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Comment Soprano a bousculé les mentalités dans le rap ? [DOSSIER]

Comment Soprano a bousculé les mentalités dans le rap ? [DOSSIER]

Du Stade Vélodrome au plateau de The Voice en passant par les records de ventes d’albums, Soprano multiplie les réussites symboliques et semble aujourd’hui devenu bigger than rap. Comment ses succès ont-il bousculé les mentalités dans le monde du rap ?

Soprano est-il encore un rappeur, ou a-t-il totalement changé son fusil d’épaule, embrassant définitivement le monde de la pop voire de la variété ? Pour les différents observateurs, les avis divergent. La thèse des défenseurs du Soprano-rappeur s’appuie principalement sur l’idée qu’il reste un excellent kickeur, et surtout, que le rap aurait tort de rejeter un artiste aussi populaire, évident marqueur de réussite pour l’ensemble du milieu. En face, l’antithèse oppose des arguments tout aussi peu définitifs, comme la direction artistique de ses derniers albums, de moins en moins rap, ou son nouveau statut de star de la musique française, que l’on retrouve plus souvent sur le plateau de The Voice Kids avec Jenifer et Florent Pagny qu’au milieu d’un Planète Rap enfumé avec Fianso et 13 Block.

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Bigger than rap

La question n’a en réalité pas de réponse définitive, l’appartenance ou non à un genre musical n’étant pas une science exacte, et chacun ayant sa propre définition du rap, reste que le statut actuel de Soprano est très éloigné de celui des autres têtes d’affiche du rap game. Le niveau de popularité atteint par le chanteur est réellement spectaculaire, et si son public n’est plus forcément celui qui l’a découvert il y a quinze ans sur Le son des bandits, sa dimension est aujourd’hui réellement bigger than rap, tant son nom et son image s’imposent à des emplacements autrefois impensables pour un artiste issu du rap. Du stade Vélodrome aux prime-times sur TF1, en passant par la couverture du Journal de Mickey ou la troupe des Enfoirés, Soprano a depuis longtemps fait sauter tous les cadenas.

si son public n’est plus forcément celui qui l’a découvert il y a quinze ans sur Le son des bandits, sa dimension est réellement bigger than rap

Ce redimensionnement et cette ouverture toujours plus large ont pu surprendre les ex-fans des Psy4, en particulier quand on compare le parcours du chanteur à celui d’autres stars du rap des années 2000. Pourtant, si l’on met de côté l’évolution artistique du chanteur, Soprano est resté extrêmement cohérent en terme de positionnement, en particulier sur le plan de la mentalité. Principale qualité de l’artiste pour certains il y a dix ans, principal défaut pour d’autres, son image de « rappeur gentil », déjà évoquée à ses débuts, constitue toujours l’une de ses principales caractéristiques. Quoi que l’on pense de sa musique et de ses choix de carrière à l’heure actuelle, difficile de lui imputer un quelconque retournement de veste, tant sa ligne directrice est restée la même.

La cohérence du positionnement de Soprano sur la durée constitue la principale explication à l’absence totale de contradicteurs issus du milieu du rap, là où d’autres artistes tout aussi populaires ont pu être attaqués par leurs pairs, par la presse musicale, ou directement par les auditeurs. On pourrait par exemple être tenté de comparer la réussite de Soprano à celle de Maître Gims : aussi gros vendeurs l’un que l’autre, ils remplissent des stades, sont les stars des cours de récré, touchent un public extra-large, et font grimper les audiences sur TF1 et C8. Pourtant, là où l’auteur de Ceinture Noire est attaqué par Booba, Rohff ou Joeystarr, et vu par le public rap classique et par une partie de la presse spécialisée comme l’incarnation vivante de ce sous-genre péjorativement surnommé zumba, Soprano semble respecté par tout le monde -ou du moins, personne ne prend la peine de lui manquer de respect.

La réussite de Soprano est-elle celle du rap français ?

Symbole de réussite mainstream et de réussite chiffrée, Soprano symbolise finalement le nouveau statut du rap au milieu des autres genres musicaux, et surtout, la nouvelle mentalité du milieu rap face à la réussite. Il y a encore dix ans, avoir ses entrées à la télévision, collaborer avec des noms comme ceux de la troupe des Enfoirés, et être écouté par un public trop éloigné de la rue, posait un réel souci au public rap classique. Aujourd’hui, tout le monde pense chiffres, y compris les auditeurs, dont certains basent leur appréciation d’un artiste ou de son oeuvre en fonction des scores réalisés en première semaine, des millions de vues cumulées sur Youtube, ou du type de métal qui compose les disques de certifications. A ce petit jeu, Soprano est évidemment trois crans au dessus des autres, les 800.000 ventes de L’Everest, les deux disques de diamant, et les nombreux clips à plus de 100 millions de vues parlant d’eux-mêmes.

difficile de nier que Soprano a permis au rap d’élargir considérablement son auditorat

De la même manière, l’ouverture de l’auteur de Cosmopolitanie à des pans du monde de la musique et du spectacle que le milieu du rap refusait d’aborder il y a encore quelques années, a ouvert la voie à un éventail croissant d’opportunités pour nos artistes. L’émergence d’une frange du rap clairement orientée vers un public jeune, voire très jeune, est l’une des conséquences de l’ouverture très grand public de certains artistes, dont Soprano. Reste à savoir si le rap avait réellement vocation à faire son entrée dans les cours de récré et les mariages, ou s’il perd de sa force en coupant, même partiellement, son lien avec la rue. Sur cette question, deux visions s’opposent : d’une part, les partisans de l’idée selon laquelle le rap doit se démocratiser, toucher toutes les couches de la société, et devenir un socle culturel majeur, comme aux Etats-Unis ; d’autre part, les défenseurs d’un type de rap plus dur, moins adapté à un public non-averti, préférant préserver la scission avec la pop et la variété.

Que l’on soit orienté vers l’une ou vers l’autre de ces visions, il est difficile de nier que Soprano a permis au rap d’élargir considérablement son auditorat, et par conséquent de gagner en influence sur la société française. Si le téléspectateur moyen de TF1 ou l’auditeur fidélisé de NRJ peut être charmé par la personnalité de Soprano, ou attiré par sa propension à marier les genres et à donner des accents pop à sa musique, les conséquences de cette popularité sont potentiellement bénéfiques pour tout le monde : l’impact d’un single comme Zoum peut par exemple donner envie à une part du public de Soprano d’aller explorer un peu plus en profondeur ce que fait Niska, et tombera peut-être même, au gré des suggestions Youtube, sur Kekra ou Alkpote.

Entre deux mondes

Longtemps centré sur lui-même, le monde du rap a beaucoup hésité entre ses besoins fondamentaux d’authenticité et de contrepoids aux circuits culturels classiques d’une part, et sa volonté de diffuser son message au plus grand nombre d’autre part. En prenant sans l’ombre d’une hésitation le parti de la démocratisation et de l’ouverture la plus totale, Soprano prend les devants et décide, par lui-même, de faire sortir définitivement le rap de son carcan. Désormais, le public de la variété ou de la pop va devoir s’habituer à voir un rappeur (ou ex-rappeur, selon votre définition personnelle du genre musical pratiqué par Soprano) en prime-time sur TF1, en tête de prou des Enfoirés, ou dans les playlists des collégiens. Si le cas de Soprano constitue encore une exception et se limite à des artistes acceptables par la ménagère moyenne (Black M, Big Flo et Oli), la tendance est à l’acceptation de plus en plus large des rappeurs en télévision, et certains noms, à l’univers musical un brin moins lisse (Damso, Orelsan) prennent de plus en plus souvent place sur les plateaux.

personne ne s’offusque de voir un rappeur dont la carrière a démarré avec un « braquage vocal à visage découvert » devenir l’un des artistes les plus populaires

Si l’ambition du rap a longtemps été celle de se placer à contre-courant de la masse artistique française, de bouleverser les codes établis, et d’apporter une touche de subversion dans un paysage médiatique trop aseptisé à son goût, les mentalités ont fini par évoluer, et personne ne semble aujourd’hui s’offusquer de voir un rappeur dont la carrière a réellement démarré avec un « braquage vocal à visage découvert » finir par devenir l’un des artistes français les plus populaires et les plus aimés par les familles. Finalement Soprano appartient-il encore réellement au monde du rap, l’a-t-il définitivement quitté pour d’autres sphères ? L’important n’est peut-être pas de catégoriser à tout prix le marseillais dans un genre musical ou dans un autre, mais bien de faire le lien entre son évolution et celle du rap : ne serait-il pas tout simplement devenu le point de liaison entre deux mondes qui se tournent le dos depuis 30 ans ?

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