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Confessions de Kenzy, businessman hors-pair du rap français !

Confessions de Kenzy, businessman hors-pair du rap français !

Parmi les plus grands labels de l’histoire du rap français figure incontestablement le Secteur A. Son apogée correspond à l’âge d’or de cette musique dans l’Hexagone. C’est Kenzy, initialement manager/porte-parole du Ministère AMER, qui sera l’homme-clé de l’ascension fulgurante de cette structure.

En 2007, Jerôme Ebella (A.K.A Kenzy) était reçu chez Allmade. L’équipe de Get Busy en profitait pour l’interroger sur son parcours, aussi original qu’impressionnant. Booska-P vous en retranscrit les moments les plus croustillants !

Un manager/porte-parole improvisé

Je rate mon BAC parce que je ne vais pas à l’école. L’année de ma Terminale, je n’y suis presque pas allé. C’est à ce moment, en 1990, que je commence à manager le groupe Ministère AMER (rétroacronyme de Action, Musique Et Rap). Tu ne pouvais pas être manager à temps partiel d’un tel groupe. Il fallait quelqu’un pour parler des contrats. J’ai décidé de m’en occuper mais ce n’est pas quelque chose que j’ai demandé à faire. On était un ministère. Il fallait donc un porte-parole du ministère. Même si je n’ai pas été en cours lors de mon année de Terminale, j’ai réussi à accéder au rattrapage et je n’ai manqué le BAC que pour un seul point. Je me suis alors demandé ce que j’avais envie de faire de ma vie. Dans un bouquin, j’ai alors appris qu’on pouvait devenir publicitaire sans avoir ce diplôme.

L’ascension dans le monde du disque

Ministère AMER a débord été signé chez un petit label qui s’appelait Musidisc, lequel a ensuite été racheté par Universal. J’ai cherché à y avoir un stage. Ils ont accepté et je suis devenu directeur artistique junior, puis directeur de marketing junior, directeur de l’export junior, etc. J’y suis resté pendant six mois, pour apprendre tous les métiers du disque. J’ai eu beaucoup de chance. Je suis presque devenu assistant du dirigeant du label.

La différence…

A Sarcelles, on a toujours cherché à se différencier. Quand tout le monde parlait d’unité, on a décidé de parler des traitres dans la communauté. (D’où le nom du premier maxi du Ministère Amer, « Traitres », sorti en 1991).

Hamed Daye

Il n’est pas sur le premier album du Ministère AMER, « Pourquoi tant de haine » (1992). A l’époque, il jouait beaucoup au basket. Il avait l’impression qu’il pouvait devenir Mickaël Jordan. Il n’a donc pas fait partie de l’aventure, puis a fini par revenir.

Mariano Beuve (producteur du Ministère AMER, décédé en 2009 d’une crise cardiaque)

Lorsqu’on l’a rencontré, il nous a demandé de le payer pour réaliser nos maquettes alors qu’on venait de voir un reportage sur les producteurs escrocs qui réclamaient de l’argent aux artistes. Finalement, on a signé chez lui pour plusieurs albums. A l’époque, on enregistrait et promotionnait un album pour environ 120 000 francs (18 000 euros). On n’avait pas la rage envers les groupes signés en major, qui avaient pourtant beaucoup plus de moyens que nous.

En tant que manager, Sacrifice de poulet a été un sacré coup de fric !

95 200 (2ème album du Ministère AMER, sorti en 1995)

On regardait beaucoup la télé. Nous nous sommes inspirés de la série « Beverly Hills 90210 » pour trouver le titre de cet album. Je suis très fier d’avoir travaillé dessus. Je l’écoute au moins dix jours par an, tous les ans. Moda n’était pas sur ce projet, mais on ne lui a jamais demandé de partir du groupe. Il a voulu faire sa route en solo. On se demandait comment enregistrer l’album sans Stomy, qui devait allait faire son service militaire. Il s’est fait réformer au bout d’une semaine pour revenir enregistrer.

Sacrifice de poulet (titre extrait de la bande originale du film La Haine)

A cette époque, on avait pris nos distances avec le rap. Passi sortait de prison, Stomy avait suivi une femme à Washington parce qu’il était amoureux d’elle. Mathieu Kassovitz était intéressé pour nous faire poser sur la BO de « La Haine ». Il m’a sorti un sujet à aborder, qui était le suivant : « Après une bavure policière où un ami de votre quartier meurt, vous vous en prenez à ce qui est représentatif de l’État ». J’ai appelé Stomy et Passi pour leur dire qu’on avait du travail. On disposait alors du plus gros budget de notre vie : 50 000 francs (environ 7 600 euros) pour faire un seul morceau. On n’a même pas été invité au Festival de Cannes pour aller voir le film… En tant que manager, ce morceau a été un sacré coup de fric. C’est grâce à ce titre qu’on a pu fonder la société Secteur Ä Éditions. On commence alors à négocier avec plusieurs labels…

La percée de Doc Gyneco

Ministère Amer est le premier groupe signé sur le label Secteur Ä. Ont suivis les Neg’ Marrons, Arsenik, Djimi Finger comme compositeur, Futuristiq, F Dy Phenomen… Doc Gyneco est arrivé dans notre histoire quand Stomy a quitté Sarcelles pour habiter à Porte de la Chapelle. A l’époque, je trouvais que c’était un personnage atypique. Je ne me suis pas dit qu’il allait vendre un million d’albums. Puis, il a signé chez Virgin. Au départ, « Première Consultation » ne vendait pas tant que ça. Un jour, Gyneco est venu me trouver, m’a dit qu’il n’en avait vendu que 50 000 exemplaires et m’a demandé de devenir son manager. J’ai accepté et j’ai refait toute la stratégie de com’, de promo et de marketing de Virgin. On s’est alors mis à vendre 50 000 albums par mois… pour finir par arriver au million.

Quelques gouttes suffisent (1er album d’Arsenik, sorti en 1998)

Aucune maison de disque ne voulait signer ce groupe. Comme on gagnait beaucoup d’argent sur notre catalogue éditorial, on a décidé de produire nous-même leur premier album. Au départ, Benjamin Chulvanij (alors patron d’Hostile Records, devenu aujourd’hui boss de Def Jam France, Ndlr) nous avait dit que Calbo et Lino ne vendraient pas plus de 50 000 exemplaires de « Quelques gouttes suffisent ». J’ai parié avec lui qu’on en vendrait 200 000. On sort pendant l’été, on en vend 50 000 le premier mois. C’est le groupe que je suis le plus fier d’avoir produit, sachant que je n’ai pas produit Ministère AMER.

La consécration

Je n’ai jamais ressenti d’explosion du Secteur Ä. C’est après coup que je m’en suis rendu compte. A l’époque, je n’écoutais pas trop la radio. J’étais plus absorbé par le fait de faire des bons disques, bien enregistrer, faire des belles pochettes et des bons clips… Je ne surveillais pas trop le Top 50.

La rançon de la gloire…

L’erreur que j’ai faite, c’est que je pensais qu’on vivait tous de la même façon l’arrivée d’argent massivement. Certains, qui avaient déjà géré de l’argent, le vivaient bien. Mais quand un gamin de 21 ans voit son compte bancaire passer de zéro à un million, c’est quelque chose qu’il faut gérer. Et moi, je n’ai pas su gérer ça. Un jour, Gyneco a eu envie de monter un label. Aucun des associés de Secteur Ä n’a été partie prenante de son business. Il a fait l’album d’Assia, mais celle-ci n’était jamais payée. Trois mois après, elle m’appelle pour me dire qu’elle n’est toujours pas rémunérée. C’est à partir de là qu’a débuté la fameuse « affaire Gyneco ».

Si tout s’était passé comme prévu, le Secteur Ä aurait regroupé Arsenik et Lunatic

L’affaire Gyneco

J’ai gagné de l’argent grâce à elle car j’ai été diffamé (le père de Doc Gyneco déclare à l’époque dans la presse que son fils a été victime d’une séquestration par ses anciens amis et associés, Ndlr). Mais le Secteur Ä y a aussi laissé beaucoup de plumes. On commençait à rentrer dans certains cercles financiers, qui n’avaient rien à voir avec la musique. On avait mis du temps à expliquer que le rap n’avait rien de gangster ou de criminel. A cause de cette histoire, tout notre capital sympathie s’est écroulé. Cela a même failli détruire totalement le Secteur Ä. Bien que Doc Gyneco ait vendu un million, il ne représentait que 2,3% du chiffre d’affaire du label.

Fierté

Plus de 80% des artistes sur lesquels nous avons travaillé vivent de la musique.

Regret

Le 15 avril 1997, on avait approché un groupe qui s’appelait Lunatic. On devait les signer la semaine suivante. Et le 16 avril, qui correspondait au lundi de Pâques, Booba a eu la mésaventure que vous connaissez (Il écope d’une peine de prison ferme pour avoir braqué un taxi, Ndlr). Si tout s’était passé comme prévu, le Secteur Ä aurait regroupé les groupes Arsenik et Lunatic.

Le temps (titre du Ministère AMER en featuring avec Johnny Hallyday, sorti en 2005)

On nous avait proposé de faire ce titre dès 1998 pour son concert au Stade France. Johnny voulait avoir un groupe de rap. A la clé, il y avait sa première partie à faire au SDF, trois soirs de suite. A l’époque, Passi et Stomy ont refusé car ils n’auraient pas assumé. Alors que moi, ça ne me posait aucun problème. Pour moi, Johnny c’est le roi des Français !

Internet

C’est un outil de diffusion considérable. Les maisons de disque ont perdu la guerre face à Internet. Elles s’y sont intéressées trop tard. Elles ont été trop lentes à comprendre ce qu’allait être le phénomène. Il faudrait trouver une autre solution pour inciter les jeunes à acheter de la musique. Le prix des CD’s était bien trop cher.

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