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« Les Misérables », de Montfermeil aux Oscars

« Les Misérables », de Montfermeil aux Oscars

Rencontre avec l’équipe du film avant sa sortie le 20 novembre.

Crédits Photos : Antoine Ott

« Film coup de poing », « impactant », « bouleversant »… Voilà les mots qui ont entouré les premières projections du long-métrage Les Misérables. Et devinez quoi, cela est vrai. Si la grande famille du cinéma français peut parfois ronronner en matière de comédies et autres drames familiaux, ici, il n’en est rien. Car du collectif Kourtrajmé jusqu’aux marches du festival de Cannes, Ladj Ly a fait les choses à sa manière, à l’instinct, avec un oeil avisé sur son environnement. Les Misérables, c’est ça, une histoire de nos banlieues avec le mondial 2018 en toile de fond, sans que personne ne soit épargné.

Rendez-vous donc entre Montfermeil, une sélection pour les oscars et un prix du jury cannois, en compagnie du réalisateur, mais aussi des acteurs Damien Bonnard et Djebril Didier Zonga.

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« Les Misérables », c’est avant tout un film qui concerne tout le monde. Les habitants d’une cité, les flics… Rien n’est laissé au hasard.

Ladj Ly : Disons que ça concerne les misérables, ces gens qu’on oublie dans les quartiers. Quand je dis les misérables, ça englobe les habitants des quartiers, mais aussi les policiers, car ce film parle avant tout de l’humain, clairement. On ne pose pas de jugement, on n’est pas là à dire que c’est soit noir ou soit blanc. Il y a un contexte donné et une situation qui en découle. On parlait tout à l’heure des politiques et de la vision des médias, malheureusement c’est très loin de la réalité. On voulait donc témoigner de la réalité sans prendre partie. C’est pas un film anti-policiers, bien au contraire. C’est surtout un film qui parle de l’enfance et qu’est-ce qu’être un enfant qui évolue dans cet univers, quel est l’avenir de ces enfants… L’accès à la culture y est par exemple catastrophique, c’est quelque chose qui est quasiment inexistant. C’est un film sur la France.

Comment avez-vous évolué avec les enfants sur le tournage ?

Djebril Didier Zonga : C’est des enfants donc forcément, ils sont un peu agités. Mais ils ont de la spontanéité et nous, les acteurs, ça nous mettait en alerte. Fallait qu’on soit réceptif à leurs demandes pour créer un truc. Travailler avec les enfants, c’est toujours un bonheur. On sait très bien que quand tu tournes avec eux, en général, tu finis par te faire voler la vedette (rires). Il y avait une bonne ambiance, ils avaient envie de prendre du plaisir.

Damien Bonnard : On n’était même pas dans un délire de conseil, on faisait vraiment le film ensemble, on faisait du lien… ça s’est fait tout seul ! Après, bien sûr, il y a la direction des acteurs, les répétitions avant, etc…

Djebril Didier Zonga : Bon Ladj a du mettre deux trois coups de pression à certains moments (rires).

Ladj Ly : Non franchement, c’était un bonheur (rires). Le but, c’était d’arriver avec une base professionnelle et travailler avec des gamins qui n’avaient pas d’expérience. C’était un challenge pour nous de prendre des gens qui ne connaissent pas du tout ce qu’est le cinéma, d’essayer de leur apprendre quelque chose de cool. Quand on voit le résultat, on est même surpris, on se dit qu’ils sont bons. En fait, ça a commencé durant les essais, c’était incroyable et bluffant. Les gamins arrivaient à déstabiliser les comédiens, ils avaient une vraie puissance. On a même réadapté le scénario par rapport aux essais, car à chaque fois, on partait en impro et ça donnait des trucs intéressants.

Les gamins du film, Les microbes, sont-ils tous de Montfermeil ?

Ladj Ly : Tous les gamins sont de Montfermeil, le but c’était d’impliquer le quartier au maximum. C’est le minimum quand on s’installe quelque part car un tournage ça dure deux mois au minimum. On a fait bosser plus de 200 personnes qui habitaient la cité, c’était important pour nous.

Ladj Ly

On croise Lucas Omiri et Omar Soumare des clips de PNL, on retrouve des scènes en lien avec coupe du monde… C’était important pour en faire une oeuvre générationnelle ?

Ladj Ly : Totalement. C’est un film qui traite de cette génération et pas d’une autre, ça parle de la France d’aujourd’hui. Pour ce qui est de Lucas Omiri et d’Omar Soumare qui sont issus des clips de PNL, ça reste quand même des gens influents de cette génération, c’était important pour nous de les avoir.

Dans « Ma 6-T va Cracker », les comédiens parlaient de vrais coups reçus lors des scènes d’affrontement… C’est la même chose pour « Les Misérables » (rires) ?

Ladj Ly : On n’en était pas très loin (rires). On voulait être le plus vrai possible, mais certains projectiles utilisés sont faux. C’est vrai qu’il y a des séquences où j’ai dû faire redescendre la pression, il y a avait des tensions car on est dans l’action au moment de tourner. C’est normal, quand tu filmes des scènes d’émeutes, les gosses y vont, ils ne font pas semblant.

Damien Bonnard : Puis parfois, il y a des objets qui rebondissent (rires). Dans le cinéma, il y toujours une frontière entre le vrai et le faux, avec des cascadeurs, etc. Mais c’est là que c’est intéressant aussi, que ce soit un peu tendu, même si faut faire attention à tous, à tout le staff ! Fallait par exemple prévenir les habitants, leur dire que c’était faux, que tout allait bien.

Ladj Ly : Au B5, dans la cage d’escalier, il fallait les rassurer, ça fait partie du truc quand tu tournes dans des conditions réelles. C’est inspiré d’un fait réel et ça faisait sens de le retourner dans les mêmes endroits.

Comment on travaille le rôle des policiers ?

Djebril Didier Zonga : J’ai eu cette chance d’être en immersion, de rencontrer des policiers et de les observer. Je suis devenu ami avec l’un d’eux, qui m’a d’ailleurs beaucoup aidé sur mon personnage, car il a eu le même parcours. C’est un mec qui a grandi en banlieue et qui est devenu policier, je voulais comprendre pourquoi. Car moi, je n’ai jamais eu cette démarche, à part en regardant des films américains… Enfant je ne me suis jamais dit que je voulais devenir un policier de la BAC. Ce sont de vraies vocations et il fallait le comprendre. Rencontrer quelqu’un avec ce parcours, ça m’a permis de nourrir mon personnage, qui est à la frontière entre les jeunes et la police. Ce n’est pas tout le temps facile. Faire le méchant, c’est un truc qui peut vite arriver quand t’as un peu de pouvoir, mais il fallait que dans mon rôle, je reste juste.

Damien Bonnard : De mon côté j’ai fait beaucoup de G.A.V (rires). Non plus sérieusement, j’avais un travail de découverte à faire. Mon personnage est plus en recul, qui observe. J’ai lu tout ce que je pouvais, des paroles des policiers, même si c’est compliqué car ils ont un droit de réserve. Puis des documentaires sur la justice, des vidéos… Après, on se partageait tout entre les acteurs ! Ce qui est intéressant, c’est qu’on a eu un vrai temps de préparation avant le tournage. Le personnage de Stéphane veut rester dans le droit chemin et faire gaffe à tout alors j’ai même lu le code de déontologie de la police.

Damien Bonnard

Autre élément important, le Maire de la cité n’est pas vraiment le Maire de la ville…

Ladj Ly : C’est intéressant d’avoir toutes ces figures qui existent dans les cités. C’est dommage de ne pas les utiliser pour raconter ce qui se passe. Le Maire, si tu veux raconter la réalité, tu es obligé d’en parler. Alors certes, ce n’est pas le vrai maire, mais tout le monde le connaît à la cité, tout le monde sait qu’il existe. Ceux qui ne sont pas issus de là ne le savent pas forcément, il fallait le partager.

Ladj Ly, l’envie d’un long-métrage est là depuis longtemps ?

Ladj Ly : Oui, bien sûr, il y a toujours eu cette envie de réaliser un long-métrage. Après, ça a pris du temps. Il y a plusieurs réalisateurs de chez Kourtrajmé qui ont réussi à faire leurs films, ça met une certaine pression. Tu arrives à un moment ou tu te dis qu’il faut faire mieux que tout le monde. L’envie, elle est là depuis la naissance. J’ai pris mon temps, notamment avec le documentaire…

Et c’est réussi ! Quand on voit l’accueil à Cannes avec un prix du Jury…

Ladj Ly : Pour l’instant ça va, on est content.

Damien Bonnard : Il était temps car il va avoir 65 ans dans pas longtemps (rires).

Ladj Ly : (rires) Mieux vaut tard que jamais !

Damien Bonnard : Mais ce qui est marrant, c’est que jamais personne ne s’est projeté là-dedans. A la base, on voulait juste faire un bon film, on ne pensait pas du tout à Cannes ou quoi que ce soit.

Ladj Ly : Il y a un an et demi on n’était même pas sûr de le faire ce film, la réalité est là. Quand on se présentait devant des financiers, personne ne voulait nous aider. Finalement c’est la région et Canal qui ont suivi, mais ça a été un parcours du combattant, c’était la bagarre tous les jours.

En même temps, les films qui deviennent cultes sont ceux qui prennent des risques. Que ce soit en termes financiers ou dans les sujets abordés.

Ladj Ly : Ici, on est face à un sujet qui dérange, clairement. Quand tu dis que t’es un mec de cité qui veut faire un long-métrage sur la cité justement, c’est compliqué… Voire même impossible. Il faut juste travailler et cravacher dur.

Tu as dit que c’était un film patriote. Représenter la France aux Oscars, c’est une belle manière de boucler la boucle.

Ladj Ly : La France, c’est ça, on le ressent sur l’affiche. T’as le nom du film aussi, Les Misérables, qui fait référence à Victor Hugo. T’as ces gamins qui vont supporter l’équipe de France et qui se retrouvent plus tard à se retourner contre l’autorité, mais surtout contre un système.

Avec les récents événements de Chanteloup-les-Vignes, vous n’avez pas peur de la récupération ? De l’accueil du film ?

Ladj Ly : On regrette tous ce qui est arrivé à Chanteloup, mais malheureusement cela arrive souvent lorsqu’on ne règle pas certains problèmes. Je ne connais personne qui se lève le matin et qui se dit qu’il va aller préparer un guet-apens contre des policiers. Il y a bien une raison. Il y a en pas tous les jours, mais ça arrive… Du côtés des personnes qui habitent dans les cités, on sait ce que c’est de subir les violences policières et de ne pas pouvoir porter plainte. Il y a des fautes de plusieurs côtés, je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais quand il y a des actes comme ça, c’est souvent en réaction à quelque chose.

Djebril Didier Zonga

Dernière question, est-ce que ce film n’est pas aussi une arme pour créer des vocations ?

Ladj Ly : Ce film est aussi un cri d’alarme destiné aux politiques, qui sont les premiers responsables de ce qui arrive depuis 40 ans. Le but, c’est de réfléchir pour régler les problèmes tous ensemble, car il y a quand même de l’espoir malgré la violence. Si Les Misérables peut faire bouger les lignes, c’est tant mieux. Pour le cinéma, il s’agit juste de leur ouvrir les yeux, de dire que c’est possible, qu’ils trouvent des vocations.

Damien Bonnard : Le film lui-même est porteur d’espoir, il a été fait à Montfermeil, ce qui n’est pas habituel à la base.

Djebril Didier Zonga : Carrément, puis il peut susciter des vocations aussi. Quand tu regardes les jeunes Issa Perica et Al-Hassan Ly qui sont exceptionnels, t’as envie de les voir devenir acteur. L’école de Ladj avec Kourtrajmé est aussi là pour donner envie aux jeunes de se diriger vers ce qu’ils ne connaissent pas, le cinéma, ou autre.

Damien Bonnard : Et ci ça ne devient pas un métier, au moins que ça devienne une passion. Le cinéma, c’est un territoire d’évasion, ça te permet d’avancer.

Djebril Didier Zonga : Grâce à ce genre de films, c’est aussi possible pour les nouvelles générations de se projeter. C’est bien pour les jeunes, nous, on regardait directement vers les Etats-Unis… Aujourd’hui, ils peuvent se regarder eux-mêmes.

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