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Under Armour : la rue sous l’armure

Under Armour : la rue sous l’armure

Depuis quelques mois, une nouvelle marque de sportswear s’est imposée dans nos quartiers. Des ensembles de survêtement aux casquettes, jusqu’aux chaussures parfois : Under Armour est partout dans la rue, sur les réseaux jusqu’aux textes de rap. Décryptage d’un succès jalousé.

Depuis un peu moins d’un an, les références à Under Armour dans les textes de rap se multiplient. En décembre dernier, Jul dédicace les premiers mots de son vingt-neuvième album (La Route est longue) à la marque : “Survet Under Armour, j’ai pas de calibre dans l’armoire”. Zkr et Niaks signent chacun un titre éponyme de l’équipementier américain. Il y a cinq mois, invité sur le Planète Rap de Doria, VEN1 livrait un freestyle mémorable en direct de Skyrock, bonnet Under Armour vissé sur la tête. 

Jul en Under Armour : une image devenue habituelle depuis quelques mois pour le rappeur marseillais.

Côté personnalités publiques, c’est pareil. Sur les réseaux sociaux, rares sont les apparitions de Hamza Pvris, Walid Sax ou La Flèche sans un tee-shirt, un ensemble ou une casquette UA. Et dans la rue, même constat. “C’est devenu hype de fou” commente Idir, 22 ans et conquis par l’équipementier. De sa fenêtre, c’est surtout “auprès des petits mecs de quartiers” que le succès est le plus palpable. “Les gars qui portent cette marque, on le sait, ça se voit, c’est des frères arabes et des frères noirs.” ajoute-t-il.

Quelques années en arrière, rien n’aurait pu prédire le succès d’Under Armour sur le sol français. Encore moins auprès des jeunes des quartiers. Initialement utilisée pour le sport de performance, la marque de l’Américain Kevin Plank est progressivement sortie des salles d’entraînement pour proposer à la street ses meilleurs outfits. 

Le très populaire Hamza Pvris est devenu l’un des ambassadeurs officieux de la marque.

L’armure corporelle : du garage jusqu’à devancer adidas

Une bonne invention naît d’un besoin. Au milieu des années 1990, à Baltimore, c’est précisément ce qui motive Kevin Plank à se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Joueur de football américain à l’Université du Maryland, le jeune étudiant en a assez de finir chacun de ses entraînements trempé de sueur. Alors, pour taire cette frustration, il planche sur une alternative depuis le sous-sol de sa grand-mère : un tee-shirt moulant et léger qui se porte en première couche. Comme une seconde peau destinée à maintenir une température corporelle idéale. C’est cet aspect technique qui caractérise la marque au U et A entrelacés, portée initialement par des sportifs en quête de performance. La success story de Kevin Plank peut commencer. L’empire Under Armour pose ses premières pierres. 

Kevin Plank dans ses premiers locaux à Baltimore au début des années 2000.

Les choses s’accélèrent à l’aube des années 2000. En 1999, la marque s’offre une publicité inédite. Elle apparaît à l’écran dans le film de football américain L’Enfer du Dimanche sur les épaules de Jamie Foxx et cie. Progressivement, l’équipementier gagne du terrain et devient de plus en plus plébiscité par les athlètes de haut niveau. En septembre 2014, Under Armour détrône même adidas sur le marché américain et devient le deuxième équipementier le plus vendu. La première place étant toujours chaudement occupée par Nike.

Qualité en guise de promo

Côté Hexagone, les premiers séduits sont aussi les sportifs. Comme Marcus Feliho, coach sportif depuis neuf ans et adepte de la marque dès 2015, à une époque où “personne ne connaissait”. Fan de football américain, il découvre sur les shorts et bas de compression de ses joueurs préférés une marque qui “l’intrigue”. Depuis ce jour, il n’a jamais quitté le navire Under Armour et en porte quasi quotidiennement. Jusqu’à aujourd’hui, c’est soit à l’étranger, soit sur Internet que Marcus fait ses “razzias” pour se réapprovisionner. Malgré plus de 800 points de vente en France (Foot Korner, Decathlon, Intersports, JD Sports, outlets…), il peine à trouver son bonheur dans ces boutiques multimarques : “Dans les rayons en France, c’est souvent les basiques qui sont mis en avant et moi, c’est vraiment les côtés performance et technique qui m’intéressent.”

Le textile Under Armour est léger, il respire. Alors, dans les salles de sport, les adeptes de la musculation et du fitness se ruent dessus : “J’ai commencé à voir des gens en porter de plus en plus à partir du moment où il y a eu une collaboration avec The Rock” , poursuit Marcus. Ex-catcheur légendaire de la WWE, reconverti en acteur et producteur, Dwayne Johnson signe un partenariat mondial avec Under Armour en 2017. Un coup de projecteur qui participe au rayonnement international de la marque. Et la France n’y échappe pas. 

Tout en Under Armour

Mais depuis quelque temps, la cible a changé. “Maintenant, c’est aussi beaucoup porté par la street, par les jeunes de quartiers”, conclut Marcus. Même son de cloche chez Yoann, responsable adjoint d’un magasin Intersport : “Ces dernières années, je dirais que Under Armour se rapproche un peu d’un Lacoste à l’ancienne”. 

Une nouvelle clientèle que Walid connaît très bien. Gérant de deux Footkorner en Normandie, son métier consiste, entre autres, à avoir du flair. À sentir les marques qui ont le vent en poupe : “Dans nos boutiques, Under Armour a commencé à vraiment bien se vendre entre 2020 et 2021. Avant ça, on était dans une ère plutôt football, c’était surtout les ensembles de foot qui partaient. Surtout en 2018, après l’euphorie de la victoire de la France en Coupe du Monde.” De sa fenêtre, il a clairement vu les choses aller “crescendo” et la “tendance changer” au niveau des ventes avec “moins de foot et plus de performance”. 

Le nouvel uniforme des villes en Europe

Des pics de vente qui font échos à ceux enregistrés par la marque elle-même “au cours des 18 à 24 derniers mois”, précise Simon Roche, responsable des relations presse chez Under Armour. “Dans la région EMEA [ndlr : région économique regroupant des pays d’Europe, du Moyen-Orient et d’Afrique], la croissance d’Under Armour a commencé à Londres, Liverpool et Manchester mais aujourd’hui, elle s’étend rapidement à des villes comme Barcelone, Madrid et Paris”. 

Les produits les plus populaires dans les shops de Walid ? Les ensembles. L’équation est simple : une veste cintrée et un jogging bien taillé, près du corps. Le tout en noir, gris, blanc, beige, bleu ou autres couleurs unies. En entrée de gamme, on peut facilement se procurer la panoplie pour soixante-dix euros. Mais sur les modèles les plus techniques, les prix dépassent les deux cent euros.

Ce succès, Walid l’attribue principalement à la qualité de la marque. “Il faut rendre à César ce qui appartient à César, le produit est de qualité. Je pense que les gens apprécient les matières, la coupe qui met en valeur. Quand tu en arrives au stade où ton pote a déjà le produit mais que tu l’achètes quand même, c’est que vraiment il est bon.” 

Les ensembles préférés de tes snapchateurs préférés

Entre une meilleure accessibilité des produits et la popularité croissante de la marque auprès de personnalités ultra suivies sur les réseaux, le multi franchisé Foot Korner parle d’“étoiles qui s’alignent”. Et pour cause, sur les stories et feed de Walid Sax, La Flèche, Golo & Ritchie, Hamza Pvris et autres, la marque est omniprésente. Un mimétisme qui existait bien avant l’apparition des réseaux sociaux. “Avant Snapchat, il y avait déjà des influenceurs. C’est juste que les petits regardaient devant eux. Ils ont toujours été inspirés par leur grand, le sportif du quartier qui est bien sapé et qui a réussi ou le mec qui a entrepris”, explique le franchisé.

La Flèche, l’un des autres ambassadeurs officieux de la marque.

Aujourd’hui, Idir a vingt-deux ans mais se souvient encore des premières fois où ses yeux se sont posés sur le logo Under Armour. “Quand j’étais petit et que je voyais un ancien avec un grand ensemble UA, je me disais qu’il était vraiment en place. Le succès de la marque, il a d’abord été fait par les trentenaires sous TMAX qui ont de l’argent. Ça faisait street, mais propre sur soi. Je voyais beaucoup de gérants de snacks en UA par exemple”, confie-t-il. Maintenant, la marque n’est plus aussi rare et ses ensembles courent les rues : “Aujourd’hui, tout le monde en porte, beaucoup de jeunes de mon âge et même encore plus jeunes ! Donc vas-y, c’est moins ‘prestigieux’ on va dire”. Mais à l’époque, le jeune originaire de Créteil avoue même avoir été “tenté par le fait d’acheter du faux”. “Quand t’as de la demande même en faux, c’est que t’as réussi”, ironise Walid. 

La rançon du succès

Si la rue a trouvé son nouveau chouchou, certains continuent à avoir le snobisme comme boussole et le mépris comme réflexe. À l’image de toute marque réappropriée par la street, Under Armour n’échappe pas aux jugements stéréotypés. “Les gens stigmatisent de plus en plus Under Armour, même si c’est beaucoup moins fort que Lacoste ou Sergio Tacchini. En magasin, j’ai déjà entendu un client me dire que c’était une marque de ‘racaille’. Malheureusement, il suffit qu’un rebeu ou un renoi porte une marque ou un ensemble pour qu’elle soit stigmatisée”, regrette Yoann. 

Mais il faudra plus que les regards en biais de quelques esprits cadenassés pour enlever à ces mecs le flow qu’ils ont dans ces ensembles. Reste maintenant à savoir qui viendra remplacer Under Armour dans le cœur de ses adeptes. Pourquoi ne pas regarder du côté de Venum, équipementier officiel de l’UFC… 

Et si la tendance UA ne s’essouffle pas, ses aficionados ont de quoi se réjouir à la lecture de cette excitante nouvelle de la marque en personne : la boîte de Kevin Plank a bien “l’intention d’ouvrir un magasin à Paris lorsque le moment sera venu pour l’entreprise”.

Décryptage signé Nouma Ben
Photographies : @alone.sharkk

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