Actualités Musique

Jorrdee : « Tout se termine en chagrin d’amour »

Jorrdee : « Tout se termine en chagrin d’amour »

Jorrdee c’est une gueule et une musique originale. Aujourd’hui, l’artiste dévoile son album « Avant ». Et avant qu’il ne soit trop tard, on est allé rencontrer le personnage.

Crédits photos : Antoine Ott

Rangé du côté des artistes inclassables, Jorrdee intrigue. Avec la sortie de son album « Avant », l’heure est venue pour Booska-P d’aller rencontrer le bonhomme. Un jeune gars à la musique sensible, mais violente, qui s’écoute la nuit de préférence. Dans son r’n’b lancinant, il est question d’amour et de références populaires. De quoi nous transporter partout sauf là où on l’attend. Lorsqu’on débarque au sous-sol de l’hôtel du Temps, nous sommes en plein milieu de l’après-midi et l’interviewé est en transit. Il est sorti la veille et profitera des soirées parisiennes avant de se rendre à Londres. Qu’importe la fatigue, Jorrdee ne fait pas dans les réponses politiques et se montre réaliste. Parfait pour un homme sans étiquette.

Comment tu te sens, là maintenant, avec l’arrivée de ton album « Avant »?

Je m’en fous. Pour moi, les trucs les plus physiques et mentaux, c’est quand je fais mes sons, la promo, ou quand j’attends des thunes. Après, je ne suis pas du genre à me poser des questions quand le projet sort ou pas. A partir du moment où le processus est en marche, t’es rassuré, tu sais que ton album va sortir. Là je pouvais même avoir un peu peur, c’est la première fois que je bossais avec un label. Et comme t’entends que beaucoup d’artistes ont du mal à sortir leurs propres projets, ça te fait bizarre. Mais ça va.

à partir du moment où le processus est en marche, t’es rassuré, tu sais que ton album va sortir

Etre chez Warner, cela a changé quelque chose dans la manière de faire ta musique?

C’est la même chose. J’ai signé un contrat de distribution. Du coup, le mastering, le mixage, tout est fait maison, ça me ressemble. C’est ma recette…

Parlons de recette justement, dans un morceau tu causes de « 51 », en hommage au pastis. Pourtant, tu as été un des premiers à parler de lean dans tes textes. Aujourd’hui, tous les rappeurs français ont pris le train de la codéine en marche…

C’est comme si j’avais 45 ans (rires) ! J’en bois encore un peu, on va dire que ça peut m’arriver, pour dormir quoi. Mais aujourd’hui je préfère boire un petit verre de vin de temps en temps. Je suis un bon vivant. On peut dire que je suis heureux en ce moment.

Pourtant, j’ai l’impression que ton projet sonne comme une succession de chagrins d’amour.

C’est exactement ça, à un moment on passe tous par là. Cela termine toujours comme ça, en chagrin d’amour. Tout a une fin, c’est une suite logique. Tu retiens plus les moments de peine que les instants d’amour. De toute façon, je fais une musique réaliste. C’est juste la vie d’un artiste, d’un rappeur en France aujourd’hui. Moi je n’ai pas à forcer sur ça, je vais montrer l’autre côté du miroir. Cela me fait chier de croiser des gens qui te disent : « t’as percé, maintenant tu vas faire croquer ». Moi justement, je ne fais pas les choses pour le succès ou l’argent, je fais de la musique pour moi. La passion ça passe avant tout, tant mieux si j’arrive à en vivre. Comme dans tout, il y a la valeur de ce que tu fais avec tes deux mains. Quand tu y passes du temps, tu as toujours le plaisir du résultat final. Avancer dans la musique, c’est comme avancer dans une relation amoureuse, tu essayes de devenir une meilleure personne à chaque fois.

cela termine toujours comme ça, en chagrin d’amour. Tout a une fin, c’est une suite logique.

Et ta musique, elle plaît aux filles?

Plus maintenant qu’avant (rires). Non mais plus sérieusement, on m’a souvent demandé pourquoi je chantais comme ça, sans forcément articuler. J’en sais rien, Michael Jackson, il peut faire des bruits chelou aussi. C’est juste comme ça. C’est pour ça que, même quand je n’aime pas, je ne critique pas. Je préfère donner des conseils plutôt que dire « c’est de la merde ». Moi je préfère dire « tu peux faire mieux » et aider la personne en face.

Du coup, cet album c’est comme une progression ?

C’est clair. En plus, sur cet album on s’est réellement amusé. On s’est mis en tête qu’on avait un producteur derrière nous alors qu’en fait, on dirigeait tout. On se disait des trucs du genre « ça, ça va grave marcher », sans forcément se mentir. A aucun moment, on n’a pas kiffé ce qu’on faisait. On a pris du plaisir en réalisant ce projet de A à Z. Il y a des sons qui, grâce à des samples ou des ambiances, peuvent sonner « commercial ». Mais justement, le challenge c’est de faire du bon commercial. Tu peux citer Pharrell ou certains dans le rap ces derniers temps.

Ce n’est pas pour rien que tu cites Mylène Farmer ou Stromae dans tes tracks…

Non, c’est de la musique populaire, ça parle à tout le monde. C’est de la musique qui peut te faire danser et penser, qui fait du bien. Dans la posture du rap, on commence à changer de genre. C’est plutôt cool. Tant mieux si certains se mettent à chantonner. Avant je me sentais un peu seul en studio. On aime bien mettre les gens dans des cases. Quand j’allais à l’école, plus petit, j’étais le seul black. Là du coup, les autres disaient que je ressemblais à tel ou tel rappeur. Sans forcément le vouloir, j’étais vu comme ça. Au fur et à mesure du temps, je me suis découvert. J’ai vu que le rap, c’était juste de la musique.

avant je me sentais un peu seul en studio, car on aime bien mettre les gens dans des cases

Tu as été marqué par cet épisode?

Marqué, non pas forcément. Mais j’étais mis dans une case alors que je voulais déjà partir vers autre chose. En fait, j’avais du mal à me faire accepter par différents groupes. Quand je parlais avec des gens qui étaient dans un esprit pop, ils me traitaient de rappeur comme si j’étais un débile. Du côté des rappeurs, quand j’essayais de faire écouter de nouveaux sons, on me disait « enlève ta merde ».

Est-ce que t’as eu un déclic avant de commencer à enregistrer tes sons?

Non, ça a toujours été comme ça. J’ai écouté de tout quand j’étais petit. Je cite souvent Lil Jon par exemple. Lui était déjà dans un délire bien à lui. Il faisait du snowboard, il a appelé un de ses albums « Crunk Rock », il a bossé sur des samples de métal… Il cherchait déjà à se mélanger à d’autres cultures. C’est un truc qui est propre au sud des Etats-Unis. Moi, j’ai l’impression d’être né dedans. J’ai beaucoup déménagé quand j’étais petit. Mais là où je suis resté pendant longtemps, j’ai côtoyé des gens qui n’écoutaient pas de rap ou très peu. Ils écoutaient du rock ou de la techno, il n’y a que moi qui tirait sur le jack pour mettre mes sons, j’étais dans mon truc (rires).

T’étais le renégat des soirées ?

C’est ça, ça me pique de le dire, mais oui (rires)! Au final, je pense que grâce à moi et d’autres gars, on a apporté une ouverture à un moment donné. C’est comme pour les vêtements. Aujourd’hui, tu as beaucoup de marques qui proposent des collections unisexe, pour la musique c’est la même chose. Tu ne fais pas ça juste pour un tel ou un tel. D’un coup, tu n’es plus black, blanc, beur, t’es juste un musicien.

Jul c’est des rythmes rapides, chaleureux, c’est un truc du sud. Les gens qui viennent du sud captent ça directement

Dans le titre « Faussaire » tu t’attaques d’ailleurs même au game…

En fait, j’écoute tout. Même ce que j’aime pas. Avant j’étais un rageux, un peu comme n’importe quel jeune rappeur. Avec le temps je me suis rendu compte qu’il y avait de la beauté partout. Chacun à son histoire, chacun à son charme. Jul, je ne kiffais pas forcément au tout début. Je ne comprenais pas et puis finalement je me suis retrouvé en soirée avec ses sons, puis ça m’a rappelé plein de moments passés à Marseille. Jul c’est des rythmes rapides, chaleureux, c’est un truc du sud. Les gens qui viennent du sud captent ça directement. Au final, je ne fais pas de différence entre PSY4 de La Rime et Jul. Dans « Le son des bandits », tu retrouves la même chaleur.

T’aimerais travailler avec quelqu’un comme Jul ?

Oui. Mais, en fait, il n’y a personne avec qui je ne voudrais pas travailler. En tant que producteur, je suis ouvert. Je veux quand même garder ma personnalité. Plus on essaye de coller à une tendance, plus on se perd. Bosser avec quelqu’un, OK. Mais c’est pour que chacun amène son truc à lui. Aujourd’hui il y a des gens qui sont dans la mouvance trap alors que ça ne leur ressemble pas. Quand on dit qu’un artiste vend son âme c’est un peu ça, c’est vouloir ressembler à autre chose. Pour être bien dans ma tête, je dois faire ce que j’aime. Faut juste rester soi-même.

Ton album a été pensé pour être écouté la nuit, c’est l’impression qu’il donne à la première écoute…

J’ai eu une période où tout ce que je faisais c’était la nuit. Que ce soit pour la musique, l’argent ou autre. J’ai l’impression que je m’y suis habitué, il y a des jours où je ne dors presque plus en fait. Quand ça m’arrive de dormir, je vais le faire pendant 12 heures. Mais je ne suis pas le seul, il y a plein des gens comme ça. Si le thème de la nuit se retrouve dans ma musique, c’est que c’est vraiment moi. Je ne fais pas dans l’affabulation. Je n’ai par exemple jamais dis que j’avais une grande baraque ou un max de tunes.

Tu t’étais déjà confié sur ta double culture (Comores et Martinique). Tes racines et la religion, ce sont des choses importantes pour toi?

C’est même très important pour moi. Car si tu ne crois en rien, t’es perdu.

À LIRE AUSSI 
Pour Jorrdee, c'était mieux avant ! [VIDEOCLIP]

Top articles

Dossiers

VOIR TOUT

À lire aussi

VOIR TOUT