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Ce jour où… Ice Cube s’est fait traiter d’antisémite

Ce jour où… Ice Cube s’est fait traiter d’antisémite

Avec la série « Ce jour où… » Booska-P revient sur ces anecdotes de plus ou moins grande importance qui ont marqué l’histoire du rap. Aujourd’hui place à ce jour où le Cube Glacé a clashé sans prendre de gants son ancien groupe…

Décembre 1989 : coup de tonnerre, Ice Cube quitte avec pertes et fracas les Niggers With Attitude.

Principal auteur et interprète du carton Straight Outta Compton sorti l’année précédente, O’Shea Jackson de son vrai nom clame à qui veut l’entendre qu’il s’est fait escroquer par le manager du groupe, Jerry Heller.

Vétéran de l’industrie du disque (il a par le passé travaillé à des degrés divers avec notamment Elton John, Marvin Gaye, Otis Redding ou encore The Who), ce dernier officie comme homme de l’ombre depuis ce jour où Eazy-E est venu le démarcher pour monter le label Ruthless Records.

Selon Cube, Heller aurait détourné une grande partie de ses royautés à son profit.

Les N.W.A. frappent les premiers

Suite à cet épisode, le rappeur se lance en solo en mai 1990 avec l’album AmeriKKKa’s Most Wanted qui rencontre un grand succès critique et commercial.

L’histoire ne dit pas si c’est la jalousie qui a motivé ses anciens partenaires, mais toujours est-il que les quatres lascars décident trois mois après de l’attaquer sur leur EP 100 Miles and Runnin via le titre Real Niggaz où Dr Dre balance : « We started out wit too much cargo/So I’m glad we got rid Benedict Arnold ».

[Dans la culture populaire américaine, Benedict Arnold symbolise l’image du traitre – général durant la guerre d’indépendance, il est resté célèbre pour avoir trahi les États-Unis pour l’Angleterre.]

Ice Cube ignore pourtant cette pique subliminale sur son projet suivant Kill a Till qui sort le 1er juillet de la même année, allant même jusqu’à sampler 100 Miles and Runnin’ sur le morceau Jackin’ For Beats.

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En mai 1991 à l’occasion de leur second album Efil4zaggin, le désormais quatuor remet cette fois-ci le couvert explicitement avec l’interlude A Message to B.A.

Non contente de démarrer en reprenant le titre Turn Off the Radio présent sur AmeriKKKa’s Most Wanted, la parole est ensuite donnée à des fans qui couvrent d’injures Ice Cube avant de laisser MC Ren conclure par un fielleux « When we see yo’ ass, we gon’ cut yo’ hair off and fuck you with a broomstick ».

Notez également la ligne « I smell pussy » qui sera reprise quelques années plus tard par G-Unit sur un son éponyme pour démolir encore un peu plus Ja Rule et son Muder Inc.

Touché au vif, Cube réagit sur son essai suivant Death Certificate avec le missile No Vaseline.

La légende veut qu’il ait pris connaissance de A Message to B.A. alors qu’il était sur un bateau en compagnie d’un cadre de Priority Records et que sitôt l’écoute terminée, il ait sauté dans sa voiture pour rentrer chez lui et écrire dans l’heure et demi qui a suivi sa contre-attaque.

Plus d’un quart de siècle après les faits, il s’agit toujours d’un des clashs les plus virulents de l’histoire du rap.

Samplant Message to B.A. en intro et scratchant une phrase de LL Cool J au refrain (« Now you’re gettin’ done without vaseline »), No Vaseline sort les kalashs à tout va et humilie dans les grandes largeurs ses anciens comparses dépeints comme une bande de « house niggas » à la merci du maître blanc, Jerry Heller.

Un morceau culte mais…

Loin d’être épargné, ce dernier est non seulement désigné comme un « juif blanc », mais est en sus menacé de mort : « Get rid of that devil real simple/Put a bullet in his temple/Cuz you can’t be the ‘Niggaz 4 Life’ crew/With a white Jew tellin’ you what to do. »

Cube en rajoute une louche dans le couplet suivant avec : « It’s a case of divide-and-conquer/Cause you let a Jew break up my crew » (« Un cas où diviser permet de mieux régner/Parce que tu as laissé un Juif briser mon crew »).

Rapidement la polémique enfle : de nombreuses associations appellent au boycott, les passages litigieux sont bipés la radio, l’album Death Certificate sort au Royaume-Uni sans No Vaseline

De son côté, Ice Cube aggrave encore un peu plus son cas en niant plus que maladroitement les accusations d’antisémitisme lorsqu’il déclare « respecter les juifs parce qu’ils sont unis et [qu’il] souhaiterait que les noirs le soient tout autant ».

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N.W.A n’a cependant jamais répondu à ces attaques, et pour cause : le groupe a fini non sans ironie par se disloquer quand moins d’un an après Dr. Dre a quitté l’aventure pour des raisons similaires à celles évoquées par Ice Cube.

Si chacun des membres tente alors une carrière solo, l’animosité subsiste encore quelques temps.

Accompagné de son protégé d’alors Snoop Doggy Dogg, Dre tacle Cube sur Fuck Wit Dre Day (mais aussi et surtout Jerry Heller) et sur Nuthin’ But A G Thang ou il rime « Mobbin like a muthafucker but I aint Lynchin » (une référence au groupe Da Lench Mob monté par Cube).

La fin de la récré

Les choses finissent néanmoins par se tasser, chacun des membres finissant pas se rabibocher au fil du temps, la maladie puis le décès en 1995 d’Eazy-E jouant malheureusement pour beaucoup.

Seul Jerry Heller continue de garder la dent dure contre son ancien employé, lui qui dès le départ était celui qui avait pris cette diatribe le plus à cœur comme le montre la scène ci-dessous extraite du film Straight Outta Compton.

Pire, No Vaseline marque la fin de sa carrière. S’il manage encore quelques groupes et artistes rap et rock de seconde zone d’ici et là, sa réputation ne s’en remettra jamais.

Eazy-E finira d’ailleurs lui aussi par faire bande à part bien que ce soit Heller qui le premier lui ait ouvert les portes du mainstream et qu’il l’ait considéré jusqu’à la fin comme un fils.

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« Dans le milieu du rap, j’étais le diable blanc ennemi de l’homme noir » écrira Heller dans son autobiographie Ruthless: A Memoir sortie en 2006 – un livre où il en profite au passage pour régler encore et encore ses comptes avec le Cube Glacé.

Il faut avouer que sur le papier il fait figure de cible d’idéal, et pas seulement pour son look à base de chemises bariolées et de lunettes oranges qui lui fait ressembler à la caricature même de l’agent show business marron.

Au-delà des clichés et des rancœurs, Jerry Heller est-il coupable de quoi que ce soit ? L’intéressé a toujours prétendu que non, arguant que ni Cube, ni Dre, ni personne n’avait jamais intenté la moindre action légale à son encontre.

« Nobody ever sued! »

Si d’un point de vue formel l’argument se tient, la réalité des chiffres offre une perspective toute autre.

En dépit d’avoir ghostwrité Straight Outta Compton et Eazy- Duz-It, le premier album solo d’Eazy-E, deux albums dont les ventes cumulées dépassent les 5 millions d’exemplaires, Ice Cube n’a en effet reçu que 32 700 petits dollars de royautés quand Dre de son côté n’a lui perçu que 86 000 dollars en 1992.

Dans le même temps, Heller s’enorgueillissait lui de « faire 10 millions de dollars par mois avec six employés » et d’avoir bâti « la maison de disques naissante la plus fructueuse de l’histoire de la musique ».

Une situation qui reflète toute l’ambivalence d’une industrie qui n’a jamais été timide à tondre la laine sur le dos de ceux qui la font vivre, « droit » des contrats à l’appui.

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Sorti en 2015 le biopic Straight Outta Compton est évidemment revenu sur ce clash et ses conséquences du point de vue des artistes, Dre et Cube étant tous deux producteurs.

Jerry Heller (interprété par l’acteur Paul Giamatti) n’a que modérément apprécié de se voir à l’écran, allant jusqu’à réclamer 110 millions de dollars devant les tribunaux sans aller jusqu’à la défendre, étant donné les très nombreuses libertés du métrage prises avec les faits, il est fort possible que son personnage ne corresponde que peu à la réalité.

Une légende du game quand même

La nouvelle de son décès en septembre 2016 à l’âge de 75 ans n’a cependant guère ému Ice Cube : « Je ne vais pas déboucher une bouteille de champagne, mais je ne vais pas verser une larme non plus. C’est la vie (…) Je ne vais pas perdre le sommeil pour ça. »

Plus mesuré, son fils O’Shea Jr. (qui joue le rôle de son père dans SOC) est peut-être celui qui résume le mieux la situation : « Bien sûr, Heller a par moments défendu comme personne N.W.A et mérite une reconnaissance certaine pour le bien qu’il a fait (…) mais s’il n’y avait rien eu de louche derrière tout ça c’eût été encore mieux… Au final ses bonnes actions ont tout de même surpassé les mauvaises. »

« Qu’il repose en paix. »

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