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Pourquoi les rappeurs finissent-ils toujours fauchés ?

Pourquoi les rappeurs finissent-ils toujours fauchés ?

La flambe, le bling, le drip… tout ceci n’a qu’un temps…

Le rap est-il à la musique ce que le catch est au sport ? Dans le top 3 des sujets préférés des emcees avec les flingues et les bitches, l’argent exhibé à la ville comme à la scène relève à un Jay Z ou un Pufffy près très souvent du fantasme.

Non pas que nos prétendus millionnaires soient à plaindre, mais à en juger le nombre d’entre eux qui (quelles que soient les époques) se retrouvent fort dépourvus sitôt leur quart d’heure de célébrité terminé, on est droit de se montrer dubitatif quant à leurs fanfaronnades.

On est d’autant plus en droit de se montrer dubitatif quand dès le départ les indices ne manquent pas pour estimer à la baisse la valeur de leurs patrimoines.

Ces indices les voici.

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1. Parce que les rappeurs ne gagnent pas tant que ça

Le premier truc à comprendre.

Évidemment, aucun des cadors du mainstream ne se laissera jamais aller à divulguer l’exact montant de ses revenus (le savent-ils au moins ?) au risque de se tirer une balle dans le pied (le public attend d’eux un train de vie en adéquation avec l’image qu’ils véhiculent), mais qu’il s’agisse de leurs deals, de leurs possessions matérielles ou de leurs ventes, tout est largement exagéré.

[Mention aux classements de « networths » à la Forbes qui bien que repris à tire-larigot sont au mieux des estimations à la louche sans grand intérêt.]

Déjà parce qu’un rappeur c’est une équipe, que ce soit en studio (producteur, beatmakeur, toplineur, ghostwritteur…), en dehors des studios (un manager, un agent, un avocat…) et en tournée (sécu, chorégraphe, coiffeur, coach…), et qu’il faut bien rémunérer ce petit monde.

Ensuite parce que si grâce au streaming pas une semaine ne s’écoule sans qu’un « record » ne tombe, tout cela n’a guère de sens tant que la correspondance stream/royauté n’est pas clairement établie, et que pour ce qui est du physique, là où l’industrie du disque manipule les chiffres depuis toujours, il est estimé qu’un artiste touche en net moins de 50 centimes par album vendu.

En vrai, passées toutes les émissions à la gloire du pouvoir d’achat comme Sneakers Shopping ou MTV Cribs, quand un Nas se retrouve convoqué par le juge pour évaluer le montant de la pension alimentaire qui sera allouée à son ex-femme, son avocat s’empresse de préciser qu’il « gagne beaucoup moins que ce l’on croit ».

Et quand dans un élan de sincérité Redman ouvre les portes de sa modeste demeure aux caméras, il admet volontiers « être okay, mais ne pas être riche ».

2. Parce que les rappeurs dépensent plus qu’ils ne gagnent

Dans un milieu où les symboles de réussite importent au moins tout autant que la réussite elle-même, la course à l’ostentation est permanente.

Ainsi aux dépenses quotidiennes qui explosent presque sans s’en rendre compte (les repas, les loyers, l’essence…), s’ajoutent l’achat de fringues (apparemment 300 000 dollars mensuels pour Future), de caisses et de bijoux dignes de leur rang nouveau, les dons aux œuvres de charité, le tout sans oublier toute une série de dépenses des plus suspectes (chaîne téléguidée pour Soulja Boy, léopard pour Tyga, chiottes en or de Birdman, Lil Baby qui paye une Rolex à son fils de 5 ans, jeté de billets en l’air dans les strip clubs…).

Prisonniers d’un lifestyle impossible à maintenir, les rappeurs se condamnent à la banqueroute.

L’exemple le plus caricatural demeure à ce jour MC Hammer, alias le premier rappeur devenu vraiment riche avec une fortune estimée à 30 millions de dollars au début des années 90 et qui six ans après le carton de son solo Please Hammer Don’t Hurt Em s’est retrouvé sur la paille. Propriétaire d’une maison à 12 millions de dollars, il employait plus de 200 personnes à son service…

Autre cas célèbre : le mogul Dame Dash, alias « Champagne Dame », qui après avoir connu le faste des années Roc-A-Fella a vu ses business péricliter les uns après les autres (son label Roc la Familia, sa marque Team Roc, ses galeries d’art…) au point de se faire lâcher par ses avocats pour ne pas être en mesure régler leurs honoraires, puis de se faire traiter publiquement par son ex Linda Williams de « bon à rien ».

Enfin, comment de ne pas mentionner le beatmaker star des années 00 Scott Storch (Beyoncé, 50 Cent, Justin Timberlake, Dr. Dre…) qui du temps de sa splendeur pesait 70 millions de dollars et qui, coké jusqu’à la moelle, a claqué en six mois 30 millions (!) en bagnoles, soirées et location de jets privés. Pourchassé par les créanciers, en 2015 ses biens étaient estimés à 3 600 petits dollars (500 dollars de vêtements, une montre à 3 000 dollars et 100 dollars d’économies sur son compte en banque…).

3. Parce que le succès n’a qu’un temps

Dans le rap plus encore que dans le sport, les carrières sont courtes.

Si l’on considère qu’un rappeur en vogue brille en moyenne entre trois et cinq ans avant qu’une nouvelle sensation ne lui pique sa place (une estimation particulièrement généreuse à l’heure actuelle), cela signifie qu’il lui faut dans ce laps de temps cumuler assez pour mettre de côté et assurer ses vieux jours.

Après ça le train ne repasse pas (plus de contrat de sponsoring, plus de coup de fil pour feater…).

Certes un série de hits bien sentis permet de continuer d’engranger quelques royautés et se produire en showcases dans les clubs de sa région, mais cela n’empêche pas de voir ses revenus inéluctablement diminuer.

Tout sauf facile à digérer surtout pour qui a cru que son run ne s’arrêterait jamais ou espère un comeback de derrière les fagots, cette période qui devrait être en théorie celle du réajustement des finances est souvent celle où les déficits se creusent… surtout quand en parallèle il faut continuer de rembourser les traites de la baraque payée plus tôt à la mama et les échéances de la Lamborghini fluo.

Ne dit-on d’ailleurs pas qu’il n’y a pas plus endetté qu’un ancien riche ?

4. Parce que le droit des contrats est une jungle

Qu’importe les sommes annoncées quand un rappeur signe en maison de disques (1 million de dollars en 2002 pour 50 Cent chez Shady/Aftermath, 2 millions de dollars en 2009 pour Drake chez Young Money, 3 millions de dollars en 2011 pour A$AP Rocky, 6 millions de dollars en 2012 pour Chief Keef chez Interscope…), dans un deal ce qui compte en premier lieu ce sont les clauses.

Les clauses relatives à la propriété des masters (à qui appartient vraiment la musique ?), les clauses relatives à l’avance (alias le meilleur moyen de s’endetter), les clauses relatives aux frais d’enregistrement et de marketing (qui paye la Limousine qui vous emmène aux Grammy ?), les clauses relatives aux royautés (sur quelle base ce pourcentage est-il prélevé ?)… tout ça se révèle très vite très compliqué (c’est voulu), tant et si bien qu’une fois passée l’euphorie des premiers chèques derrière soi, l’atterrissage peut être difficile.

Citons sur ce point Blueface qui l’année dernière en interview s’est tapé l’affiche en se montrant incapable de dire chez il était signé (Cash Money West ? Cash Money ? Republic ? UMG ?) ou Megan Thee Stallion qui est rentrée en guerre ouverte avec 1501 Certified Entertainment, son tout premier employeur, au motif qu’au moment de s’engager « elle était trop jeune pour comprendre ce que contenait exactement son contrat ».

Auteur en 2017 du carton XO Tour Llif3 qui a dépassé le milliard de streams, Lil Uzi Vert n’a lui touché « que » 900 000 dollars… tandis que sa maison de disques encaissait dans le même temps sur son dos 4,5 millions !

Du coup, peut-être est-ce exagéré de considérer comme Kanye West que les artistes sont « les nouveaux esclaves », mais cela n’empêche pas comme le préconise Future d’être attentif aux zones d’ombre.

« Qui peut signer quoi ? Qui détient quoi ? Quels droits appartiennent à qui ? C’est à vous de clarifier tout ça dès le départ, et ce d’autant plus que vous êtes populaire (…) À chaque album vous devez faire un audit de la situation. »

5. Parce que leurs entourages ne leur veulent pas que du bien

Qui a dit qu’il fallait garder ses amis proche de soi une fois le succès au rendez-vous ?

Pire encore que ceux qui vous volent (comme le cousin de Kanye West qui lui a rançonné son ordinateur portable 250 000 dollars), celles qui vous quittent (mieux vaut divorcer d’un rappeur que d’un équiper McDonald’s), il y a tous ceux qui pensent vous être utiles comme ce neveu par alliance qui veut vous proposer un « partenariat » avec sa toute nouvelle marque de textile, ce pote un peu balèze qui se verrait bien assurer votre sécurité, cette tante à la retraite qui reprendrait bien du service à la comptabilité…

Problème : si sur le papier cette émulation a fière allure (« On-reste-vrais-t’as-vu ? »), dans les faits elle se traduit très souvent par de l’amateurisme à tous les étages – incompétence, gabegie et mauvais conseils en pagaille.

Cf. T Pain dont le manager s’était improvisé agent immobilier en acquérant quantité de terrains : « Il achetait des décharges et pensait qu’avec un coup de peinture ça se revendrait. On n’a jamais revendu le moindre de ces terrains… »

Tout cela sans oublier les anciens potes du hood qui estiment l’artiste redevable, les pique-assiettes et nouveaux amis qui viennent sans cesse alourdir les factures (déplacement, location, cadeaux…) ou encore les « yes men » prêt à flatter n’importe quelle mauvaise décision pour bien se faire voir.

Oui ces gens coûtent beaucoup (beaucoup) plus qu’ils ne rapportent.

6. Parce que les pensions alimentaires ça coûte cher

Vous vous souvenez quand en 2016 le basketteur Derrick Rose expliquait qu’en NBA il était enseigné aux joueurs venant d’avoir un rapport sexuel de jeter immédiatement leurs préservatifs usagés dans la cuvette des toilettes puis de tirer la chasse ou de repartir chez eux avec ?

Face à des groupies dont le seul et unique projet professionnel est de tomber enceinte d’une type plus riche qu’elles, puis de vivre la vie de rentière 18 ans durant, les rappeurs sont logés à la même enseigne.

Personne n’a envie de finir comme Trick Daddy (mais si rappelez-vous Let’s Go, I’m a Thug, Shut Up…) qui malgré une seconde partie de carrière plutôt bien négociée (14 500 dollars de revenus mensuels) est dans le rouge jusqu’au cou à cause des 60 000 dollars qu’il doit reverser chaque année à ses trois baby mamas.

[Une pensée également à Kodak Black condamné en 2017 à virer à la mère de son fils 4 200 billets verts mensuels jusqu’en 2033…]

Pas étonnant donc que certains rappeurs fassent des pieds et des mains pour éviter d’assumer leur paternité, que ce soit Future (six enfants avec six femmes différentes) qui récemment prétendait que l’une de ses baby mama s’était « mise en enceinte toute seule » ou DMX (15 marmots !) qui en 2003 clamait carrément s’être fait violer après s’être endormi « son machin à l’air » !

7. Parce que les frais de justice aussi ça coûte cher

et qu’ils sont inévitables.

D’une part parce qu’une fois que le reste du monde vous croit riche, le quidam moyen (aidé dans sa tâche par des avocats rémunérés exclusivement à la commission) se fera un plaisir de vous poursuivre pour un oui ou pour un non histoire de vous gratter un max’ de dollars (Cf. Kanye West en 2014 qui après avoir agressé un paparazzi insistant déclarait « qu’en Amérique les riches se baladent avec une cible dans le dos »), et de l’autre parce que comme aimait à le rapper Notorious BIG, une fois arrivé dans le grand bain : « Mo money, mo’ problems ».

Prenez 50 Cent qui à trop vouloir clasher a été en 2015 condamné par la justice à reverser 5 millions de dollars à son meilleur ennemi Rick Rock pour avoir diffusé la sextape de sa meuf, lui qui un auparavant s’était déjà pris 16 millions dans les gencives pour avoir repompé les casques audio de la marque Sleek.

Et si en plus de ça vous êtes du genre turbulent, l’argent va vous filer entre les doigts façon 2Pac (coups de feu sur les flics, tabassage de réalisateur…) obligé en 1994 d’aller enregistrer des sons avec un type aussi peu recommandable que Jimmy Henchman (celui-là même qui a tenté de le faire assassiner dans la foulée) afin de subvenir à ses besoins.

« Tout le monde savait que j’étais à court d’oseille. Mes concerts étaient annulés à cause de mes soucis judiciaires, tout mon argent partait chez mes avocats… C’est pour ça que j’ai accepté ce feat en échange de 7 000 dollars. »

Le pompon revient ici à The Game qui entre les coups de sang à répétition (baston avec 40 Glocc, baston avec Ras Kass, baston avec un flic…) et son procès pour agression sexuelle a un jour tweeté avoir dépensé « 12 000 000 de dollars en avocats » depuis le début de sa carrière.

8. Parce que les impôts ne les loupent pas

Cela peut paraitre le point le plus évident pour le commun des mortels, mais il ne l’est pas forcément pour de jeunes artistes qui débutent dans le monde professionnel et qui jusque-là « planquaient l’argent de la rue dans des sacs » pour paraphraser Young Buck. Et ce d’autant plus que les sommes exigées le sont très souvent plusieurs années après le succès.

À cela s’ajoute la complexité du droit fédéral américain qui fait que (pour la faire courte) chaque source de revenu doit être déclarée dans l’état où elle a été perçue (chaque état possédant en sus sa propre législation, bonjour le casse-tête quand vous partez en tournée), ce qui rend de facto quasi impossible de remplir sa feuille d’impôts sans avoir auparavant engagé un fiscaliste (autre source de dépenses soit dit en passant).

Du coup c’est sans surprise que la liste des rappeurs qui se sont fait pincer par l’Oncle Sam est longue comme le bras (Nelly, Jermaine Dupri, Lil Wayne, Swizz Beatz…).

Mieux, enfin pire, au pays qui a fait tomber Al Capone pour fraude fiscale, nombreux sont ceux qui été condamnés à de la prison ferme pour leurs errances (Ja Rule a pris 28 mois en 2011, Fat Joe et Lauryn Hill pour plusieurs mois en 2013…).

Ben ouais, la prochaine fois que vous verrez votre rappeur préféré au casting d’une télé réalité ou s’adonner en story Instagram à des placements de produits hasardeux, vous saurez pourquoi.

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