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Sopico, avec du souffle et des cordes [PORTRAIT]

Sopico, avec du souffle et des cordes [PORTRAIT]

Plongée dans l’univers d’un rappeur estampillé 18ème, entre Kurt Cobain, sport et envie d’ailleurs…

Crédits photo : Antoine Ott

A 23 ans, Sopico est un artiste en pleine évolution, dont l’inspiration a tendance à fuser dans tous les sens, un peu comme la lave décrite dans son morceau Volcano. Tandis qu’il s’apprêtait à monter sur scène dans le cadre du MaMa Festival, nous l’avons rencontré. Attablé à une terrasse sur le boulevard de Clichy, il est temps d’en savoir un peu plus sur ce jeune gars du 18ème arrondissement de Paris. Alors qu’il a attiré l’attention avec le très bon MOJO sorti en 2016, il travaille sérieusement sur la suite, un autre long projet attendu pour janvier prochain.

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A la différence d’autres rappeurs, ce n’est pas sur une face b ou un type beat que Sopico a fait ses premières armes musicales, mais avec une gratte sèche. A l’instar d’un Jok’Air qui a Balavoine dans la peau, ou d’un Siboy citant Alain Souchon, Sopico fait partie de cette nouvelle génération totalement décomplexée face aux catégories musicales. De quoi perdre définitivement tout vendeur de disques resté bloqué dans les années 90 ou 2000, et rendre bien lointaine l’époque où rap, techno et rock se regardaient en chiens de faïence.

Une enfance au milieu des guitares

https://www.youtube.com/watch?v=rAMh5u236LI

Sopico n’a jamais vraiment choisi, écoutant autant Daft Punk, les Fugees, que Kurt Cobain ou un certain Elie Yaffa, à qui il envoie des clins d’œil appuyés dans plusieurs de ces textes. Ainsi, dans 3,33%, morceau balancé en juin, il rappe qu’il n’est « pas qu’premier en sport et en chant », référence claire à certaines rimes entendues dans Pitbull, ou plus loin encore dans la discographie de Booba, sur De mauvaise augure, présent sur l’album Temps Mort et sorti en 2002. Sopico n’a alors que huit ans, un âge où l’on commence tout juste à se faire l’oreille. Il perçoit néanmoins rapidement la puissance lyricale du duc de Boulogne, qui va inspirer durablement son écriture : « Je l’ai vraiment saigné ce projet, et je pense qu’il y a une matrice chez Booba qui m’a percuté fort. Il a un truc dans sa façon d’écrire les projets, qui est très métaphorique, et qui laisse énormément de place à l’interprétation ». C’est peut-être là que le style d’écriture de Sopico prend sa source : un style heurté, sans sous-titres, qui laisse souvent les clés de l’énigme à l’auditeur, les lyrics laissant une grande liberté d’interprétation à celui qui l’écoute. Cela lui permet de se démarquer d’un story-telling plus académique, qu’on peut entendre chez certains de ses aînés du 18ème, comme Hugo TSR ou la Scred Connexion, dont il salue les valeurs, « bien précises », et la capacité à ne faire aucun compromis.

A la maison, le jeune Sofiane grandit en écoutant son père jouer de la guitare, juste pour le plaisir : « Depuis tout jeune, mon père joue de la guitare orientale, de la musique traditionnelle kabyle. Il y a trois guitares chez moi, quand on se retrouve en famille, mon père et mes oncles prennent la guitare, donc depuis que je suis petit je vois ça ». De l’observation des guitares trafiquées avec des frettes pour rajouter des demi-tons en plus, Sopico va certainement trouver matière à aiguiser une curiosité pour des alliages improbables, entre modernité des logiciels et spécificité d’anciennes recettes : « J’adore les guitares douze cordes, j’aime bien les instruments particuliers, pas trop utilisés. J’adore les kalimba, les sanza, tous ces instruments presque traditionnels, mais qui peuvent apporter une magie dans la prod’ ». Guitariste deuxième voix dans un groupe, c’est seulement vers l’âge de dix-huit ans que Sopico va commencer à rapper, encouragé par des amis de la « street ». Une rue qui semble l’inspirer fortement, que ce soit dans le texte de Parisien, ou encore quand il prête sa voix de narrateur à un court-métrage réalisé pour la marque The Walk. En tant que narrateur, il préfère être l’acteur de son propre récit, un peu comme le belge Isha, à qui il envoie un big up au passage, précisant qu’ils préparent « des choses ensemble ».

De Nirvana jusqu’à Booba

Alors que son père joue du Idir, Sopico fait ses premières armes musicales en reprenant du Nirvana : « Je viens plus du rock dans mon esthétique, même si aujourd’hui je fais du rap, sur comment je m’habillais, ce que je kiffais. Pour moi Nirvana c’était aussi fort que Booba. J’écoutais les deux trucs et je me disais qu’ils avaient une espèce de flamme, de magie, comme une abnégation musicale. Les gars sont dans un truc où la musique est pure, ils livrent ce qu’ils ont à livrer à fond ».

A ses débuts, Sopico a été soutenu par le groupe Versus, avec Vesti et Say qui lui ont mis le pied à l’étrier, ou encore par un certain Georgio, qui était son voisin à Marx-Dormoy, un ami de longue date : « On a partagé beaucoup de choses, beaucoup de moments de vie dans le quartier qui ont un peu forgé notre ADN et la souche de notre musique. Sans doute avec Georgio y a plein de perspectives ». Pour l’instant, il trace sa route avec son label de la 75e Session et son crew, le Dojo Klan. C’est avec cette famille de son qu’il a sorti en juin 2016 son premier projet, MOJO, produit entièrement par Sheldon. Sur scène, c’est Hash24 qui l’accompagne, assurant ses backs.

Son processus de composition se base d’abord sur la mélodie : calés sur les notes de sa guitare, les mots sont souvent guidés par le son : « Pour moi c’est ultra-important la musicalité, parce que j’ai un rapport d’écriture qui est très lié à la guitare. Souvent, je fais mon travail d’écriture et mon travail de mélodie de manière très minimaliste. Je travaille sur une guitare, et après je me pose en studio, je fais une prod’, mais le travail de maquette passe souvent par des inspirations à la guitare ». Pendant la gestation de MOJO, la proximité de Sheldon a permis à Sopico de se former à la MAO et d’être en capacité de réaliser lui-même l’ensemble des productions de son prochain long projet, attendu pour début 2018. Une manière d’aller plus loin dans son processus créatif : « Cela m’a permis, pour le deuxième projet, de ramener toutes mes inspirations au niveau de la prod’, et par rapport à ce travail en amont que je peux faire avec la guitare, d’y inclure des choses qui représentent ma souche musicale. Je peux commencer un morceau sur un guitare/voix, et terminer sur un gros beat complètement trap. Ce truc évolutif, c’est quelque chose qui me tient vraiment à cœur » Comme sur MOJO, on devrait trouver des allers-retours, y compris au sein d’un même morceau, entre notes de guitare et sonorités trap. Mais aussi de vrais moments guitare/voix comme sur Le Hasard ou la chance. Ce titre dévoilé en mai dernier dans le cadre du COLORS SHOW, montre toute la capacité de renouvellement du rap, quand il est entre de bonnes mains. Si on n’y entend pas la moindre caisse claire, le phrasé et la rythmique gardent clairement une patte hip-hop, dans une texture assez inédite.

Couleurs et frontières

Il était un candidat idéal pour être invité par le COLORS SHOW de nos voisins berlinois, qui mélangent artistes émergents et confirmés pour des lives one-shot, et où le Parisien s’est senti comme un poisson dans l’eau. Dans le décor minimaliste propre au concept, il a pour la première fois livré un pur guitare/voix. Boostée par son exposition internationale, la vidéo a rapidement dépassé le million de vues sur youtube, nous rappelant qu’un son original reste plus fort que bien des débauches d’artifices visuels : « J’ai été contacté il y a six mois. La veille, j’ai vu le Colors de Tommy Cash, je ne connaissais pas le concept. Et le lendemain, j’avais un mail de Colors qui me disait qu’ils seraient intéressés pour me faire venir, je me dis ‘c’est quoi ce truc ?’ Et deux semaines après on était à Berlin pour faire le Colors, et c’était une très bonne expérience. Et y a de belles perspectives, peut-être pour en faire un deuxième, voire plus ». Un concept qui rejoint son goût pour une ouverture internationale : « Le rap s’est ouvert beaucoup ces derniers temps à la francophonie, le rap belge a pris une énorme force. Internet a complétement débridé le rapport à la langue et à la musique. J’ai eu l’occasion de rencontrer des artistes anglophones, italiens, ou d’Amérique latine, qui sont complètement ouverts à des combinaisons. »

Le rap que propose Sopico est complètement hybride : « Je n’ai pas trop de carcans en fait, j’essaie d’arriver avec une logique de contre-pied forte. Je peux sortir un morceau complétement métallique, ou arriver avec un truc beaucoup plus chaleureux ». Quand on lui dit qu’on ne comprend pas toujours dès la première écoute l’ensemble de ses textes, il n’est pas surpris, et voit cela comme un choix artistique assumé : « Le truc qui me fait le plus percuter chez un artiste, c’est quand j’arrive à réécouter un morceau une trentaine de fois, et que la trente-et-unième écoute c’est la meilleure. Ce truc-là, c’est quelque chose que je fais inconsciemment. Ça rend peut-être un peu moins accessible ma musique, mais pour les gens qui vont y accéder, ça la rend beaucoup plus intéressante ».

Le second souffle du sportif

Il fait d’ailleurs un parallèle avec la manière dont il aimerait qu’on consomme sa musique : en prenant le temps, en y revenant : « Je ne vois pas la musique comme un sprint, mais plutôt comme une grande course de fond. Etant jeune, j’ai fait énormément de sport, et il y a un truc dans le sport qui est ultra fort, c’est le deuxième souffle. Et on est capable aujourd’hui avec 75ème Session, avec toutes les différences qu’on peut avoir parmi les artistes, d’avoir ce truc de deuxième souffle dans les projets, et ce truc de profondeur. »

Sopico donne également beaucoup d’attention à ses visuels : pour MOJO, sept vidéos ont été réalisées, notamment par Zéphyr et 5 : AM, ou encore Mallory Meignant d’Osmose Films. Il aime la dualité entre les sonorités froides et plus chaudes, comme dans les paysages servant d’illustration. Avec une identité urbaine, et un appel vers le large, comme dans le désert des Bardenas, dans la région de Saragosse en Espagne, où a été tourné le clip de Mouvements.

Partisan du décloisonnement musical, Sopico n’est certainement qu’au début de son voyage musical, entamé par ses vidéos Guitare la street en 2012. Et il a plus d’un talent pour qu’on en exige des nouvelles régulières, du premier au second souffle.

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