste reçoit son single d’or pour 15 millions d’équivalents de streams et 50 000 équivalents ventes pour un disque d’or. Le terme d’équivalents ventes est apparu en juillet 2016 lorsque le SNEP a choisi de comptabiliser le streaming pour ses récompenses. “C’était nécessaire de prendre en compte ce nouveau canal, car les certifications doivent refléter la consommation de la musique sous toutes ses formes. Nous avons dû réfléchir pour bien doser les règles d’équivalence entre le physique et le digital pour garder un équilibre”, détaille Alexandre Lasch, le directeur général du SNEP.

Six ans après la réforme, les certifications sont tombées sans discontinuer sur un rap français, fragilisé par la chute du disque auparavant. Et c’est Ninho, lui qui « sentait le Roro » dans son premier album studio, le rappeur représentant au mieux la nouvelle ère des artistes certifiés. L’interprète de Fendi a une collection faramineuse de disques en tout genre depuis son explosion en 2017. Il a atteint les 200 certifications en février dernier et ses trois albums studio (Comme prévu, Destin et JEFE) sont certifiés à 100% d’un single d’or. Un record absolu dans la musique française et une performance inimaginable il y a encore quelques années. Jul et sa centaine de distinctions ne passent pas non plus inaperçus dans la catégorie des chasseurs de certifications.

Les plateformes de streaming sont en perpétuelle expansion et le stream’ a pris un poids de plus en plus important dans la balance d’attribution des récompenses. Au point que le SNEP s’est employé à recalculer les règles d’attributions pour réguler la collectionnite aiguë des rappeurs pour les distinctions dorées et platinées. “Il n’y a pas trop de disques d’or. On certifie plus depuis 2015, car le volume d’écoute est plus important. Nous sommes passés d’une période où le single physique était un marché mort à une explosion de ce segment avec les plateformes de streaming. Les règles doivent suivre l’évolution de la musique pour rester à la page”, continue Alexandre Lasch. Ainsi, le SNEP a modifié par deux fois la façon de comptabiliser les ventes en streaming : depuis 2018, seul les écoutes des comptes « premium » sont prises en compte. Le syndicat a opéré un réajustement à la hausse de 50% des seuils pour les certifications singles afin de s’adapter à la tendance.

La deuxième réforme a eu comme effet de réduire le poids du stream’ en 2019 sur le calcul des ventes en 2019. 1 000 écoutes à une vente d’album avant la réforme, désormais ce sont 1 500. Ces décisions ont été contestées par une partie de l’industrie et expliquent le regain d’intérêt pour le format physique ces dernières années. Pour le SNEP, ces modifications étaient nécessaires pour avoir des récompenses toujours plus justes. “Nous modifions la méthodologie pour que les certifications reflètent la réalité et récompensent réellement les succès remarquables. On se pose souvent la question de savoir si on doit modifier les seuils. Rien ne nous empêche de repenser le système d’ici la fin de l’année et de faire un nouvel ajustement. Nous n’avons pas vocation à récompenser toutes les sorties”, affirme le directeur général du SNEP.

Un rap sans certification est évidemment possible

Même si obtenir un disque d’or est devenu une réalité pour une partie des rappeurs, d’autres courent toujours derrière leur premier album doré comme Médine. Il a avoué nourrir des regrets durant sa promo pour Médine France de ne pas avoir obtenu le trophée ultime. “Ça a le goût amer d‘un rêve qui se réalise bien trop tard. J’ai toujours l’impression de courir après cette médaille sans jamais l’obtenir en fait et donc c’est vrai qu’il y a une petite frustration. Attention, je ne suis pas obnubilé par le truc”, nuance-t-il face à Mehdi Maizi dans l’émission Le Code sur Apple Music.

Le rappeur havrais est dans une situation similaire à ses autres confrères : suffisamment connu pour vivre de la musique, mais pas assez pour s’assurer une certification. Et comme il l’affirme, il vit très bien sans cette récompense. Au fond, est-ce si important d’obtenir un disque d’or quand un artiste arrive à souder une fan base solide ou que le succès d’estime est au rendez-vous ? Vivre du rap dans l’ère actuelle sans être un gros vendeur est devenu possible et ne jamais obtenir un disque d’or est tout sauf un synonyme de flop. Comme le dit Makala dans Intro SLR : « Qu’ils m’donnent mon disque d’or ou pas du tout d’façon, j’les baise. » La messe est dite…

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