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Chilla, rappeuse et humaniste [PORTRAIT]

Chilla, rappeuse et humaniste [PORTRAIT]

Bien décidée à faire se faire une place dans le game, Chilla propose un rap ouvert et différent. Rencontre.

Crédits photos : Antoine Ott

Chilla a sorti son EP Karma le 10 novembre. En ce jour pas comme les autres, nous l’avons retrouvée dans les locaux de la société de production Suther Kane, pour discuter de ce qui l’a amené jusqu’à ce premier projet. Retour sur un parcours, qui en moins de deux ans, l’a mise sous le feu des projecteurs. Récit d’un itinéraire.

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La rencontre avec Tefa

Dans son morceau Aller sans retour qu’elle vient de clipper, Chilla rappe qu’elle « vient de nulle part ». Sans doute une manière d’exprimer qu’à la différence d’autres artistes, elle n’a pas d’origine particulière à faire valoir, ou en tout cas pas comme un étendard. Ce qui est sûr, c’est qu’elle a fait du chemin depuis un an et demi, moment où elle rappait en première partie de BigFlo et Oli. Ceux-ci vont ensuite l’inviter dans un Planète Rap. L’occasion de taper dans l’œil et l’oreille de Tefa, producteur multi-facettes derrière de nombreux succès du rap français, des 2 Bal 2 Neg’ à Diam’s, jusqu’à plus récemment Vald et Fianso. Il la contacte quelques semaines plus tard, pour discuter de la possibilité de travailler ensemble, et qu’elle rejoigne sa boîte de productions, Suther Kane.

A l’instar de Vald qui avait raconté à peu près la même chose en interview, sa connaissance du nom de Tefa se limitait alors à ses apparitions comme DJ dans Touche pas à mon poste, ou comme acteur dans le film Les Onze commandements de Michaël Youn. En réalité, comme bien d’autres, elle connaissait un peu son travail sans le savoir, ignorant le rôle du bonhomme dans les « cuisines » du rap français : « J’écoutais du rap, mais je ne connaissais pas les producteurs influents, et cetera. Je ne savais pas qui c’était dans la musique. Puis j’ai tapé son nom sur internet, et j’ai vite compris que c’était très sérieux », dit-elle, en ponctuant son récit d’un grand rire, comme pour évacuer la pression liée à la stature de Tefa. Interrogée récemment à la radio sur cette collaboration, elle racontait avec amusement le caractère impressionnant des projections du producteur, lorsque celui-ci lui décrit – avec l’assurance que seule l’expérience permet – ce qui se passera pour elle dans six mois, puis dans un an,

Le rap, un coup de coeur

Née avec une clé de sol dans la tête

Née « avec une clé de sol dans la tête » comme elle le dit joliment, Chilla est la fille de deux musiciens amateurs, qui transmettent naturellement leur passion à elle et son frère. Dès ses 6 ans, elle entame l’apprentissage du violon. Douze ans d’enseignement au conservatoire, en parallèle à une scolarité qui se terminera par un bac littéraire « musique ». A la maison, la petite Chilla est bercée par les goûts de son père, tournés vers le blues, la soul et le jazz, et ceux de sa mère, davantage orienté vers la musique pop-rock ou encore le ska. Pour sa part, elle s’intéresse à la plupart des musiques, avec une préférence marquée pour les musiques noires. Elle va finir par croiser la route du rap, il y a seulement quelques années :

« Une fois que j’ai eu ce bac, j’ai eu une grosse rupture avec tout ce qui était rigueur, scolarité, donc j’ai arrêté le violon. C’était l’époque où je traînais avec des potes qui rappaient. Moi j’ai toujours chanté, mais j’ai concrétisé ça vers 16-17 ans. J’étais épuisée de faire des covers de trucs qui ne m’appartenaient pas. Je voulais vraiment transmettre mon message, et du coup mes potes m’ont invitée à écrire avec eux un soir, pour essayer le rap, et je l’ai jamais lâché depuis ».

Signée chez Suther Kane avec une licence chez Millenium/Capitol, l’EP Karma a bénéficié de la direction artistique de Tefa : « On échange, ça m’amène parfois à écrire sur certains sujets, il est là quand je pose. Il est là un peu pour recadrer. Je peux avoir envie de faire un son qui va être hyper rappé trap, et puis le lendemain, avoir envie d’être sur un truc plus chanté, qui va être plus couleur reggae par exemple. Musicalement, je pars un peu dans tous les sens, j’aime tellement de styles musicaux que c’est vite facile de dériver selon l’inspiration ». Une direction artistique qui peut parfois également l’aider à prendre du recul sur les textes qu’elle écrit : « Quand j’écris plusieurs textes en une semaine, forcément y a un moment où y a le même champ lexical qui revient. Donc il m’aide à mieux construire tout ça ». Un travail qui l’a amené à enregistrer une cinquantaine de titres en un an et demi, pour garder les dix titres présents sur Karma.

Une carrière sans plan B

Faire du rap, c’était sans réfléchir, très spontané, très naturel

D’ailleurs, on peut se demander si la technicité polyvalente acquise par Chilla au cours de son cursus musical, du violon au chant, ne serait pas un piège dans la recherche de son identité. Un revers de médaille certes, mais dont l’endroit est un fort potentiel, qui ne demande qu’à prendre davantage de maturité, et pourrait bien l’emmener loin. Il faut dire que depuis sa Lettre au président qu’elle avait joué en première partie de Kery James, Chilla a déjà montré plusieurs visages, entre chant et rap. Sur ce titre plein de passion, elle déployait ses capacités vocales dans un registre proche de la variété, qu’elle ne souhaite pas forcément prolonger. Mais depuis, elle a montré qu’elle était tout aussi bien capable de kicker sévèrement, comme elle l’a fait il y a quelques semaines dans l’emission Rentre dans le cercle de Fianso : « « Viens te battre », le générique, je l’ai pris au pied de la lettre, je suis rentrée sur un ring ». Sur Karma, elle oscille également entre rap et chant, avec une couleur musicale globale qui s’avère cohérente, composée par une diversité de producteurs (Zeg.P, Cello, Seezy, L’adjoint, Coolax, Matou et Ari Beats).

Chilla est bien décidée à faire carrière dans la musique, car pour elle n’y a jamais eu de plan B, avec ou sans succès. Elle nous explique que le rap s’est imposé progressivement à elle, et que d’un simple plaisir, il est devenu pour elle un moyen d’expression quasiment thérapeutique. Elle s’est mise à rapper comme elle aurait relevé un défi : « J’ai pris des risques : rien que de faire du rap, mais tout ça, c’était sans réfléchir, très spontané, très naturel. Etre une meuf dans le rap, c’est pas une question que je me pose. Une fois qu’on m’a fait remarquer que j’étais une meuf et qu’il y n’en avait pas tant dans le rap, je me suis dit « ah bon, y a une place à prendre (rires) » »

Face à face avec les critiques

C’est ouf, juste avec des images, les gens arrivent à t’inventer une vie

Très vite, Chilla va connaître les joies du grand défouloir qu’est souvent internet. Lors d’un premier Planète Rap qui lui est consacré, elle lit des commentaires agressifs à son encontre, sur l’écran que voient les artistes quand ils sont à l’antenne. Elle en parle à Tefa, débordant d’envie de réagir. Il lui donne alors la meilleure réponse qu’on pourrait lui donner : « Bah écris, le studio est libre. Chil’ il va falloir t’habituer, tu vas être sujette à la critique ».

Dans l’animosité de certains commentaires anonymes, elle va puiser l’inspiration de Sale chienne : « Cela vient vraiment des commentaires, à la base. Parce qu’au début, on n’a pas le recul de se dire que c’est internet et qu’il faut s’y habituer. Alors qu’à côté de ça, la plupart des gens sur lesquels je suis tombé dans le milieu de la musique, ils ont été assez bienveillants ». Ainsi, des commentaires négatifs visent le fait qu’elle soit une femme, tout bêtement et tristement : « Juste parce que je suis une meuf et que je fais du son, et que je devrais la fermer, être chez moi à m’occuper des enfants que je n’ai pas (rires) ».

De quoi apprendre la nécessité de prendre ses distances, avec une minorité du public, celle qui ne mesure pas forcément l’impact de ses propos. Sur ce titre, une phrase attire également l’attention par son originalité : « Le passé douloureux, ferme ta gueule si tu ne viens pas de la tess’ ». Une manière de critiquer la caricature que certains haters pouvaient faire d’elle, lui reprochant de ne pas venir des quartiers : « On m’a écrit en commentaire »C’est qui cette parisienne du 16ème, qui est allée en école de com’ et qui fait du rap ? » Alors que je suis pas de Paris, j’ai pas fait d’école de com’. C’est ouf, juste avec des images, les gens arrivent à t’inventer une vie ». Loin de ces fantasmes, Chilla a grandi à la campagne, au pied du Jura, près de Gex, avant d’emménager à Lyon, vivant de petits boulots avant d’embarquer pour de bon une carrière musicale.

Quand on l’interroge sur l’étiquette de féministe que les médias semblent vouloir lui coller, elle préfère la voir comme une composante d’une identité plus large, humaniste. Son féminisme est pour elle une évidence naturelle, liée à son éducation hors des carcans machistes : « En fait, je me suis jamais posé la question du féminisme avant qu’on me la mette sous le nez, et qu’on me dise « t’es féministe », parce que c’était tellement naturel. Moi j’ai grandi avec une mère qui avait le même rôle qu’un père, et un père qui avait les mêmes rôles que la mère ».

Chilla semble garder la tête froide, consciente du chemin à parcourir pour se faire sa place dans le rap français : « Moi je continue à essayer de faire le lien entre tous les genres musicaux qui trottent dans ma tête. C’est difficile de trouver une ligne conductrice, mais je vais continuer à faire des chansons, et j’aimerais juste qu’on dise « c’est du Chilla ». Je suis pas pressée. Ce que je veux c’est créer des bonnes bases, trouver mon univers, vraiment me trouver musicalement, continuer à travailler et voir où ça mène ». C’est tout ce qu’on lui souhaite.

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